Droits d'auteur : La SACEM intervient pour pallier les carences de la SPACEM


Réunion SACEM, lundi soir à l'hôtel Le Méridien.
Laurence Bony et Claude Gaillard, respectivement Directrice des affaires internationales et Responsable de la direction des sociétaires à la SACEM, deux hauts responsables de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, sont en mission sur le territoire, pour une semaine à la rencontre des artistes et des utilisateurs de musique. Il s'agit de leur troisième déplacement en Polynésie depuis la rupture du contrat de représentation réciproque qui liait la SACEM et son homologue polynésien, la SPACEM, jusqu'en décembre 2010. Depuis lors, 57 artistes locaux, les principaux éditeurs de musique, ont quitté la SPACEM pour rejoindre la SACEM, leur droits étant dorénavant gérés depuis Paris.

Vaste chantier, pour ces deux émissaires de la société métropolitaine de gestion de droits d’auteurs : l’objectif est de restaurer, progressivement, les conditions sur le territoire, du respect des droits d’auteur.
Dans les bars, dans les hôtels, à la télévision, sur les radios, dans les magasins, la musique est partout et partout nécessaire dans le cadre d’une exploitation commerciale.
« L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporel, exclusif et opposable à tous. Ce droit exclusif est reconnu à l’auteur afin de le protéger contre toutes les manipulations de ses œuvres par des tiers, sans son consentement. », précise l’article 1er de la Loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique. Le doit d’auteur a vocation à permettre aux artistes de vivre de leur art. Il en va ainsi dans la plupart des pays développés. Mais pas à Tahiti : au plan du respect des droits d’auteur, du règlement des droits de reproduction mécanique, du droit d’exécution publique, et de la sauvegarde des intérêts des artistes, le pays est devenu une zone de non droit depuis l’effondrement de la Société polynésienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, la SPACEM, à la suite en janvier 2011, de la dénonciation et de la rupture par la SACEM du Contrat de représentation réciproque.

La SACEM a dénoncé des dysfonctionnements sévères et assigné la SPACEM devant le Tribunal de grande instance de Nanterre, la procédure judiciaire est en cours. En effet, de 2001 à 2010, les comptes de la SPACEM n'ont été ni arrêtés ni soumis à l’approbation de l’Assemblée générale de ses sociétaires; la SPACEM n'a fourni à la SACEM aucune information lui permettant de procéder aux opérations de répartition. Dans le même temps, la SPACEM n'a versé aucun droit d'auteur à la SACEM et à la Société des droits de reproduction mécaniques, la SDRM, à raison de l’exploitation en Polynésie française des répertoires qu’elles représentent.

De son côté la SACEM a adressé à la SPACEM, pendant la période de 2001 à juillet 2009, une somme globale de 242 millions Fcfp, au titre de l’exploitation du répertoire de la SPACEM hors de la Polynésie française.
Parallèlement plusieurs audits, qui ont abouti à la mise sous administration provisoire de la SPACEM par ordonnance du Tribunal civil de Papeete en 2005, de même que le rapport établi par l'administrateur ainsi désigné, ont fait apparaître d'importants dysfonctionnements dans la gestion de la SPACEM.
La SPACEM avait été créée le 28 juillet 1978 avec le statut de société civile et dotée dès 1979 d’une forte légitimité grâce à un Contrat de représentation réciproque qui la liait avec la SACEM. La SPACEM avait alors mission de percevoir, en Polynésie française, les droits d'auteur, tant pour son répertoire propre et celui SACEM que pour le répertoire international des autres sociétés d’auteurs qu’elle représente par le biais des contrats de représentation signés avec 114 sociétés d'auteurs étrangères de 90 pays.

