Des panneaux solaires pour dessaler l'eau de mer


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Tahiti, le 9 février 2023 – Alors que l'accès à l'eau est un enjeu majeur, notamment pour les îles éloignées, Mascara, une entreprise française, a mis au point une technologie pour dessaler l'eau à partir de 100% d'énergie solaire. Son objectif, produire de l'eau douce et abordable pour tous. Déjà testée pendant deux ans à Bora Bora et installée sur l'atoll de Nukutepipi, la technologie pourrait notamment séduire les municipalités des Tuamotu, où l'accès à l'eau est une réelle problématique.
 
L'eau est un bien rare et précieux. En effet, seule 2,5% de l'eau disponible sur la planète est de l'eau douce. Et l'accès à cette précieuse ressource est l'un des défis majeurs de ces prochaines décennies. Selon l'Organisation des Nations unies, “le changement climatique et la croissance démographique vont doubler la demande en eau d'ici 2030” et “3,9 milliards de personnes pourraient être amenées à manquer d'eau d'ici 2040”, selon l'Organisation de coopération et de développement économiques. Face à cette problématique, la désalinisation de l'eau de mer est une solution salutaire, dont la technique actuellement la plus développée est l'osmose inverse, mais celle-ci nécessite un approvisionnement constant en énergie.
 
Pour permettre l'accès à l'eau dans les îles et les sites éloignées, Mascara, une entreprise française créée en 2014, a mis au point une technologie innovante, Osmosun, qui allie l'osmose inverse et le solaire. “Le solaire est aujourd'hui l'énergie la plus verte, la plus accessible et la moins chère, souligne Martin Bourillet, chargé de projet chez Mascara pour la zone Pacifique, mais aussi une énergie intermittente et fluctuante.” La désalinisation en utilisant le solaire nécessite des groupes électrogènes ou des réseaux électriques constants. Mascara, elle, propose du 100% solaire. “C'est du dessalement au fil du soleil, sans batterie, sans onduleur, sans stockage d'énergie, pour faire du dessalement autonome et écologique sur des sites isolés où l'eau douce manque et où l'énergie est chère ou indisponible”, poursuit Martin Bourillet. “On ne fonctionne que quand il y a de l'énergie solaire, donc en journée. Et quand un nuage passe, l'unité produit moins jusqu'à s'arrêter.” Une soixantaine d'unités sont actuellement en fonctionnement dans le monde, dans une quinzaine de pays, notamment en Afrique, mais aussi en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.

Projet test à Bora Bora

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Un projet test a été monté pendant deux ans, de 2017 à 2019, à Bora Bora “qui a prouvé la possibilité de faire du dessalement au fil du soleil”. Avec 220 panneaux solaires, produisant 70 kilowatts-crête, le système traitait jusqu'à 300 m3 d'eau par jour, immédiatement réinjectés dans le réseau communal. Mais les installations sont diverses en fonction des besoins de chacun. En Europe, une personne consomme en moyenne 150 litres d'eau par jour. Les États-Unis ou l'Australie, qui sont des gros consommateurs, sont à 440 L par jour. Dans les îles, en revanche, où l'accès à eau est souvent problématique, les consommations sont plus basses. “Aux Tuamotu, on est autour de 50 litres par personne et par jour”, précise Martin Bourillet, dont 4 à 5 litres d'eau de boisson.
 
Pour les atolls, le système développé par Mascara pourrait être un complément à la récupération d'eau de pluie. Un projet est d'ailleurs déjà en fonctionnement dans l'hôtel de luxe sur l'île de Nuketepipi au Tuamotu et l'entreprise est en discussion avec les tāvana de différents atolls de l'archipel, qui montrent “un réel intérêt” pour cette technologie, les communes ayant la compétence de l'eau. L'installation d'osmoseurs pourrait également permettre de créer de l'emploi local. “On viendrait renforcer les compétences sur l'hydraulique et le solaire en formant les techniciens dans les communes qui peuvent opérer les machines”, explique le chargé de projet. “On discute aussi avec la Direction de l'agriculture qui souhaite dynamiser l'agriculture maraîchère dans les Tuamotu, qui est indispensable pour vivre et créer de l'activité. Cela nécessite de l'eau et le dessalement solaire peut venir développer l'agriculture dans les îles.”

Expédition d'un an dans le Pacifique

Afin de bâtir des projets adaptés et comprendre les besoins et les enjeux dans la région, avec une approche à la fois sociale, culturelle et environnementale, Mascara lance Kori Odyssey, une expédition d'un an pour aller à la rencontre des différents acteurs de l'eau dans le Pacifique “pour comprendre, sensibiliser et étudier ensemble”. Et pour rester dans une démarche durable et écoresponsable, celle-ci se déroulera en voilier avec, à bord, un osmoseur de démonstration. Le voilier et son petit équipage de trois personnes quitteront Papeete mercredi prochain pour se rendre aux Tuamotu, aux Gambier et aux Australes, puis direction les îles Cook, Niue, Tonga, Fidji et le Vanuatu, où un projet est déjà en cours de réalisation.

Martin Bourillet, chargé de projet chez Mascara pour la zone Pacifique : “Les tāvana sont demandeurs pour sécuriser l'accès à l'eau”

© Anne-Laure Guffroy
Quel est l'intérêt particulier pour la Polynésie d'adopter ce genre de système ?
“En Polynésie, les îles hautes sont plus dotées en eau, mais les atolls, notamment les Tuamotu, ont une vraie problématique d'accès à l'eau. Un peu comme pour le mix énergétique, c'est intéressant pour le mix hydraulique d'avoir plusieurs sources. Aux Tuamotu, l'eau vient de l'eau de pluie, il faut continuer à la récupérer au maximum, mais en période sèche, il y a de grosses problématiques d'eau. Et s'il y a un besoin de dessalement pour sécuriser l'approvisionnement en eau, il est important de le faire proprement avec des techniques de captage et de rejet doux, avec du solaire pour que ce soit à la fois durable et écologique. Et l'intérêt du dessalement solaire, c'est que l'énergie est très chère en Polynésie. Les réseaux électriques dans les îles sont parfois instables ou peu disponibles. Donc le faire en solaire permet d'être autonome et de baisser les coûts d'investissement parce que pas de batterie, pas de groupe électrogène, donc des coûts d'exploitation énergétique nuls et une logistique et une maintenance très simples parce qu'il n'y a pas besoin d'amener du diesel dans les îles.”
 
Il y a actuellement des discussions avec différentes communes. Comment accueillent-elles le projet ?
“Il y a un grand intérêt. Il y a vraiment cette problématique d'accès à l'eau et les communes sont en charge de l'eau en Polynésie. Des discussions sont en cours avec plusieurs communes des Tuamotu pour envisager des projets et s'inscrire aussi dans les processus de financements publics de ces projets. Il y a forcément des études qui doivent être faites par des bureaux d'études indépendants. Le temps est pris pour bien faire les choses et s'inscrire dans ces financements. Mais l'intérêt est là, les tāvana sont assez demandeurs de tels projets pour sécuriser l'accès à l'eau. Donc la technologie c'est une chose, pour avoir quelque chose de robuste, de solaire, peu consommateur d'énergie. Ensuite il faut qu'il y ait un service local, donc on travaille ici avec l'entreprise Aqualter Océa, qui garantit un service de maintenance. On va former ensuite des techniciens des communes pour que les gens aient la compétence locale.”

© Mascara

Rédigé par Anne-Laure Guffroy le Jeudi 9 Février 2023 à 17:35 | Lu 3778 fois