Edward Tregear : L'homme qui prenait les Maoris pour des Aryens


Edward Robert Tregear a connu une formidable ascension sociale en Nouvelle-Zélande, même si sa théorie des “Maoris Aryens” ne tenait pas vraiment debout. N’empêche qu’en Europe, il connut le succès.
Tahiti, le 8 octobre 2021 - Allons ! Ne boudons pas notre plaisir aujourd’hui à mettre en lumière ce qu’il faut bien qualifier d’élucubrations ; en 1885, une théorie émise par un Anglais résidant en Nouvelle-Zélande affirmait que les Maoris étaient d’origine aryenne. Selon Edward Robert Tregear, qui se disait, entre autres, linguiste, il ne pouvait y avoir de doutes, c’est d’Inde, peut-être même d’Iran qu’étaient venus les Maoris. Le plus étonnant n’est pas que cette hypothèse basée sur une étude de mythologies ait pu être émise, mais bien qu’elle ait été prise pour parole d’évangile à l’époque par une large part du grand public hors Nouvelle-Zélande...
 
Les origines du peuplement du triangle polynésien, entre Hawaii, l’île de Pâques et la Nouvelle-Zélande, n’ont cessé de susciter des questionnements au fil du temps et toutes sortes de réponses farfelues ont été avancées. Parmi les dernières en date, tout le monde a encore en tête l’odyssée, en 1947, du Kon Tiki supposé prouver que le Pacifique Sud avait été peuplé par des Amérindiens. 

C’est en combattant les Maoris, alors qu’il s’était engagé dans l’armée, que Tregear fit leur connaissance.
Des Aryens bon teint
 
Dans la réalité, le Kon Tiki n’avait fait que prouver qu’un morceau de bois jeté dans le courant est-ouest au large du Pérou ne pouvait atterrir ailleurs que dans l’ouest du vaste océan ; personne ou presque, à l’époque, n’avait imaginé que c’était plutôt les Polynésiens qui avaient pu faire un ou des allers et retours vers les côtes sud-américaines, d’où ils auraient ramené la patate douce par exemple. Autant dire que si cette théorie trouva un public crédule en 1947 (et bien après), il n’est pas si étonnant qu’une soixantaine d’années plus tôt, l’opinion se soit entichée d’une théorie qui faisait des Maoris des Aryens bon teint.

Mais d’abord, un Aryen, c’est qui, c’est quoi ? Le mot, qui n’est plus guère employé compte tenu de l’usage qu’en firent les nazis, désigne originellement un ou des peuples qui auraient vécu, il y a quelques millénaires, dans une partie de l’actuelle Inde, du Pakistan, de l’Afghanistan et de l’Iran. Le mot Iran lui-même serait un dérivé du mot aryen… 

On trouve, de fait, le mot “Arya” dans les plus vieux textes sanscrits indiens ; idem dans des écrits de la Perse antique. Cela se passait au troisième millénaire avant Jésus-Christ et il est indéniable qu’à l’époque, un ensemble linguistique cohérent de langues indo-iraniennes était parlé dans cette région du monde. 

Sous le régime nazi, les jeunesses hitlériennes représentaient le modèle idéal du pur Aryen... Bien loin de nos voisins et amis les Maoris !
Les faux Aryens des nazis
 
En revanche, qualifier les Indos-Européens d’Aryens est un abus de langage, les Indos-Européens étant en réalité un ensemble de populations très vaste, parlant des langues plus ou moins apparentées, populations dispersées de l’Atlantique à l’Inde pour résumer. Quant aux Aryens inventés de toute pièce par Hitler et ses sbires, il s’agissait, pour les nazis, de peuples blonds aux yeux bleus, originaires de l’Europe du Nord et dont le peuple allemand, de “pure race”, descendait… 

Ouvrons une parenthèse pour noter qu’en matière de blonds aux yeux bleus, Goebbels, l’âme damnée d’Hitler, avec sa petite taille, son pied-bot, ses yeux et ses cheveux noirs ressemblait plus à un métèque à la Moustaki qu’à un Viking ; Hitler lui-même aurait peut-être une ascendance juive tandis qu’Himmler, avec ses petites lunettes rondes, s’apparentait plus à un petit comptable du bazar d’Istanbul qu’à un preux chevalier teutonique. Mais bon, dès que l’on parle à tort et à travers de races, on se prend facilement les pieds dans le tapis et en ce domaine, les nazis demeurent inégalés.

