Des plantes pour colorier


Fibres végétales teintes en teintures naturelles
TAHITI, le 9 septembre 2016. Quelques plantes polynésiennes permettent, grâce aux pigments contenus dans leurs fleurs, leurs feuilles, leurs baies, leur bois ou leurs racines, de fabriquer des teintures colorées : ce sont les plantes tinctoriales. Tahiti Heritage vous en présente quelques unes.
Une plante tinctoriale est une plante qui produit naturellement des pigments qui une fois extraits étaient utilisés autrefois principalement pour colorer les tapa ( tissus végétaux), mais aussi les monoï. Les pigments sont, selon les cas, contenus dans les feuilles (tou), les fruits (mati) ou les graines (rocouyer, tamanu), les racines (curcuma), l’écorce (nono), ou encore la sève (fei).

Une vaste palette de couleurs naturelles

Les plantes polynésiennes proposent une vaste palette de couleurs de teintures. A l’exception de la couleur bleue, tous les autres tons peuvent s’obtenir à partir des plantes tinctoriales.

Noire
-Apape, (Rhus taitensis), feuilles.
-Tiairi, Bancoulier (Aleurites moluccana), amandes calcinées.
-Tutae pua’a, (Mucuna gigantea), feuilles.

Jaune
-Nono, (Morinda citrifolia), partie interne d’écorce de racine,
-Miro, Bois de rose (Thespesia populnea), fruit,
-Tamanu, (Calophyllum inophyllum), amande pilée
-Curcuma, (Rea tahiti) rhizome,

Rouge
-Motuu, (Melastoma denticulatum), baies,
-Fenia, (Homalanthus mutans), partie interne d’écorce du tronc,
-Mape, Châtaigner tahitien (Inocarpus fagifer), sève,
-Nono, (Morinda citrifolia), râpure d’écorce du tronc,
-Rocouyer, uefa (Bixa orellana), fruits

Rosée
-Tiairi Bancoulier (Aleurites moluccana), partie interne d’écorce du tronc.
-Aito Arbre de fer (Casuarina equisetifolia), partie interne d’écorce du tronc.

Brun
-Mati (Ficus tinctoria), baies et Tou (Cordia subcordata), feuilles.
-Bananier (Musa spp.), sève.

Orange
-Pua (Fagraea berteriana), fruits mûrs.
-Fara, Pandanus (Pandanus tectorius), partie interne d’écorce de la racine ;

Violet
-Aute, Hibiscus (Hibiscus rosa-sinensis), fleurs,
-Purau (Hibiscus tiliaceus), fleurs.
-Fei, Bananier plantain des montagnes (Musa trogodytarum), sève.

Vert
-Papayer (Carica papaya), feuilles.

Teinture jaune obtenue avec des racines de nono

L’extraction des teintures

La manière de procéder à l’extraction des teintures à partir des végétaux varie suivant la partie de la plante qui est utilisée.
- les feuilles sont pilées finement, puis additionnées d’eau fraîche ;
- la sève est extraite des troncs (fei, bananier) qui sont coupés puis écrasés ou des graines (mati) qui sont pilées ;
- l’écorce externe est retirée, l’écorce interne est grattée, recueillie et écrasée, puis mise à macérer dans un peu d’eau fraîche ;
- les fruits ainsi que les racines sont râpés puis pressés de leur jus. Les noix calcinées de Tiairi sont écrasées puis additionnées d’un peu d’eau fraîche.
A l’issue de chacune des opérations d’extraction de la teinture, celle-ci est passée dans un tamis. Aux teintures obtenues par ces différentes techniques, il est souvent nécessaire pour fixer les couleurs, d’ajouter de la poudre de feuilles de opuhi Tahiti pilées.

Rocouyer
Le rocouyer, appelé à Tahiti « rouge à lèvres » est connu depuis longtemps pour ses graines rouges, qui permettent d'obtenir différentes nuances de rouges. Les Indiens d'Amérique, notamment, l'utilisaient pour leurs peintures corporelles. Actuellement le rocouyer est utilisé pour produire un colorant alimentaire sous le code E160b, qui apporte cette couleur orangée aux fromages comme la mimolette ou le cheddar, aux filets de haddock, aux chips...

Fei
Le fei est un véritable arsenal de matières colorantes. La pulpe du fruit, qui est colorée en rouge à maturité, vire au jaune orangé après cuisson. Le colorant passe dans les urines, qu'il teint en jaune verdâtre. Cette coloration des urines est d'une telle intensité qu'elle ne manque pas d'inquiéter sérieusement ceux qui, venant de débarquer à Tahiti, sont invités pour la première fois à un tamaaraa (repas tahitien).
Le tronc du Fei renferme une sève violacée, qui s'écoule en abondance à la moindre incision. Elle tache le linge d'une manière indélébile. C'est en trempant dans de la sève de Fei des morceaux de bambou effilés que les Tahitiens recopièrent la première Bible apportée par les missionnaires anglicans.

