Edouard Fritch : "Je ne me reconnais plus dans la direction du parti"


PAPEETE, 24 avril 2014 - A moins de 10 jours des élections sénatoriales partielles, dont le résultat sera déterminant pour l'avenir du Tahoera'a, Edouard Fritch accepte de faire un point. Jeudi soir, une assemblée des instances dirigeantes du Tahoera'a Huira'atira a aménagé une nouvelle fois les statuts du parti pour y loger un principe coercitif spécialement dirigé contre les élus pro-Fritch : la "volonté du patron d’utiliser les moyens statutaires du parti pour régler ses comptes personnels", analyse le Président de la Polynésie française qui dénonce une "logique d'affrontement". "Comme beaucoup aujourd’hui, je ne me reconnais plus dans la direction du parti" affirme-t-il en appelant à un "rassemblement des forces vives" dans l'intérêt de la collectivité.

Quel regard portez-vous sur les changements occasionnés dans les statuts du parti, depuis quelques mois, à l’initiative de Gaston Flosse ?

Edouard Fritch : Nous sommes arrivés à un point où les choses deviennent difficiles à comprendre. Quelle stratégie peut être à l’origine d’une modification du statut du Tahoera’a Huira’atira pratiquement tous les deux à trois mois, sinon moins ? On sent derrière tout cela la volonté du patron d’utiliser les moyens statutaires du parti pour régler ses comptes personnels avec certains. Le Grand conseil a adopté hier un moyen détourné pour se séparer d'élus jugés indésirables.

Dans ce contexte, vous sentez-vous toujours en phase avec la ligne directrice du parti ? Les modifications réglementaires réalisées en ce moment vous conviennent-elles ?

Edouard Fritch : Non, c’est difficile à accepter. Dire le contraire serait mentir. Je crois que plusieurs d’entre nous – c’est mon avis, en tous cas – estiment que ce genre de manœuvres ne correspond pas aux valeurs que nous avons du Tahoera’a Huira’atira : celles d’un parti structuré, avec des règles de fonctionnement fondées sur la stabilité et la cohésion de l’équipe. Lorsqu’on a une association comme le Tahoera’a, qui rassemble des milliers de personnes, on ne peut pas s’aventurer à modifier tous les jours les règles de fonctionnement. Les gens ne comprennent plus. Comme beaucoup aujourd’hui, je ne me reconnais plus dans la direction du parti. Je me sens toujours Tahoera’a Huira’atira, avec les valeurs du parti. J’ai été formé politiquement dans cette famille ; mais la direction du parti nous étonne énormément.

Et pour la ligne politique ?

Edouard Fritch : Ecoutez, moi je n’ai pas changé. Si vous regardez bien ce qui s’est produit au Tahoera’a, ce n’est pas ma gouvernance qui a provoqué le schisme que nous constatons aujourd’hui. Ce sont les positions prises par la direction du Tahoera’a Huira’atira, au travers du groupe à l’Assemblée de Polynésie et les différentes résolutions qui ont été proposées. L’éclatement du parti voit son point de départ lors du vote de la résolution sur le nucléaire, fin novembre. Cette résolution n’était nulle part prévue au programme du Tahoera’a. Ma ligne de conduite est conforme à celle que nous avons tous, au Tahoera’a. Elle est conforme au programme du parti : ce n’est pas moi qui suis en train de bousculer les choses.

Concernant l’ambition de succession douce au sein du Tahoera’a, que vous annonciez en septembre dernier après votre investiture par le Grand conseil, en êtes vous revenu aujourd’hui ?

Edouard Fritch : Pour l’heure, je ne veux pas entrer dans cette logique d’affrontement souhaitée par le président du Tahoera’a Huira’atira. Manifestement, nous sommes dans une logique de rapport de force. Nous avons longuement discuté, le 20 février dernier, au cours d’une réunion qui aura duré 7 heures. Nous attendions des solutions plus constructives sur la crise que nous vivons au sein du parti. Mais comme vous le savez, rien n’en est sorti. Donc, je me concentre aujourd’hui sur les affaires du gouvernement ; je prépare le COP 21 (Conférence des Nations unies sur les changements climatiques à Paris, début décembre, NDLR) ; nous devons entrer dans les discussions budgétaires au mois de juillet prochain ; je dois mettre en place le chantier de la fiscalité communale… J’ai beaucoup de travail et je n’ai pas d’énergie à perdre pour relever le défi d’un affrontement contre Gaston Flosse ou contre certains membres de l’Assemblée. Je les appelle tous au rassemblement pour que nous travaillions ensemble.

Pourtant dans la perspective des sénatoriales partielles de Polynésie, cet affrontement est bien à l’œuvre.

Edouard Fritch : Ecoutez, j’ai demandé au président du Tahoera’a, le 20 février dernier, qu’au moins Nuihau Laurey soit un des deux candidats du Tahoera’a pour le Sénat. J’ai reçu ce jour-là un refus net et précis. Il n’a pas voulu en tenir compte. Je lui ai fait part de la rupture de confiance – c’est une affaire personnelle – entre moi et les sénateurs du Tahoera’a Huira’atira, compte tenu de leur non soutien aux opérations que je conduis avec le gouvernement central, au travail que je suis en train de réaliser pour le rétablissement de la confiance entre l’Etat et le Pays : ce sont des gens qui n’aident pas le gouvernement. Donc j’ai souhaité que l’on bouge cette équipe et qu'au moins un membre de mon gouvernement (Nuihau Laurey a en particulier une bonne connaissance des affaires du Pays) puisse être candidat sur une liste Tahoera’a. On m’a opposé un "niet". Aujourd’hui nous nous donnons les moyens de placer des candidats en phase avec l’action du gouvernement.

L’avenir du parti, comment vous apparaît-il dans ces conditions-là ?

Edouard Fritch : Je ne veux pas faire de déclaration là-dessus. L’avenir du Tahoera’a Huira’atira se jouera en effet dans les mois à venir. Nous devrons avoir des discussions, peut-être pas avec la direction du parti, mais en tous cas nous devons faire le point avec les élus. Je crois que cette conception ne correspond plus à celle du président du Tahoera’a. Mais ce qui me préoccupe ce n’est pas l’avenir de mon parti – parce qu’il n’a aucune raison d’imploser comme il le fait aujourd’hui –, non, mes soucis c’est la relance économique de ce pays, l’ouverture rapide de grands chantiers… Ma préoccupation est celle de la Polynésie française et pas celle du Tahoera’a Huira’atira. Nous avons trois années pour travailler ensemble avec toutes les forces vives de ce pays et, pourquoi pas, avec toute la représentation à l’Assemblée de Polynésie française : c’est nous qui viendrons créer le buzz. Ce n’est pas l’avenir du parti que je regarde aujourd’hui, c’est avant tout celui du pays.

Dans trois ans, souhaitez-vous être reconduit à la Présidence aux prochaines élections territoriales ?

Edouard Fritch : 2018, c’est un peu loin pour moi. Un nouveau mandat à la Présidence, ce n’est pas ma préoccupation. C’est vrai que je l’ai déclaré à la télévision, en décembre dernier ; mais si M. Flosse est rétabli dans ses droits, pourquoi ne pas repartir sous sa bannière ? Aujourd’hui, il manifeste d’une façon claire sa volonté de nous écarter du Tahoera’a Huira’atira. Le moment venu, nous prendrons des mesures. Mais je ne peux rien vous dire sur ce qui se passera en 2017 (législatives, NDLR) ou en 2018.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Vendredi 24 Avril 2015 à 11:52 | Lu 5493 fois