Pour en revenir à nos Aryens, des mots Arya (sanskrit) et Airiya (perse ancien ; cf. Zoroastre), les archéologues estiment qu’ils se scindèrent en deux branches deux mille ans avant Jésus-Christ, pour former un ensemble iranien (Assyrien) et un ensemble indien (formé à partir d’une partie de l’Ouzbékistan actuel et de l’Afghanistan, glissant vers le Penjad et toute l’Inde par la suite. 

Nous tentons avec ces quelques lignes de résumer au mieux ce qui a fait et fait encore l’objet de nombreuses thèses, car si le mot “race” a officiellement disparu des sciences humaines modernes, il n’en demeure pas moins que le sujet des origines européennes reste d’actualité...

Roi Arthur et légende celtes...
 
Or donc, nos Aryens ayant vécu entre Inde et Iran, que viennent faire nos bons voisins Maoris dans cette galère, eux qui sont plutôt adeptes des pirogues doubles ? C’est là qu’intervient Edward Robert Tregear (1846-1931), l’homme qui avait enfin trouvé une explication au peuplement du Pacifique Sud.

Lorsque l’on regarde succinctement sa biographie, on découvre qu’il a été tout à tour (ou simultanément) militaire, arpenteur, linguiste, érudit dans le domaine polynésien, écrivain, fonctionnaire et politicien (réformateur)... Homme protée s’il en est, ou homme caméléon si l’on préfère.

Commençons donc par le début : le petit Edward Robert Tregear voit le jour le 1er mai 1846 à Southampton, fils de Mary Norris et de William James Tregear qui occupait le poste de capitaine sur la Peninsular et Oriental Steam Navigation Company, devenue aujourd’hui la compagnie P&O connue dans tous les ports de la planète. 

Papa, en mer souvent, n’était pas très présent au foyer mais ses confortables revenus permirent au petit Edward de vivre dans l’aisance avec ses sœurs. On dit que le petit garçon avait une imagination fertile et qu’il vivait un pied dans le monde des chevaliers de la table ronde et du roi Arthur, n’hésitant pas à s’immerger dans les légendes celtiques et normandes ; doué, il savait lire le grec et le latin à sept ans précisent ses biographes.

Malheureusement, papa buvait, jouait et se ruina en 1858, laissant sa famille sans le sou. Pour couronner le tout, il décéda de la typhoïde à Bombay en 1859, femme et enfants se retrouvant sans la moindre ressource du jour au lendemain.
En 1863, après quasiment cinq années de galère, les Tregear s’embarquèrent pour la Nouvelle-Zélande, afin de refaire leur vie loin de la misère anglaise qu’ils avaient connue. On pense qu’ils vécurent chichement à Warkworth avant de trouver le gîte à Auckland. 

Il faut croire que le militaire Tregear fut à la hauteur puisqu’il fut décoré pour services rendus pendant les guerres auxquelles il participa contre les Maoris.
Chercheur d’or raté...
 
Nous ne nous étendrons pas sur la dernière partie de la vie de Tregear (voir notre encadré), pour nous attarder sur ce qui lui fit imaginer que les Maoris étaient des Aryens.

Dans les années 1870, Tregear s’était tellement marginalisé, perdu entre ses rêves et ses échecs personnels, qu’il eut la chance de vivre en quelque sorte hors du monde réel. 

Pauvre d’entre les pauvres, mais instruit, il s’engagea dans l’armée, dans les Auckland Engineer Volunteers, ce qui l’amena en 1867 à combattre des tribus maories en rébellion dans la région de Tauranga. Il faut croire qu’il se distingua au combat puisqu’il fut décoré de la Médaille de la Guerre kiwie. 

