Des analyses génétiques révèlent l'histoire d'amour ancestrale entre les algues et les coraux


Lors des épisodes de blanchissement du corail, les polypes éjectent toutes leurs algues Symbiodinium. Si l'épisode est temporaire, le corail peut récupérer ses algues symbiotiques et survivre. S'il est trop long, le corail meurt. Étudier cette relation symbiotique compliquée est donc essentielle pour sauver nos récifs.
PAPEETE, le 24 août 2018 - Le corail et son algue symbiotique ont une relation intime et complexe : l'un ne peut pas vivre sans l'autre. On connait encore très mal ce mariage, qui forme pourtant la base de tous nos récifs et du plus important écosystème marin au monde. Mais la science progresse : un chercheur du Criobe, en collaboration avec une équipe internationale, vient de décrypter le génome de l'algue Symbiodinium. Ces travaux mettent en lumière les adaptations qui permettent à cette plante de vivre... Dans un animal !

Le corail qui nous est si familier est créé par un petit animal, le polype, de la même famille que les méduses. Beaucoup moins mobile que sa cousine, le polype vit en colonies où tous participent à bâtir un grand exosquelette qui protège tout le groupe des prédateurs et des éléments. Ces patates de corail s'accumulent et forment, au cours des millénaires, toutes les barrières de corail du monde.

Mais ces milliards de polypes ont bien du mal à se nourrir dans nos eaux tropicales, faibles en nutriments. Le corail a donc développé une stratégie très originale pour pallier à ce problème : il vit en symbiose avec une famille d'algues nommée Symbiodinium. Ces algues vivent directement dans les tissus des polypes. En échange de lumière et de protection, elles lui apportent de l'énergie et des nutriments.

"Ces dernières années, malheureusement, les épisodes de 'blanchissement' des coraux sont devenus de plus en plus fréquents à travers les océans. Activité humaine, réchauffement climatique, pollution, émergence de nouvelles maladies, les raisons sont sans doute nombreuses et complexes, mais toutes concourent à cet effet : le corail perd ses couleurs car il perd sa précieuse algue symbiotique, Symbiodinium" explique un article scientifique publié en juillet dans le journal Communications Biology, à partir des travaux d'une équipe internationale incluant un chercheur du Criobe de Moorea (Criobe : Centre de Recherche Insulaire et Observatoire de l'Environnement, un laboratoire de recherche français spécialiste des écosystèmes coralliens).

UNE ALGUE TRÈS MYSTÉRIEUSE

Les scientifiques ont donc lancé de grandes études pour mieux comprendre ces algues et trouver des solutions pour sauver nos coraux : "Cette petite algue si importante est pourtant encore mal connue. Il faut dire qu’elle ne se prête pas facilement à l’analyse. Difficile à cultiver en laboratoire en dehors de son hôte, avec des temps de croissance très longs. Des génomes de grande taille, comportant un très grand nombre de gènes. De l’ADN très inhabituel, tant dans sa structure, sa composition en nucléotides que dans les protéines qui l’habillent. Afin de mieux comprendre les clés de cette intimité si particulière, nous avons entrepris, avec des chercheurs australiens de Townsville, de Brisbane, de Canberra, de Melbourne, de San Francisco, du KAUST en Arabie Saoudite et du CRIOBE à Moorea, de décrypter les génomes de deux espèces de Symbiodinium et de les comparer à des génomes d’algues apparentées mais non symbiotiques" note un article d'explication publié sur le site du Criobe.

Le travail de cette équipe nous permet désormais d’avoir une vue très complète des gènes de cette algue. Et les chercheurs ont déjà trouvé des premières surprises : "(ce travail) met en évidence chez Symbiodinium l’existence de nombreux gènes qui ont évolué de manière à permettre à cette algue de s’adapter à la symbiose avec les coraux." En particulier, l'article dans Nature liste des découvertes sur les gènes qui gèrent la photosynthèse, le transport d'ions à travers les membranes de l'algue, la synthèse et la modification d'aminoacides et de glycoprotéines, et la réponse au stress. Des gènes particuliers ont également été découverts pour le contrôle de la division cellulaire et la réponse au manque de lumière.