Ce contrat prévoyait aussi que la SPACEM bénéficiait de la coopération technique de la SACEM qui devait effectuer pour son compte toutes les opérations de répartition des droits, y compris pour les auteurs, compositeurs et éditeurs membres de la SPACEM.
La SACEM et la SDRM ont dû mettre un terme à ce contrat avec effet au 31 décembre 2010. Depuis cette date, la SPACEM n’est plus habilitée à gérer les répertoires de la SACEM et de la SDRM ainsi que ceux des sociétés d’auteurs étrangères qu’elles représentent.
La Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs, CISAC, devrait voter l’exclusion de la SPACEM en juin prochain. Un audit mené en 2010 par la CISAC au sujet du fonctionnement de la SPACEM a en effet conclu à un certain nombre de carences auxquelles la SPACEM ne semble pas avoir remédié depuis lors. Le conseil d’administration de la Cisac qui s’est réuni en mars dernier à Istanbul, a pris la décision de soumettre à l’approbation de son assemblée générale, l’exclusion de la SPACEM, en juin prochain à Dublin.

Claude Gaillard : Responsable de la direction des sociétaires à la SACEM


Tahiti infos : C’est le troisième déplacement que vous faites en Polynésie, pour le compte de la SACEM. Quel est votre objet ?

Claude Gaillard : C’est en effet la 3e visite que nous faisons sur le territoire de la Polynésie avec Mme Bony. Nous sommes venus ici en réponse à un appel qui nous avait été adressé par un certain nombre d’auteurs de Polynésie qui n’étaient pas du tout satisfaits de la façon dont les droits étaient gérés sur place, du fait de dysfonctionnements sévères à la SPACEM : la SACEM ne pouvait pas rester indifférente à l’appel de ces sociétaires qui étaient désemparés. Nous sommes donc venus ici pour procéder à une évaluation de la situation ; nous avons, vous le savez, dénoncé nos accords de partenariat avec la SPACEM, ce qui fait que nous sommes directement à même de gérer notre répertoire, à savoir le répertoire « international » que nous confient les sociétés étrangères ainsi que le répertoire de ceux des auteurs polynésiens qui ont choisi de quitter la SPACEM et de rejoindre la SACEM – et il sont nombreux. Ce qui fait que nous sommes en situation d’exercer un répertoire très considérable auprès des différents usagers de la Polynésie française.

Tahiti infos : Quelle problématique rencontrez-vous dans le cadre de cette action en Polynésie ?

Claude Gaillard : Nous avons à faire parfois à des usagers qui sont déroutés par le fait qu’il y a deux sociétés aujourd’hui sur le territoire. Ne sachant à qui payer la redevance de droit, elles refusent de libérer les sommes, préférant les réserver, dans l’attente d’une situation jugée plus claire. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’en ce qui nous concerne, nous représentons un répertoire tout à fait considérable : c’est le répertoire des musiques du monde entier ; celui des chansons françaises ; celui d’une partie importante des créateurs polynésiens également. Ce qui fait que notre répertoire représente, selon les diffuseurs, plus de 99% du répertoire interprété. De ce fait, nous invitons tous les créateurs polynésiens à rejoindre la SACEM, pour que décidément nous ayons une complète représentativité de l’ensemble des œuvres jouées sur le territoire.

Tahiti infos : La SPACEM a-t-elle toujours légitimité à prélever redevance, auprès des utilisateurs de musique en Polynésie ?

Claude Gaillard : Nous avons dénoncé nos accords avec la SPACEM depuis le 1er janvier 2011. C’est à dire que depuis lors, la SPACEM n’a strictement aucune compétence pour gérer, autoriser, percevoir les redevances qui s’attachent à notre répertoire SACEM, au répertoire international et au répertoire polynésien que nous représentons. Donc si la SPACEM prétend intervenir, délivrer des autorisations sur ces répertoires, elle trompe ses interlocuteurs. La SPACEM ne jouit d’aucun monopole de fait, sur le territoire de la Polynésie française : cette situation a parfaitement été confirmée et confortée par des courriers très officiels, qui ont été adressés notamment par l’antenne locale du CSA aux radios établies sur le territoire de la Polynésie. Donc la SPACEM, aujourd’hui, ne peut délivrer d’autorisation et percevoir de droit que pour son seul répertoire, c’est à dire celui des auteurs et compositeurs qui sont encore membres de la SPACEM. Il s’agit d’une proportion extrêmement faible des musiques qui sont jouées sur le territoire.

Tahiti infos : Etes-vous là, pour convaincre les auteurs et compositeurs encore affiliés à la SPACEM de rejoindre la SACEM ?