Dans le cadre de son engagement militaire, il eut l’opportunité de se former au métier de géomètre et grâce à cette formation, de 1869 à 1871, il se retrouva propulsé dans des secteurs très agités ; il eut en effet pour mission de déterminer les concessions de chercheurs d’or à Coromanbdel et à Thames, ce qui, on s’en doute, ne fut pas une sinécure. 

Évidemment, arpentant des champs aurifères, Tregear constata rapidement que certains prospecteurs s’enrichissaient en deux temps trois mouvements alors que lui ne percevait que sa modeste solde d’arpenteur. Il décida donc, avec les trois francs six sous d’économie dont il disposait, de se lancer, lui aussi dans la prospection aurifère, bien décidé à faire fortune. Évidemment, ses investissements dans le secteur s’avérèrent désastreux et il perdit sa mise. 

Britanniques et Maoris luttèrent de nombreuses années avant que la domination des premiers ne l’emporte sur les seconds.
Immergé dans le monde maori
 
Sa vie allait changer radicalement à partir de 1872, car il décrocha une place au sein du Land Purchase Department avec une mission bien précise : délimiter les terres maories autour de Tokoroa et dans les vastes étendues d’Hauraki. En clair, à cette période, Tregear changea en quelque sorte son fusil d’épaule : les Maoris n’étaient plus des cibles, ils devenaient ses proches, ses amis, ses confidents car Tregear se retrouva immergé dans des communautés indigènes où pour ainsi dire aucun Européen n’avait jamais séjourné. 

Il apprit ainsi à parler la langue maorie couramment et il étudia de près le mode de vie de ses hôtes, mais également leurs histoires, leurs légendes, leur mythologie, retrouvant à travers ces récits anciens les accents des contes celtes de son enfance. 
Il fut, après deux années d’immersion en tribu, en charge de diriger une troupe de militaires et de civils maoris ayant à tracer des routes autour de Awamutu. Là encore, au lieu de se concentrer sur son travail, constatant que les travaux entrepris nécessitaient énormément de bois, Tregear se lança dans une affaire de coupe de bois, une scierie près de Rangiriri qui s’avéra être une nouvelle catastrophe financière pour l’arpenteur décidément pas fait pour les affaires... 

En 1875 on le retrouve toujours arpenteur géomètre à Taranaki, puis à partir de 1877 à Patea, à titre privé. Il est dans un état de santé très altéré par cette vie dans les humides terres néo-zélandaises, mais il est malgré tout capitaine des Patea Rifle Volunteers.

De l’Inde au Pacifique Sud
 
En une décennie environ, celui qui n’avait fait que tirer sur les Maoris en 1867 était devenu un spécialiste incontesté de cette culture indigène à laquelle il était profondément attaché. Son isolement en tribu ne fit que renforcer à la fois ses connaissances et son goût pour les recherches ésotériques alors que sur le plan personnel, il piaffait d’impatience car il était amoureux d’une femme mariée, Bessie Joynt, délaissée par son époux et qui n’obtint le divorce qu’en 1880 (deux semaines, plus tard, le 18 juin, Tregear l’épousait enfin à New Plymouth). 

Ce n’est qu’à partir de cette union que Tregear réintégra en quelque sorte la société néo-zélandaise en trouvant un emploi stable dans un bureau à New Plymouth, en charge de dessiner des cartes. Mais il était loin d’avoir oublié sa décennie de contacts étroits avec les Maoris dont il resta proche. Et c’est à cette époque qu’il consacra son temps libre à la rédaction d’un livre pour le moins surprenant, “The Aryan Maori” (sorti de presse en 1885). Dans cet ouvrage, le spécialiste des Maoris qu’est indéniablement Tregear “part en vrille” comme on le dirait aujourd’hui en appuyant toutes ses connaissances sur un principe qu’il prétendait avoir découvert : la langue, la mythologie, la culture maories étaient proches des langues, cultures et mythologies de nombreuses régions européennes. Or l’Europe a été peuplée par des peuples aryens installés entre la mer Caspienne et les contreforts de l’Himalaya (les versants nord). Il y a quatre mille ans environ, une partie de ce peuple aurait migré vers l’actuelle Europe, l’autre vers l’Asie du Sud-Est puis les îles du Pacifique Sud, via la Perse et l’Inde.

