MAURO PIMENTEL / AFP
San José del Guaviare, Colombie | AFP | jeudi 08/12/2021 - Des arbres couchés, des troncs calcinés, de la fumée qui s'élève au loin, et, surtout, le bourdonnement strident des tronçonneuses... En Amazonie colombienne, la forêt recule inexorablement depuis le départ en 2016 de la guérilla qui y imposait sa loi.
Vu du ciel, le tableau est encore plus désolant: au loin, où la forêt est censée être vierge, de larges étendues de terre, des clôtures, des champs de coca et des vaches...
Dans la jungle de Guaviare, dans le sud de la Colombie, les paysans défrichent à la tronçonneuse et en allumant des incendies. Ils expliquent à l'AFP appeler ces carrés de terre brûlée des "tombes".
"La jungle ne nous appartient pas, mais nous sommes obligés de la couper pour pouvoir acheter à manger", confie l'un des bûcherons, scie mécanique à la main, un foulard sur le visage pour ne pas être identifié.
Tout autour de lui, des arbres majestueux gisent sur le sol.
"Sentier du bétail"
La déforestation suit le "sentier du bétail", une route construite pendant la guerre par l'ancienne guérilla marxiste des FARC, au cœur du parc national de la Serrania de La Macarena, destinée à faciliter le déplacement des troupes et la production de la cocaïne.
Après la signature des accords de paix en 2016 à Cuba, les guérilleros sont partis.
Dans leur sillage sont arrivés, le long de cette même piste poussiéreuse d'une centaine de kilomètres, des accapareurs de terres que personne n'ose identifier.
L'Etat n'a jamais véritablement repris le contrôle de ces vastes contrées reculées. "La déforestation la plus grave ici se poursuit depuis cinq ans", déplore Luis Calle, un dirigeant communautaire.
L'exploitation forestière, s'empresse-t-il de préciser, "n'est pas le fait des paysans", mais "des gros négociants" venus d'autres régions.
Selon l'Institut d'hydrologie, de météorologie et d'études environnementales IDEAM, un organisme public, près de 925.000 hectares de forêt ont disparu en Colombie depuis 2016, une superficie équivalente à celle de Chypre.
Et 2017, l'année du désarmement des FARC, a été la pire du siècle avec 219.000 hectares déboisés, soit 76% de plus qu'en 2015. L'Amazonie est aujourd'hui la région la plus déboisée (63,7%) du pays.
"Mini-armée" et "mafias"
Les guérilleros ont protégé cette forêt, constatent les villageois. Ils y faisaient régner leur loi. Et contrôlaient les revenus de la coca, qui finançaient leur lutte armée.
Mais "après la paix, les riches sont venus tout anéantir", accuse Edilberto Lozada, agriculteur de 50 ans. Ils ont profité du fait que les habitants étaient "à court d'argent" pour acheter leurs terres à bas prix, ajoute Luis Calle.
Ils sont aussi venu "choisir" des terres inoccupées, comme on dit localement. Comprendre : défricher à volonté et à la machette de grandes étendues de forêts.
Des clôtures abondent maintenant un peu partout dans la zone. Un homme de 40 ans, s'exprimant sous couvert d'anonymat, estime qu'il a déboisé à lui seul quelque 200 hectares, avant d'abandonner sa tâche, par peur d'être arrêté.
"J'étais capable de défricher un hectare par jour", raconte cet ancien cultivateur de coca. Il se rappelle avoir formé une "mini-armée" d'une douzaine de bûcherons, payés par un "patron" qu'il n'a jamais rencontré.
"Ce sont des personnes qui viennent d'autres départements et, logiquement, leur identité est inconnue", explique Albeiro Pachon, responsable de l'environnement au gouvernorat de Guaviare.
Les personnes prises en train d'exploiter la forêt, de financer ou d'inciter à la déforestation sont passibles d'une peine de 15 ans de prison. "Le sujet de la déforestation est traité comme pour une mafia", assure M. Pachon.
Sur ces mêmes chemins et territoires qu'empruntaient les FARC, broutent aujourd'hui vaches et autres cheptels.
"Pour qui veut s'emparer de la terre, que vous ayez des documents ou non, venir avec du bétail est le plus facile", observe Claudio Maretti, de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
La savane s'étend de part et d'autre de la piste, où l'on voit peu de maisons, quelques étables.
Le défrichage, l'introduction de vaches destinées au marché de la viande et la plantation de semis sont des activités coûteuses que seuls des propriétaires fonciers aisés peuvent se permettre.
