Des éclairs au-dessus du photovoltaïque


Tahiti le 14 mai 2024 – Les producteurs d’énergie solaire, à qui certaines société solaristes ont promis le rachat de leur surplus d’énergie par l’Epic Te ito rau o Moorea Maiao sont mécontents, à Moorea. Leur surplus est injecté dans le réseau sans aucune compensation. L’Epic avance avoir “atteint le maximum de kilowatts solaires” et que seuls les producteurs connus de leur service sont payés.

À Moorea, plusieurs producteurs d’énergie renouvelable notamment solaire se plaignent que des sociétés leur aient vendu “du rêve”. Certaines leur ont promis que le surplus d’énergie solaire injecté dans le réseau de l’Epic Te ito rau no Moorea Maiao leur serait payé en conséquence. Mais près d’un an après que Alain Bonno s’est équipé en panneaux solaires, il n’y a toujours rien en retour. Il affirme que “dans le contrat initial avec Pacifique Solaire, il était convenu que l’achat de ces panneaux va avec la revente de l’énergie non consommée dans le réseau électrique de l'Epic donc facturée à l’Epic”.

La même promesse a été faite à Andréa Narii par Solar Energie, et quelques mois après, elle attend toujours. Tous deux se sentent lésés car “ils nous ont vendu un équipement avec un deal qui n’est pas respecté”, déplore-t-elle.

“Ça ressemble à de l’arnaque”

Andréa Narii et Alain Bonno peuvent suivre toute l’énergie qu’ils produisent, qu’ils consomment et celle injectée sur le réseau de l’Epic grâce à un logiciel. “On a un récapitulatif journalier toutes les 15 minutes donc hebdomadaire,
mensuel et annuel”
, précise Andréa Narii. Grâce à ce suivi, ils voient le surplus injecté dans le réseau “gratuitement et nous on paie quand on consomme leur énergie, surtout le soir car les panneaux solaires ne fonctionnent pas. Il y a quelque chose qui ressemble à ce qu’on peut appeler de l’arnaque”, assure Alain Bonno. Ils demandent que la situation soit réglée au plus tôt.

Quant à la vérification des données, les petits producteurs s’en remettent aux techniciens des ces sociétés. “C’est à eux de nous confirmer si on est dans un basculement de l’énergie produite dans le réseau de manière gratuite alors qu’elle doit être facturée. L’Epic ne nous fait pas de cadeaux, on va faire un traitement égalitaire et équitable.”

Et si cela est “confirmé”, Alain Bonno compte bien demander le remboursement, par l’Epic, de l’énergie consommée. “Il y a une entente à l’amiable à privilégier, maintenant s’il n’y a pas de rapport intelligent, on passera à l’étape suivante, c’est-à-dire l’arbitrage judiciaire.
Il compte mettre en place une association des usagers de panneaux solaires “dont le deal avec les vendeurs n’est pas respecté et de monter au créneau afin de solutionner cela le plus rapidement possible”.

“Je veux être dans la légalité”

Noarii Haring a investi près de cinq millions en panneaux photovoltaïques. “C’est pour payer moins cher mon électricité car je fais de la location saisonnière.” Trois mois après il attend toujours des nouvelles. “Je veux pouvoir injecter mon électricité sur le réseau, l’Epic m'a dit que ce n'est pas possible, car il y a trop de surtension. J’ai demandé de passer en autoconsommation, l’Epic m'a dit de revoir les micros-onduleurs pour ne pas qu’ils injectent de courant sur le réseau lors de leur production. Cela complique encore les chose.”

Il ne comprend pas cette situation car la vente de panneaux solaires n’est pas “interdite” et pourtant “on ne m’autorise pas à les utiliser, c’est cela qui est fou, alors je me retrouve coincé”. Il est conscient que l’installation de batteries pour stocker son énergie peut être une solution mais “ce sera encore des millions à sortir de ma poche et je n’ai pas prévu cela”.

“Si ce n’est plus un investissement viable autant l’interdire. Il ne faut pas nous vendre du rêve.” Pour Noarii Haring, si d’ici septembre-octobre il ne peut toujours pas faire de l’autoconsommation et se connecter au réseau, il prévoit
de “demander un remboursement à Pacifique Solaire. Je n’ai pas le choix, c’est de l’argent qui dort”.

“On ne peut pas s’engager pour les concessionnaires”

Le directeur de Sunzil Polynésie, Jimmy Wong est au courant des problèmes relatifs au sous-dimensionnement des câbles qui alimentent le réseau dans certaines zones de Moorea. “Le nombre important de producteurs solaires provoquent des surtensions et donc l’Epic a décidé, en attendant de trouver des solutions pérennes, de ne pas autoriser la réinjection d’énergie photovoltaïque supplémentaire sur ces réseaux-là”, précise-t-il. Il ajoute également que ce problème de sous-dimensionnement est “global” puisqu’à Tahiti il y a la même problématique. “On a demandé aux autorités que le renforcement du réseau soit pris en charge par EDT car c’est son réseau et c‘est aussi pour promouvoir le photovoltaïque, comme c’est la volonté affichée du gouvernement”. Selon lui, un texte dans ce sens, serait dans les tuyaux. “Cela peut-être des montants
importants et ce n’est pas cohérent que ce soit l’abonné qui renforce tout le réseau d’un quartier alors que cela ne dessert pas que lui”
, explique-t-il.