Avant Tregear, Abraham Fornander, à Hawaii, avait déjà émis la théorie selon laquelle les Polynésiens étaient d’origine indo-européenne, donc aryenne.
Une théorie née à Hawaii
 
Selon Tregear, Européens et Maoris étaient liés par une sorte de parenté ethnique, sinon raciale, les Aryens Maoris descendant précisément de brahmanes hindous qui seraient passés d’Indonésie en Nouvelle-Guinée puis en Nouvelle-Zélande ; de là, ils auraient ensuite rayonné dans tout le Pacifique Sud.

Il convient de relever que cette théorie aryenne n’est pas une pure création de Tregear. 
En réalité, quelques années avant lui, un dénommé Abraham Fornander, résidant à Hawaii et très proche du roi Kamehameha, avait le premier émis cette hypothèse d’une origine indo-européenne des Polynésiens. 

Dans son livre publié à Londres en 1877, “An Account of the Polynesian Race, its Origin and Migrations, and the Ancient History of the Hawaiian People to the Times of Kamehameha I”, Fornander, grâce à l’étude comparative des langues, était parvenu à mettre en évidence des ressemblances et des similitudes même entre certains mots, certaines syllabes, certains arrangements grammaticaux polynésiens et européens. Mais si les travaux de Fornander portaient sur les Polynésiens en général, Tregear se focalisa uniquement sur les Maoris.

Compte tenu de ses prises de position très à gauche lorsqu’il était au ministère du Travail, Tregear a évidemment fait l’objet de nombreuses caricatures dans la presse de l’époque.
Acclamé en Europe !
 
A la sortie de son livre, ce fut un tollé en Nouvelle-Zélande, les Pakehas (Européens d’origine) réfutant avec ardeur cette parenté supposée avec les indigènes de Aotearoa. 
Il en fallait plus pour déstabiliser un Tregear fièrement campé droit dans ses bottes, d’autant qu’en Grande-Bretagne, en France (où il fut fait chevalier dans l’ordre des Palmes académiques) ou en Italie, ses travaux furent pris très au sérieux. Au point d’ailleurs que l’arpenteur kiwi reçut une bourse de la Royal Geographical Society et de la Royal Historical Society. 

En 1893, il reçut même la médaille d’argent de la Society of Science, Letters and Art, médaille qu’il refusa (il sera accusé en Nouvelle-Zélande d’avoir produit un faux concernant cette distinction). Vrai ou faux, qu’importait à Tregear dont les travaux sur l’origine aryenne des Maoris occupèrent ses loisirs pendant une vingtaine d’années encore, alors qu’il multiplia les articles illustrant sa théorie dans d’innombrables publications. 

Il se consacra, dans le même temps et par la suite, compte tenu de sa notoriété et de ses idées résolument à gauche, à la politique où, force est de le reconnaître, qu’il fit une brillante carrière…

Les livres de Tregear

“The Aryan Maori” fut l’ouvrage qui fit le plus connaître Tregear à l’étranger, alors que sa théorie fut combattue avec force en Nouvelle-Zélande.
Avec sa théorie sur l’origine des Maoris, on peut dire que Tregear avait enfin trouvé sa mine d’or, car il sut décliner à l’envi ses hypothèses pourtant battues en brèche dans son propre pays, la Nouvelle-Zélande. Qu’importe, il profita du filon mais ne fit pas que cela comme le prouve la dizaine d’ouvrages qu’il publia dont un livre pour enfants et des recueils de poèmes. On remarquera que nous concernant, en Polynésie française, il commit deux ouvrages, l’un sur Mangareva et l’autre sur les Tuamotu...
 
- The Maori-Polynesian Comparative Dictionary 
- The Aryan Maori
- Hedged with divinities (1895)
- The Maori Race (1904)
- A Paumotuan Dictionary with Polynesians Comparatives
- A Dictionary of Mangareva
- The verse of Edward Tregear
- Southern Paraboles (1884)
- Fairy tales and folklore of New Zealand and the South Seas by Edward Tregear (1891)
- A vocabulary and grammar of the Niué dialect of the Polynesian language by Edward Tregear
- The Shadows, and other verses by Edward Tregear (1919)
- Right Hon. R.J. Seddon's (the Premier of New Zealand) visit to Tonga, Fiji, Savage Island, and the Cook Islands, May, 1900.

