Dépollution de Hao, RSPF, essais nucléaires : les réponses d’Annick Girardin


« Nous réfléchissons au devenir de la convention entre l’Etat et le Pays concernant le régime de solidarité de la Polynésie française (RSPF) », affirme Annick Girardin. « Un lien plus affirmé avec les enjeux de santé publique pourrait être envisagé. »
PAPEETE, le 1er mars 2019. Annick Girardin, ministre des Outre-mer, est arrivée cette nuit au fenua. Elle participe aujourd’hui au 17e Forum des Pays et Territoires de l’outre-mer et de l’Union européenne. « L’Europe est le premier partenaire de la région en matière d’aide au développement », rappelle la ministre des Outre-mer qui revient dans une interview sur la dépollution de Hao, la rétrocession des trois aérodromes de Bora Bora, Rangiroa et Raiatea au Pays…


Vous allez participer aujourd’hui au Forum des pays et territoires d’outre-mer de l’Union européenne (PTOM-UE). Comment l’Union européenne peut-elle aujourd’hui aider la Polynésie française à faire face aux défis environnementaux et économiques qu’elle doit surmonter ? La Polynésie sait-elle suffisamment solliciter l’appui de l’Union européenne ?
L’Union européenne est un partenaire essentiel des PTOM. Alors qu’une nouvelle décision d’association UE-PTOM entrera en vigueur au 1er janvier 2021, il est important que les collectivités françaises concernées se montrent actives pour défendre leurs intérêts et proposer une vision de ce que pourrait être, demain, la place des PTOM dans les politiques européennes.
La tenue de ce Forum à Papeete est donc un moment clé. La présence du commissaire européen pour la coopération internationale et le développement démontre que l’Union est attentive à ces questions.
Plus largement, je tiens à saluer ce que je perçois comme une prise de conscience, par nos partenaires communautaires, des enjeux régionaux. A cet égard, le fait que l’Union européenne souhaite créer un Partenariat UE-Pacifique ouvre des perspectives aux trois collectivités françaises de la région.

Pour l’Europe, sa présence dans le Pacifique à travers la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie est un enjeu important pour garder une place importante face à la Chine et aux Etats-Unis. L’Europe ne devrait-elle pas accompagner davantage la Polynésie française pour assurer sa puissance ?
La France souhaite bien sûr que l’Union européenne accompagne le plus possible les PTOM français. Il ne s’agit pas d’une question de puissance, mais de soutien à des territoires faisant face à des contraintes structurelles fortes. Certains sont isolés géographiquement, d’autres sont de petits territoires en superficie et en population, d’autres des archipels très étendus, etc.
Mais on oublie souvent de le dire : l’Europe est le premier partenaire de la région en matière d’aide au développement. Elle manque parfois de visibilité alors qu’elle est très active et accompagne de nombreux projets. Il faut donc la faire connaître et valoriser son action. La Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et Wallis et Futuna peuvent être des relais.
Enfin, la puissance de l’Europe, puisque ce sont les termes que vous employez, je la mesure d’abord aux valeurs qu’elle porte et dans lesquelles tous les citoyens de l’Union se reconnaissent : droits de l’Homme, liberté de circulation, protection de l’environnement, préservation de la paix. Si l’Europe doit jouer un rôle dans la région, c’est d’être aux côtés de la France pour défendre ces valeurs.

« Tous nos instruments financiers s'inscriront dans une trajectoire de développement durable »

Le dernier rapport du GIEC, paru en octobre, met en garde contre des « risques accrus » si rien n’est fait rapidement. Le monde doit engager des transformations "rapides" et "sans précédent", s'il veut limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Les atolls polynésiens sont potentiellement menacés par une montée des eaux au cours des prochaines décennies.
De quelle manière l’Etat envisage-t-il d’aider concrètement et rapidement le Pays pour faire face à ce phénomène en matière d’équipements, en matière de sécurité des populations, face aux problématiques migratoires qu’il peut engendrer ?

La lutte contre le changement climatique est une priorité du gouvernement. J’ai eu la chance de participer à l’organisation de la COP21, au cours de laquelle j’ai plus travaillé avec les Etats insulaires. Ce sont donc des enjeux que je connais bien. Le combat de la Polynésie française sur ces questions est aussi le mien.
Le haut-commissaire soutient avec force, depuis plusieurs années, le projet de créer dans tous les atolls concernés des bâtiments aux normes paracycloniques. C’est une priorité qui implique la mobilisation de tous les acteurs publics.
Le ministère des outre-mer dispose également d’outils financiers pour accompagner les collectivités dans la réalisation de leurs projets, en particulier l’équivalent Fonds vert. Avec la stratégie « Outre-mer 5.0 » que j’ai initiée, ce sont à terme tous nos instruments financiers qui s'inscriront dans une trajectoire de développement durable.
Cette stratégie repose sur cinq ambitions pour nos territoires et résume, en cinq objectifs, les principales orientations du Livre bleu outre-mer : zéro déchet, zéro carbone, zéro intrant chimique, zéro exclusion, zéro vulnérabilité aux changements climatiques.

