Drôle de rencontre



Un dernier coup dans cette dernière boîte. Il est trop tard, il n’y a plus rien à espérer. Je croiserais peut-être une fille, mais pas sûr vu mon état et celui des copains. L’ivresse m’a toujours rendu lucide. 

C’est blindé, c’est la queue pour accéder au comptoir et que la serveuse puisse prendre notre commande. La musique est trop forte, on se parle sans vraiment se parler. Les corps se frôlent, on est en sueur mais rien de sensuel. C’est une boîte glauque comme il en existe de nombreuses à Papeete, spécialisées dans les fins de soirée. C’est comme dans un métro bondé. Trop de gens, trop de monde. Des fois y a un type un peu plus bourré que les autres qui a envie d’avancer. Il bouscule une ou deux personnes, vocifère et agite ce tas d’humains. Ça tangue. 

La musique hurle. On croise l’autre, anonyme, on regarde dans les yeux mais pas trop, ce serait con de se prendre un coup pour un regard mal adressé. Ou en tout cas mal reçu.

L’endroit est sombre, beaucoup trop sombre. Tant bien que mal j’avance vers le comptoir. J’ai perdu les copains. Je croise une jolie fille qui fait le chemin inverse. Elle affronte la foule avec ses deux bières, son décolleté et un sourire tranche papaye. Je ne suis plus très loin.
Je joue des épaules, je me faufile et j’arrive enfin à destination. Le bar est sombre à l’exception d’une barrière de LED bleues aveuglantes située en hauteur. Je ne sais pas pourquoi je tourne la tête à gauche et je vois un grand type accoudé à deux mètres de moi. Il a le haut du corps ample et délié, des bras immenses. Ça doit être un super rameur pour être taillé comme ça. Il tourne la tête vers moi et là j’en perds mes mots. Ce type est d’une beauté insensée. Ses yeux en amande sont dessinés à la perfection, son nez est fort et son sourire, c’est de l’ultra bright de chez ultra bright. Son regard est sombre, puissant mais bienveillant. Ce type dégage un mana extraordinaire.

Les mecs c’est pas mon truc. Mais là, force est de constater que mes mots ne suffisent pas. Je suis sûr d’être en face d’un héros polynésien qui est revenu sur terre, ce n’est pas possible autrement. Et il est dans ce bar pitoyable ! Gamin, les Hiro, Tāne et autres Māui, je les imaginais un peu tous pareil. Beaux et forts avec cette tête-là. Forts et beaux, et pleins de mana. Je me dis que je pourrais lui parler, l’aborder, mais pour lui dire quoi : « C’est bon Hiro, t’as arrêté de voler des îles ? ». Autant fermer ma gueule.

D’ailleurs, j’ai capté le regard de la serveuse, je vais enfin pouvoir commander. Je jette un dernier regard. Le type n’est plus là ! Il s’est volatilisé. J’ai quand même pas halluciné ! Et c’est pas possible de disparaître comme ça ! Je commande mes deux bières et j’interpelle la serveuse : « T’as vu le mec qu’il y avait à côté ? ». Elle lève les yeux au ciel et me fait comprendre que y avait rien. J’hallucine. Je file les bières à un pote. Je vais sortir fumer une clope, j’ai besoin d’air. Demain sera un autre jour. Un jour peut-être sans tūpāpa'u.

Olivier Esnault