"Enfants de la coca"
Dans ce que l'on appelle "l'arc de déforestation amazonien", le cheptel bovin est passé de 1,08 million de têtes de bétail en 2016 à 1,74 millions en 2019 (+60%), selon la Fondation pour la conservation et le développement durable.
Après l'accord de paix, certains cultivateurs de coca se sont essayés à d'autres cultures, mais au final ont perdu en revenus. Le sol amazonien "n'est pas le lieu le plus favorable à l'agriculture", fait remarquer M. Maretti.
En ce jour de week-end, les paysans d'un petit village se retrouvent autour de la danse, de la bière, des tables de billard et des traditionnels combats de coqs.
Une chanson populaire mexicaine résonne dans la nuit. "On m'appelle le fils de la coca", reprend en coeur l'assistance. La culture de la feuille de coca, avouent-ils, est la seule chose rentable sur ces terres.
Au milieu de la fête, des histoires circulent sur ceux qui ont repris la collecte ou le "grattage de la coca", cette fois pour le compte des dissidents des FARC qui ont repris les armes après l'accord de 2016, et seraient près de 2.700 hommes dans cette zone.
"Nous défrichons la jungle (...) pour planter de la coca car c'est la seule chose qui nous fait vivre, faute de garanties de la part du gouvernement", justifie le défricheur au visage dissimulé.
Un cultivateur de coca gagne par mois près de 1.700 dollars, dans un pays où le salaire mensuel minimum est de 248 dollars.
Même si c'est dans une moindre mesure, la culture de la coca contribue aussi à la déforestation. Dans le Guaviare, 3.227 hectares y sont consacrées, selon l'ONU, pour plus de 124.000 dans tout le pays, premier producteur et exportateur mondial de cocaïne.
Depuis le début du XXème siècle, des familles venues de tout le pays ont colonisé et défriché la jungle amazonienne. Avant la coca, au début des années 1900, ce fut le boom du caoutchouc. Puis vinrent les déplacés des guerres.
Personne ne sait à qui appartient le terrain ici, répètent les paysans du coin.
La réforme agraire prévue par l'accord de 2016 est toujours en souffrance et les signataires affirment que c'est le point le moins avancé en cinq ans de mise en oeuvre.
Dans le Guaviare, on prédit une paysannerie "en colère" : "avec la faim, il n'y a pas de paix", prévient Edilberto Lozada.
Vu du ciel, le tableau est encore plus désolant: au loin, où la forêt est censée être vierge, de larges étendues de terre, des clôtures, des champs de coca et des vaches...
Dans la jungle de Guaviare, dans le sud de la Colombie, les paysans défrichent à la tronçonneuse et en allumant des incendies. Ils expliquent à l'AFP appeler ces carrés de terre brûlée des "tombes".
"La jungle ne nous appartient pas, mais nous sommes obligés de la couper pour pouvoir acheter à manger", confie l'un des bûcherons, scie mécanique à la main, un foulard sur le visage pour ne pas être identifié.
Tout autour de lui, des arbres majestueux gisent sur le sol.
"Sentier du bétail"
La déforestation suit le "sentier du bétail", une route construite pendant la guerre par l'ancienne guérilla marxiste des FARC, au cœur du parc national de la Serrania de La Macarena, destinée à faciliter le déplacement des troupes et la production de la cocaïne.
Après la signature des accords de paix en 2016 à Cuba, les guérilleros sont partis.
Dans leur sillage sont arrivés, le long de cette même piste poussiéreuse d'une centaine de kilomètres, des accapareurs de terres que personne n'ose identifier.
L'Etat n'a jamais véritablement repris le contrôle de ces vastes contrées reculées. "La déforestation la plus grave ici se poursuit depuis cinq ans", déplore Luis Calle, un dirigeant communautaire.
L'exploitation forestière, s'empresse-t-il de préciser, "n'est pas le fait des paysans", mais "des gros négociants" venus d'autres régions.
Selon l'Institut d'hydrologie, de météorologie et d'études environnementales IDEAM, un organisme public, près de 925.000 hectares de forêt ont disparu en Colombie depuis 2016, une superficie équivalente à celle de Chypre.
Et 2017, l'année du désarmement des FARC, a été la pire du siècle avec 219.000 hectares déboisés, soit 76% de plus qu'en 2015. L'Amazonie est aujourd'hui la région la plus déboisée (63,7%) du pays.
