Des requins et des hommes en Polynésie : quelles interactions ?


A Moorea, dans le lagon, de nombreux prestataires d'activités touristiques proposent une observation des raies attirées par du nourrissage artificiel. Dans leur sillage, les requins ne sont jamais très loin.
MOOREA, le 4 décembre 2014. Le Criobe (Centre de recherches insulaires et observatoire de l'environnement) basé à Moorea a lancé, depuis quelques mois, une nouvelle étude sur les requins en Polynésie sur deux axes principaux. L'un s'intéresse au shark-feeding pour mesurer l'impact de cette pratique sur le comportement des requins. L'autre est une étude de la relation hommes-requins dans la culture polynésienne.

Depuis 2006, les requins sont protégés en Polynésie et la pêche pour leurs ailerons est interdite. Sur les requins, le Criobe a mené déjà diverses études générales ou particulières par espèces ou selon les sites. Cette fois la démarche opérée est de mesurer l'impact du shark-feeding sur le comportement de ces animaux et, enfin, de faire un inventaire le plus exhaustif possible des représentations et de la relation entre les hommes et les requins au cours des deux millénaires que les deux espèces ont déjà traversés en commun.

L'étude, sous l'égide du CNRS, démarrée au 2e semestre 2014 va se poursuivre encore tout au long de l'année 2015 et a obtenu des financements de l'Etat. Les travaux seront menés par un étudiant en thèse et par un chercheur en post-doctorat sous la direction de scientifiques et de chercheurs affiliés au Criobe.
Bien que souvent décrié, le shark-feeding (ou nourrissage des requins) n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Dans le cadre d'activités éco-touristiques l'approche de la faune marine par ce biais crée du développement économique en même temps qu'elle renforce une image plus positive des requins. Aussi le postulat de base n'est pas négatif. L'étude devra néanmoins tenter d'évaluer l'impact de ces activités sur les espèces. "Chez certaines espèces exposées à un approvisionnement artificiel en nourriture, le budget temps consacré aux activités de prospection est réduit au profit d'autres activités, comme le repos, la socialisation ou les déplacements. Cela peut se traduire par une réduction du territoire, une augmentation des activités de reproduction, de taille, de groupe, de densité". Qu'en est-il pour les requins en Polynésie ? On sait par exemple que le requin-citron de Polynésie "semble répondre au nourrissage par une augmentation de sa fidélité au site". Mais on ne sait pas quelle est l'attitude des autres espèces.

L'autre axe de l'étude s'appesantira sur l'interaction hommes-requins. L'homme polynésien a su observer de façon suffisamment fine les comportements des requins "au point d'en faire un animal protecteur, une divinité révérée, un vecteur de communication entre le visible et l'invisible, autant qu'une proie animale" note la synthèse préliminaire. L'étude s'attachera à suivre cette évolution jusqu'à aujourd'hui. Seront également abordés les rites de la pêche au requin -notamment aux Tuamotu-, mais aussi le requin dans la religion ancestrale. Messagers, porteurs de signes, "le requin était souvent le taura, l'esprit gardien du clan", mais aussi "un esprit dangereux envoyé par les dieux lors de la violation d'un tabu". Les rites funéraires avec inhumation en mer dans les Tuamotu plaçaient notamment le requin comme vecteur imaginaire pour le passage du statut de défunt à celui d'ancêtre. Et aujourd'hui ? Comment le requin est-il réellement perçu par les populations polynésiennes ? Après les images d'hystérie collective véhiculées par le cinéma, avec les échos de la dangerosité des requins dans d'autres océans, avec les pratiques de shark-feeding générant quelques accidents –légers jusqu'à présent- la perception a-t-elle changé ? Réponse dans 18 mois environ.

Rédigé par Mireille Loubet le Jeudi 4 Décembre 2014 à 16:57 | Lu 2604 fois