Concernant l’Île Sœur, le directeur de Sunzil Polynésie affirme que l’Epic “s’organise et planche sur le schéma directeur”. Il reste confiant et pense que l’Epic va faire des propositions à ses abonnés car “leur volonté, c’est de développer le solaire, comme ils nous l’ont dit”. Pour lui, la décision de l’Epic de limiter ou de refuser que les nouveaux producteurs injectent le surplus de leur énergie dans le réseau est “temporaire”.

Pour le raccordement de ses clients au réseau de l’Epic, il assure qu’“il ne peut pas s’engager pour les concessionnaires, cela dépend d’eux mais on leur prépare les formalités”.

Contactées les sociétés Pacifique Solaire et Solar Energie n’ont pas voulu s’exprimer sur le sujet.

“La moitié n’est pas connue de nos services”

Contacté le directeur de l’Epic Te mau ito rau No Moorea Maiao, Jean-Pierre Le Loch confirme que le réseau électrique définit en 2006 et raccordé à la centrale thermique “n’est pas dimensionné pour être alimenté par les producteurs”. Selon lui, ce réseau est alimenté par “300 entrées qui perturbent la qualité du courant électrique et peuvent détériorer la centrale thermique”. Mais il pense qu’une part importante des producteurs solaires n’est pas connue. Seuls les producteurs connus de leur service sont rétribués pour l’énergie injectée.

Le responsable du solaire et directeur du système informatique John Lau considère qu’aujourd’hui “c’est tellement facile d’acheter des panneaux solaires. Tu les poses, tu branches sur la prise électrique et c’est bon. Sauf qu’il y a un problème de sécurité car si nos agents travaillent sur le réseau et ne savent pas que tu injectes ton énergie, il peut y avoir une électrocution. Il y a aussi le problème de surtension”.

En effet, la tension “normale” est de 220 volts avec une variation de 10% en moins ou en plus. “Il y en a qui injecte du courant au-dessus de 242 volts et c’est là qu’on parle de surtension.”

Pour l’Epic, les installateurs doivent accompagner leurs clients pour ce qui est des dangers électriques de leurs agents et aussi “installer, juste avant le compteur électrique, un système pour protéger le réseau : soit un onduleur ou des batteries. Et si ces appareils n’existent pas, on n'est pas censé accepter leur production pour des raisons de sécurité surtout que certains onduleurs sont réglés parfois jusqu’à 270 volts.

“On a atteint le maximum de kilowatts solaires”

Autre problème auquel doit faire face l’Epic, même s’il a pour obligation de prendre le surplus d’énergie, une fois le maximum de kilowatts solaires atteint, “on ne peut pas aller au-delà car le Pays nous impose des règles strictes autant sur le solaire que pour l’exploitation de l’énergie à partir d’une centrale thermique”, assure le responsable du solaire John Lau.

La limite, pour Moorea, a effectivement été fixée à 1,3 mégawatt crête qui est largement dépassée aujourd’hui. “Quand j’ai fait le total des producteurs d‘énergie, ils représentent 1,9 mégawatt, on dépassait déjà la limite”. C’est ce qui explique que de nombreuses surtensions soient constatées dans certains quartiers résidentiels.

À ce propos, le conseil d’administration de l'Epic, présidé par le tāvana Evans Haumani “doit prendre une délibération et se rapprocher du service de l'énergie”, informe Jean-Pierre Le-Loch. “La démarche est longue notamment les études (…). On ne veut pas dire non aux producteurs solaires mais on veut faire les choses pour protéger le réseau et la centrale thermique.”

L’Epic rappelle d’ailleurs aux producteurs qu’ils n’ont pas l’obligation d’injecter leur surplus sur le réseau et considère que les installations solaires privées sont là pour “satisfaire leurs attentes puisqu’ils font des économies sur leurs factures. La première démarche pour eux, c’est d’être consommateur pour leur propre installation”.

Le directeur de l’Epic Te ito rau non Moorea Maiao Jean-Pierre Le-Loch ajoute que les membres du conseil d’administration sont “favorables” à la transition énergétique à Moorea “mais pas sans compréhension des risques et des devoirs”.

17,8 millions de francs d’amende pour les contrevenants

Le code de l’énergie stipule que “le fait d’exploiter une installation de production d’électricité sans être titulaire d’une autorisation est puni d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 17 800 000 de francs”.

Les solaristes coupables de cette infraction encourent également “la fermeture temporaire ou à titre définitif de l’un, ou de l’ensemble de [leurs] établissements, l’interdiction d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise”.

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun le Mercredi 15 Mai 2024 à 00:41 | Lu 3695 fois