"Mini-armée" et "mafias"
Les guérilleros ont protégé cette forêt, constatent les villageois. Ils y faisaient régner leur loi. Et contrôlaient les revenus de la coca, qui finançaient leur lutte armée.
Mais "après la paix, les riches sont venus tout anéantir", accuse Edilberto Lozada, agriculteur de 50 ans. Ils ont profité du fait que les habitants étaient "à court d'argent" pour acheter leurs terres à bas prix, ajoute Luis Calle.
Ils sont aussi venu "choisir" des terres inoccupées, comme on dit localement. Comprendre : défricher à volonté et à la machette de grandes étendues de forêts.
Des clôtures abondent maintenant un peu partout dans la zone. Un homme de 40 ans, s'exprimant sous couvert d'anonymat, estime qu'il a déboisé à lui seul quelque 200 hectares, avant d'abandonner sa tâche, par peur d'être arrêté.
"J'étais capable de défricher un hectare par jour", raconte cet ancien cultivateur de coca. Il se rappelle avoir formé une "mini-armée" d'une douzaine de bûcherons, payés par un "patron" qu'il n'a jamais rencontré.
"Ce sont des personnes qui viennent d'autres départements et, logiquement, leur identité est inconnue", explique Albeiro Pachon, responsable de l'environnement au gouvernorat de Guaviare.
Les personnes prises en train d'exploiter la forêt, de financer ou d'inciter à la déforestation sont passibles d'une peine de 15 ans de prison. "Le sujet de la déforestation est traité comme pour une mafia", assure M. Pachon.
Sur ces mêmes chemins et territoires qu'empruntaient les FARC, broutent aujourd'hui vaches et autres cheptels.
"Pour qui veut s'emparer de la terre, que vous ayez des documents ou non, venir avec du bétail est le plus facile", observe Claudio Maretti, de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
La savane s'étend de part et d'autre de la piste, où l'on voit peu de maisons, quelques étables.
Le défrichage, l'introduction de vaches destinées au marché de la viande et la plantation de semis sont des activités coûteuses que seuls des propriétaires fonciers aisés peuvent se permettre.
"Enfants de la coca"
Dans ce que l'on appelle "l'arc de déforestation amazonien", le cheptel bovin est passé de 1,08 million de têtes de bétail en 2016 à 1,74 millions en 2019 (+60%), selon la Fondation pour la conservation et le développement durable.
Après l'accord de paix, certains cultivateurs de coca se sont essayés à d'autres cultures, mais au final ont perdu en revenus. Le sol amazonien "n'est pas le lieu le plus favorable à l'agriculture", fait remarquer M. Maretti.
En ce jour de week-end, les paysans d'un petit village se retrouvent autour de la danse, de la bière, des tables de billard et des traditionnels combats de coqs.
Une chanson populaire mexicaine résonne dans la nuit. "On m'appelle le fils de la coca", reprend en coeur l'assistance. La culture de la feuille de coca, avouent-ils, est la seule chose rentable sur ces terres.
Au milieu de la fête, des histoires circulent sur ceux qui ont repris la collecte ou le "grattage de la coca", cette fois pour le compte des dissidents des FARC qui ont repris les armes après l'accord de 2016, et seraient près de 2.700 hommes dans cette zone.
"Nous défrichons la jungle (...) pour planter de la coca car c'est la seule chose qui nous fait vivre, faute de garanties de la part du gouvernement", justifie le défricheur au visage dissimulé.
Un cultivateur de coca gagne par mois près de 1.700 dollars, dans un pays où le salaire mensuel minimum est de 248 dollars.
Même si c'est dans une moindre mesure, la culture de la coca contribue aussi à la déforestation. Dans le Guaviare, 3.227 hectares y sont consacrées, selon l'ONU, pour plus de 124.000 dans tout le pays, premier producteur et exportateur mondial de cocaïne.
Depuis le début du XXème siècle, des familles venues de tout le pays ont colonisé et défriché la jungle amazonienne. Avant la coca, au début des années 1900, ce fut le boom du caoutchouc. Puis vinrent les déplacés des guerres.
Personne ne sait à qui appartient le terrain ici, répètent les paysans du coin.
La réforme agraire prévue par l'accord de 2016 est toujours en souffrance et les signataires affirment que c'est le point le moins avancé en cinq ans de mise en oeuvre.
Dans le Guaviare, on prédit une paysannerie "en colère" : "avec la faim, il n'y a pas de paix", prévient Edilberto Lozada.