Claude Gaillard : Oui, mais en même temps leur dire qu’en rejoignant la SACEM ils entrent dans une organisation qui est représentée dans le monde entier et qui est susceptible, par la puissance de ses moyens, de leur apporter en tant qu’artiste, une capacité d’écoute et de gestion des droits d’auteurs sans commune mesure avec ce que nous observons à la SPACEM. Ce qui nous navre, c’est qu’actuellement les auteurs et créateurs polynésiens, qui sont extrêmement talentueux et créatifs, n’ont pas le soutien qu’ils méritent de la part de leur société de gestion, sur le territoire de la Polynésie. C’est la raison pour laquelle la SACEM a décidé de mettre un terme à cette situation en dénonçant son contrat de réciprocité avec la SPACEM et en invitant les auteurs qui le souhaite à nous rejoindre afin de mieux représenter leurs droits.

Tahiti infos : Les autorités locales sont-elles sensibles à cette situation ?

Claude Gaillard : Nous avons eu des contacts avec la ministre de la Culture et son directeur de cabinet, lors de notre précédente visite en Polynésie française. Ce que nous attendons, c’est la décision de justice qui doit être rendue prochainement par le Tribunal de Nanterre compte tenu de l’action intentée par la SACEM à l’encontre de la SPACEM. Je pense que lorsque ces décisions de justice seront connues et rendues, les autorités locales en tireront les conséquences.

Laurence Bony, directrice des affaires internationales à la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, SACEM.


Mon rôle c’est d’assurer la protection du répertoire de la SACEM, partout dans le monde. C’est pour cela que je m’intéresse à la Polynésie parce que même si nous sommes sur un territoire français, il existait avant une autre société d’auteurs (la SPACEM, ndlr) distincte de la SACEM qui gérait ce territoire. Et c’est pour cela que cela relève de l’international.

Tahiti infos : Comment assure-t-on la protection de la musique ?

Laurence Bony : Effectivement, dès que l’on utilise de la musique dans le cadre d’une activité commerciale, notre rôle est de faire en sorte que cela soit fait sous contrat avec nous, pour que nos membres puissent être rémunérés.

Tahiti infos : La présence de la SPACEM en Polynésie française, cause-t-elle un trouble dans ce contexte ?

Laurence Bony : La SACEM représente 40 millions d’œuvres musicales, de par son répertoire international. Nous sommes seuls localement à représenter un tel répertoire : 40 millions d’œuvres musicales, directement au répertoire de la SACEM et toutes les œuvres du répertoire étranger des 112 sociétés d’auteurs avec qui nous avons des accords de représentation, pour le territoire français. Ce qui est indiscutable c’est la force de notre répertoire. Et puis j’ajoute que parmi ces 40 millions d’œuvres, il y aussi un grand nombre d’œuvres polynésiennes, puisque la SACEM représente de nombreux auteurs et éditeurs polynésiens.

Tahiti infos : Combien vous ont rejoint depuis que vous avez dénoncé votre contrat de représentation avec la SPACEM, début 2011 ?

Laurence Bony : Il y en a quelques dizaines qui nous ont rejoints ces derniers mois. Régulièrement on reçoit des demandes, soit de jeunes artistes qui ne sont liés à aucune société d’auteurs et qui se tournent spontanément vers nous pour la protection de leurs droits, soit des personnes qui étaient auparavant sociétaires de la SPACEM et qui ne recevant plus aucune nouvelle de cette société et surtout plus aucun droit, se tournent vers nous pour que l’on assure leur protection.

Tahiti infos : Il semble que la CISAC envisage l’exclusion de la SPACEM, prochainement. Qu’avez-vous à dire à ce sujet là ?