Opuhi tahitien
Les feuilles aromatiques de l’opuhi des vallées, écrasées avec l’écorce de nono donnent un colorant jaune peu solide que les tahitiens stabilisent en ajoutant quelques râpures d’amande d’ati.

Nono
Comme plante tinctoriale, le nono était employé pour teindre les more (jupes de danse en fibres de Purau. Les racines du nono sont râpées avec un couteau, puis la râpure est mise à macérer dans une calebasse avec de l'eau additionnée de jus de citron, le liquide est passé à travers un linge, et les more sont trempés, à froid, dans le bain de teinture ainsi préparé. On obtient une belle teinture jaune-citron, qui résiste aux lavages. Au contact d’une solution basique, la teinture de nono prend une teinte rouge cerise. On tirait parti autrefois de cette réaction en employant un lait de chaux, additionné d'une décoction de racine de Nono, pour badigeonner les murs et les charpentes des maisons.

Papaye
On extrait des feuilles de papaye écrasées une teinture verte, qui était utilisée pour teindre les tapa (tissus végétaux).

Curcuma,
A Tahiti et aux Marquises, le tubercule de Curcuma était largement employé, jusqu'à une époque récente, pour teindre les vêtements. La couleur obtenue, jaune-chrome, était de toute beauté. Au cours des cérémonies païennes, avant la propagation du christianisme, les jeunes gens et les jeunes filles qui prenaient part aux danses rituelles devaient s'enduire le corps d'une teinture dont la préparation, accompagnée de diverses cérémonies, était réservée à de vieux indigènes, opérant en pleine brousse, et loin des villages. Ils râpaient des racines fraîches de curcuma, qu'ils faisaient macérer dans de l'huile de coco, en y ajoutant quelques herbes aromatiques. Quand l'huile s'était suffisamment chargée du principe colorant, il ne restait plus qu'à filtrer et à distribuer le liquide aux danseurs. Ceux-ci, une fois les danses terminées, avaient beaucoup de peine à se débarrasser de cette couleur, malgré des bains fréquents.

Mati
Les feuilles fraîches de Tou mélangées et broyées avec des figues de Ficus tinctoria (Mati) développent une couleur rouge qui servait à teindre les tapa, le visage et le monoï. Les Tahitiens, pour préparer leurs bains de teinture, utilisaient la recette suivante, indiquée par le pharmacien Cuzent :
« Après avoir arraché le pédoncule, on presse légèrement chaque figue de Mati, et on laisse tomber sur une feuille de Tou, les deux ou trois gouttes de suc qui s'écoulent. Les feuilles, une fois imprégnées de ces gouttes, sont empilées les unes sur les autres, les faces de même nature en regard, placées dans un vase en bois, pilées rapidement, et la couleur rouge apparaît instantanément. Le tout est délayé dans un peu d'eau, on passe et on exprime le marc dans une poignée de bourre de coco. C’est dans ce liquide coloré que l’on trempe les tapa que l'on veut teindre en rouge. »
En plongeant dans la teinture de Mati les feuilles finement dentelées de fougère en les appliquant sur leurs étoffes, les anciens tahitiens y reproduisaient en rouge les contours délicats de cette jolie fougère, et obtenaient des tissus imprimés aux dessins très gracieux.

Feuilles de papayer écrasées au penu (pilon en pierre).

Teinture verte obtenue avec des feuilles de papayer.

Des nouveaux colorants naturels

Actuellement, dans plusieurs pays, le développement des recherches de nouvelles sources de colorants tirés du monde végétal montre l’intérêt de valoriser diverses parties de plantes principalement exploitées pour d’autres usages. C'est le cas de notre cocotier dont les jeunes noix vertes donnent une très belle teinture « vieux rose » et des feuilles de Coleus (vieux garcons) qui donnent une belle teinture vert clair.

Sources : Gilbert Cuzent, recherche sur les productions végétales. Edition Haere Po No Tahiti.
Paul Pétard, Les plantes tinctoriales polynésiennes, journal d’agriculture.




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Teinture rouge avec des graines de rocouyer, le rouge à lèvres tahitien.

Curcuma, rea tahiti rapé.

Feuilles de Tou et figues de ati pour teinture brune

Rédigé par TAHITI HERITAGE le Vendredi 9 Septembre 2016 à 15:51 | Lu 6607 fois