Les travaux scientifiques se poursuivent après ces premiers résultats, à la recherche désormais "des processus complexes mis en jeu lors de la symbiose, (pour) mieux comprendre comment ceux-ci sont perturbés lors du blanchissement et permettre de chercher des voies pour y remédier."


La reproduction des poissons-clown est-elle perturbée par la pollution lumineuse ?

La pollution lumineuse affecte-t-elle les récifs coralliens ? Une équipe du Criobe va s'attaquer à la question en étudiant les poissons-clown de Moorea (crédit photo : Suzanne C Mills)
Suzanne Mills, maître de conférences à l’EPHE-CRIOBE, a gagné la "Coral Competition" lancée par la société Skye Instruments. Suzanne Mills avait présenté l’un des projets de son équipe de recherche, intitulé "Pollution lumineuse artificielle nocturne sur la reproduction de Némo". Elle a gagné l’un des trois prix de la compétition, un capteur lumineux étanche (LUX) ainsi qu’un spectrogramme avec GPS.

Le résumé de son projet : Les cycles jour/nuit naturels sont essentiels pour les processus biologiques chez de nombreuses espèces. Le comportement, les cycles physiologiques et hormonaux et en particulier la reproduction, sont synchronisés avec ce cycle naturel. Cependant, en illuminant nos paysages nocturnes avec des lumières artificielles, nous modifions la situation. La pollution lumineuse nocturne augmente de 6% chaque année et est déjà connue pour avoir un impact sur la santé humaine, mais également sur l’activité de chasse des oiseaux ou la reproduction des insectes. Un des exemples les plus emblématiques est la désorientation des bébés tortues attirés par la pollution lumineuse terrestre plutôt que la mer sous la pleine lune.

Cependant, on connait peu de chose sur l’impact de cette pollution lumineuse sur les écosystèmes coralliens, avec jusqu’à maintenant des études principalement réalisées en aquarium. Ce projet propose de déterminer l’impact de la lumière artificielle de nuit sur le comportement, la physiologie et les hormones chez le poisson-clown, Amphiprion chrysopterus, espèce emblématique des récifs coralliens.

Les équipements que l’équipe de Suzanne Mills ont reçus vont leur permettre de mesurer l’expansion de la pollution lumineuse sur Moorea, provenant de différentes sources comme les ports, les routes ou les hôtels et de comparer ces résultats avec des mesures prises dans des milieux sans pollution lumineuse. L’équipe de recherche va bientôt commencer ces tests in situ du capteur et le terrain commencera réellement en novembre 2018. Une fois ce projet fini, Suzanne Mills et son équipe vont pouvoir utiliser l’équipement SKYE pour de nouvelles recherches concernant cette fois les blooms de cyanobactéries dans les lagons et si l’intensité lumineuse peut être un indicateur de ces événements.

Suzanne Mills et son équipe de recherche travaillent sur les effets des changements environnementaux sur le comportement, la physiologie et les hormones des organismes des récifs coralliens, en particulier des poissons-clown. Son équipe suit la reproduction et la ponte de plus de 30 couples de poisons clowns depuis 3 ans.

Skye Instruments est une société anglaise qui développe des instruments de mesures pour suivre l’environnement. En 2018, la société, sensibilisée aux problématiques environnementales, fête ses 35 et pour l’occasion, a voulu utiliser son succès pour aider les récifs coralliens menacés et ainsi promouvoir l’importance et la valeur de ces écosystèmes uniques. Pour cela elle a organisé la “Coral Competition” et a offert des instruments de mesures (d’un montant total de plus de £5000, soit 660 000 francs) à trois projets de recherche sur les récifs coralliens.


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Vendredi 24 Aout 2018 à 14:09 | Lu 3121 fois