Laurence Bony : Je pense que c’est l’aboutissement d’un long processus là aussi, puisque la communauté internationale des sociétés d’auteurs est excédée par l’incapacité de la SPACEM à protéger son répertoire ici en Polynésie. Cela fait plus de 12 ans maintenant que les auteurs de toutes les sociétés du monde ne reçoivent plus un centime à raison de l’exploitation de leurs œuvres ici en Polynésie. Je crois que cette proposition de la CISAC est la conclusion d’un processus : un audit fait par la CISAC, il y a quelques années, avait indiqué que la SPACEM devait prendre des mesures importantes pour remédier à des manquements. La SPACEM n’a rien fait. La CISAC a été obligée d’en tirer les conséquences. Lors de sa prochaine assemblée générale, en juin, l’exclusion de la SPACEM sera proposée au vote. Le cas échéant, la SPACEM se verra exclue du réseau international des sociétés d’auteurs et donc ne sera plus considérée comme une société qui respecte les règles de déontologie de la CISAC.

Tikahiri : à la SPACEM "l'argent était distribué à qui ils voulaient"


Tahiti infos : Vous étiez sociétaires SPACEM. Qu’est-ce qui vous a conduit à confier la protection de vos droits à la SACEM ?

Aroma Salmon : On pensait être sociétaires de la SPACEM … A la création de Tikahiri, on a déposé nos morceaux, on est passé en commission ; on nous avait expliqué que l’on toucherait nos premiers droits au bout d’un an. Pendant deux ans les morceaux sont passés à la radio, en boucle. On s’est étonné de ne rien recevoir. (…) Pour notre deuxième album, ils n’ont pas réuni de commission pour inscrire nos morceaux, nous expliquant qu’ils ne pouvaient pas réunir une commission spéciale à la demande. On est allé les voir, on a dû remplir un formulaire, puis un autre que l’on avait déjà remplis. Ils ont cherché notre dossier… Bref, tout ça pour apprendre, deux ans plus tard, que l’on est toujours pas inscrits à la SPACEM ; et qu’il faut être inscrit pour pouvoir toucher des droits. Par contre on nous a demandé de payer les timbres SPACEM pour pouvoir sortir nos CD. On est allé voir Luc Faatau, le directeur, pour lui expliquer ce qu’on pensait de tout ça : qu’il n’était pas de bonne foi.
On a donc décidé, à partir de ce moment, de devenir sociétaire de la SACEM. Finalement, on a jamais été à la SPACEM. Mais on a appris plus tard que, pendant qu’on pensait être inscrits, la SACEM reversait de l’argent à la SPACEM, pour les morceaux qui passaient en métropole. Et je pense que l’argent était distribué à qui ils voulaient.


Mano Salmon : On n’est pas les seuls dans cette situation.

Aroma Salmon : C’est normal que les artistes quittent la SPACEM pour rejoindre la SACEM, parce que ce qu’il se passe n’est pas juste.

Tahiti infos : Quand vous êtes vous inscrits à la SACEM ?

Aroma Salmon : Ca fait un an et demi. Trois semaines plus tard : boom, un chèque. Quand il y a quelqu’un de volontaire face à toi, les choses avancent ; spontanément tout se met en place. On a bien vu que du côté SPACEM il y avait anguille sous roche : ils ne sont pas de bonne volonté.

Tahiti infos : Vous êtes à la SACEM depuis plusieurs mois, quel bilan faites vous ?

Aroma Salmon : Dès la troisième semaine après avoir signé avec la SACEM on recevait un chèque. Aujourd’hui, régulièrement de l’argent tombe sur le compte ; on peut suivre les morceaux à la trace, sur le site internet SACEM. Tout est clair et net. Et même quand tu discutes avec eux, c’est simple, limpide. Ca avance, et ça va vite.
Nous, on s’autoproduit, cet argent nous est utile : il nous permet de financer nos albums ; on est train de tourner un clip, en ce moment ; on finance nos déplacements.



Tahiti infos : La réunion organisée à l’hôtel Le Méridien, lundi 23 avril, vous a-t-elle semblé utile ?

Aroma Salmon : On est allé pour maintenir le lien avec Laurence Bony et Claude Gaillard. Laurence Bony qui nous a dit lundi « les garçons, j’ai vu que vous m’avez citée dans les remerciements de votre CD », c’était vraiment tout petit, parmi d’autres remerciements : là on a bien vu qu’elle a détaillé précisément l’album, alors qu’elle est en charge de tout le catalogue international.


Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mardi 24 Avril 2012 à 10:29 | Lu 5117 fois