La tribu perdue d’Israël

Le XIXe siècle a été riche en théories sur l’origine du peuplement des îles du Pacifique, et si les travaux de Fornander à Hawaii et de Tregear en Nouvelle-Zélande peuvent prêter à sourire aujourd’hui, il ne faut pas oublier que certains pseudo-ethnologues fantaisistes se fendirent eux aussi d’hypothèses on ne peut plus farfelues. 
 
Les Maoris parents des Juifs !
 
Ainsi le Britannique Godfrey Charles Mundy en 1840, au terme d’un séjour de quelques mois à peine en Nouvelle-Zélande avait conclu au terme de son voyage, parlant des Maoris : “on dit que beaucoup de leurs coutumes, civiles et religieuses correspondent à un degré remarquable avec celles des Juifs. Les traits du visage de nombreux Maoris ont une forte ressemblance avec ceux de l’ancienne race, le même œil exorbité et brillant, le même nez à la fois grossier et aquilin, et la même bouche fine et sensuelle. (...) Les Maoris sont-ils descendants d’une des tribus perdues d’Israël ?”. En 1855, ce fut au tour du révérend Richard Taylor de se fendre d’un livre très sérieux, intitulé “Te Ika a Maui, or New Zealand and its Inhabitants” dans lequel il estimait lui aussi que les Maoris étaient les descendants d’une tribu perdue d’Israël.
 
Descendants de Moïse...
 
Plus étonnant encore, des Maoris eux-mêmes reprirent cette théorie ; c’est ainsi qu’un mouvement relevant quasiment de la secte, Te Nakahi, revendiquait descendre directement de Moïse lui-même. 

Ce mouvement, dont l’un des chefs emblématiques fut Papahurihia, également appelé Wero ou Te Atua Wera, naquit en 1833 à Bay of Islands et se superposa aux premiers baptêmes des Maoris. Le mouvement se déplaça ensuite dans l’Hokianga, mélangeant allègrement rites maoris et shabbat juif. Cette affaire d’ascendance juive alla même plus loin en Nouvelle-Zélande puisqu’il inspira la révolte Hone Heke dans l’île du nord puis un mouvement royaliste maori. Le premier de ces “rois”, Potatau Te Wherowhero assurait que sa généalogie personnelle remontait aux rois d’Israël... 

Ce mouvement royaliste maori, fondé en 1858, baptisé Kingitanga, est encore reconnu de nos jours, surtout dans l’île du nord. Le roi, de nos jours, est Tüheitia. C’est au retour d’un voyage en Angleterre qu’un fils de chef, Tamihana Te Rauparaha, après sa rencontre avec la reine Victoria, décida d’établir un système monarchique équivalent en Nouvelle-Zélande, afin de regrouper toutes les tribus face à l’expansionnisme des Pakehas toujours plus gourmands en terres. 

De nos jours, le roi maori est reconnu comme tel par les monarchies polynésiennes (Tonga, Samoa).

Tregear, une carrière “sociale”

Edward Tregear, mis à part ses débuts difficiles et sa théorie aryenne fantaisiste, devint un personnage très important dans la jeune société néo-zélandaise. Touche-à-tout par excellence, il vit bien des portes s’ouvrir devant lui ; en premier lieu parce qu’à part “The Aryan Maori”, il se fendit d’un volumineux dictionnaire maori qui servit longtemps de référence ; rendons lui cette justice que ce travail fut remarquable pour l’époque et lui assura une certaine notoriété.
 
Anticapitaliste et socialiste
 
Installé à New Plymouth, il connut en 1882 une nouvelle faillite dans une de ses entreprises alors que son caractère anticapitaliste s’affirmait et qu’il épousait une idéologie clairement socialiste pour l’époque. Il estimait que c’était à l’État de veiller à une juste répartition des richesses en prélevant auprès des riches de quoi protéger les pauvres. 

Au sein du New Plymouth Working Men’s Club, il se fit remarquer pas ses prises de position en faveur des opprimés, Maoris ou Pakehas pauvres. Dans la Freethought Review, il en vint même à parler de la nécessité d’un collectivisme tout comme il combattit avec virulence l’infériorité dans laquelle les femmes étaient placées. 
Il fut par la suite appelé à Wellington pour son expertise de la question maorie et devint rapidement une voix reconnue au sein du monde politique local, notamment de la Wellington Philosophical Society
 
Fondateur de la Polynesian Society
 
En 1891, son énorme dictionnaire comparatif maori-polynésien lui valut une reconnaissance dépassant largement le cadre de la seule Nouvelle-Zélande. 
Tregear parlait, mais il écrivait aussi, à un rythme effréné, ne s’interdisant aucun domaine de prospection. Philologie, religion, mythologie, science, littérature, philosophie, condition féminine, histoire ancienne, économie, politique, rien n’échappait à ses analyses, qu’il s’agisse de conférences publiques ou d’articles dans des revues. En 1892, il fonda même la Polynesian Society avec Stephenson Percy, association qui publiera onze années durant un journal. Fidèle à son passé de géomètre, il créa en 1888 l’Institut néo-zélandais des arpenteurs et prendra dans la foulée la rédaction en chef du journal de l’association. 

Lorsque survient la guerre en Afrique du Sud (1899-1902), il organisera, depuis Wellington, le Civil Servide Rifle Volunteers.
 
Au ministère du Travail
 
Reeves, le ministre du Travail, en fit un de ses collaborateurs les plus proches ; avec ses idées “socialisantes”, Tregear entreprit de refondre le code du travail néo-zélandais, faisant de ce petit pays l’un des plus avancés dans le domaine des droits des salariés. 
A l’époque, les femmes et les enfants étaient astreints à des taches épuisantes et Tregear fit tout ce qu’il put sur le plan législatif pour améliorer leurs conditions de vie. Certes, le patronat rechignait, mais force fut de constater que l’économie de la Nouvelle-Zélande, grâce à ces réformes, était épargnée par les grèves à répétition qui se produisaient dans d’autres pays (des grèves eurent pourtant lieu à partir de 1906, affectant profondément Tregear qui misait avant tout sur la conciliation).
 
De déceptions en déceptions
 
Un changement de ministre au portefeuille du Travail, des soucis de santé, une perte d’intérêt pour ses travaux concernant la Polynésie, des aigreurs vis-à-vis d’organismes qui ne le traitèrent pas comme il le souhaitait (la Polynésian Society et la Wellington Philosophical Society ne le nommèrent pas membre honoraire et lui réclamèrent même ses cotisations), des soucis d’argent (une constante dans sa vie), son licenciement brutal du ministère du Travail brisèrent une grande partie de son énergie. 

Certes, il devint membre du Wellington City Council, certes il joua encore un rôle très important dans la vie politique néo-zélandaise, mais il était déçu par le Parti libéral, déçu par ceux qu’il avait pris pour ses amis politiques et s’il prit un temps la tête du Parti social-démocrate, après avoir bataillé pour réconcilier les diverses tendances du mouvement ouvrier, il ne supporta pas, fin 1913, la répression ordonnée par William Massey contre des grèves. 
 
Une théorie tombée dans l’oubli
 
Officiellement, il avait pris sa retraite dès 1910, mais 1913 sonna le glas de ses illusions. Il se retira de toutes ses fonctions publiques et déménagea même avec son épouse Bessie à Picton, pour se rapprocher de sa fille et petits-enfants. Il continua cependant à écrire des poèmes et s’éteignit à Picton, auprès des siens, le 28 octobre 1931. 

A sa mort, il fut bien entendu couvert d’éloges par la classe politique kiwie. Il avait 85 ans et s’il reste considéré de nos jours comme un éminent spécialiste des questions polynésiennes, il n’en demeure pas moins que sa théorie de Maoris-Aryens est tombée dans les oubliettes de l’histoire...

Rédigé par Daniel Pardon le Vendredi 8 Octobre 2021 à 17:18 | Lu 3722 fois