« Les habitants de Hao sont au cœur de nos préoccupations »

La reconnaissance du rôle joué par la Polynésie française dans le développement de sa politique de dissuasion nucléaire sera inscrite dans le statut de la Polynésie. Le Conseil d’Etat a observé que ces dispositions sont largement dépourvues de portée normative. Pour vous, cette inscription dans le statut est suffisante ?
La reconnaissance du fait nucléaire est la « pierre angulaire » de l’Accord pour le développement de la Polynésie française signé en mars 2017 à l’Elysée. Le projet de loi statutaire transcrit cette reconnaissance dans le statut et le gouvernement a souhaité inscrire quatre engagements forts et durables dans le texte organique.
Le premier est l’indemnisation des victimes des essais nucléaires. Le dispositif d’indemnisation a été profondément réformé grâce à la mobilisation des élus, et en particulier de la sénatrice Lana Tetuanui. Les propositions de la commission parlementaire ont été largement reprises par l’Etat pour mieux répondre aux attentes des Polynésiennes et des Polynésiens.
Le second est la surveillance pérenne des atolls de Moruroa et Fangataufa, que l’Etat assumera dans la durée. Nous venons d’ailleurs d’investir 12 milliards de Fcfp, soit 100 millions d’euros, dans le projet Telsite 2.
Le troisième est l’accompagnement du développement économique de la Polynésie française qui fait l’objet de nombreux instruments financiers.
Enfin, l'Etat rendra compte de son action : cette transparence est notre quatrième engagement. L’unanimité du Sénat sur ce projet de loi démontre que ce texte est équilibré et illustre le fait que les enjeux polynésiens suscitent l’intérêt des élus de la Nation.

Le 11 février lors d’une réunion avec la ministre de la Santé à Paris, le président du Pays, Edouard Fritch, a regretté que « le rythme des travaux de dépollution (à Hao) est lent, trop lent. » « Est-ce l’absence de crédits ou une certaine indifférence aux problèmes des 1030 habitants de Hao ?", a-t-il demandé. Que lui répondez-vous sur ce point ?
La réhabilitation de Hao est de grande ampleur. L’État y apporte une attention particulière et y consacre des montants financiers conséquents. Les travaux ont débuté 2009 et ont déjà permis la déconstruction de 90 bâtiments, la restitution des terres à leurs ayants droits et le nettoyage du lagon. La dépollution des terres a démarré en 2014. Pour les sols restant à traiter, l’État a mobilisé les crédits nécessaires à leur prise en charge (5,4 milliards de Fcfp dès 2020). Les modalités restent à arrêter définitivement, en relation étroite avec le Pays. Enfin, les habitants de Hao sont au cœur de nos préoccupations. Une commission d’information spécifique se réunit régulièrement ; elle associe tous les acteurs.

Dotation globale d’autonomie : « Les engagements seront tenus »

Lors des débats au Sénat, la sénatrice Lana Tetuanui a sollicité « des garanties de la part du gouvernement au titre du prochain projet de loi de finances pour 2020 » pour la dotation liée au fait nucléaire. Quelle garantie pouvez-vous apporter pour les prochaines années ? Les élus polynésiens ne vont-ils pas devoir se battre chaque année pour conserver le montant de cette dotation ?
Le montant de la DGA (dotation globale d’autonomie) est inscrit dans le code général des collectivités territoriales. L’Accord de l’Elysée a acté le principe de la stabilité de cette dotation. Le gouvernement auquel j’appartiens a proposé, pour éviter tout aléa de gestion, d’en faire un prélèvement sur recettes dans la prochaine loi de finances. Le sujet est bien pris en considération et les engagements seront tenus.

Il n’y a actuellement qu’un oncologue au centre hospitalier de Polynésie française. Le CHPF fait face à des difficultés de recrutement. L’État pourrait-il aider à rendre ces postes plus attractifs pour que les Polynésiens aient les mêmes qualités de soin qu’un habitant de la métropole ?
La ministre de la Santé Agnès Buzyn est très investie sur ce dossier. Certains appels à candidature lancés pour recruter des internes ont malheureusement été infructueux. Nous travaillons avec le Pays pour imaginer des solutions concrètes permettant de rendre ces postes plus attractifs.

RSPF : « Nous réfléchissons aussi au devenir de la convention entre l’Etat et le Pays »

Maintenant que l’Etat a reconnu les conséquences des essais nucléaires sur la santé des Polynésiens. L’Etat peut-il apporter son soutien pour que la Polynésie s’équipe d’un service de soins palliatifs et d’un PET Scan ?
L’Etat indemnise les victimes identifiées par le biais du Civen (Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires). Il n’a pas vocation à se substituer aux autorités locales compétentes en matière de santé et de soin. Il apporte cependant un appui important à la Polynésie française en accompagnant la mise en œuvre du plan cancer par un programme d’investissements. Concrètement, c’est par exemple un mammographe aux îles Marquises, la chimiothérapie délocalisée dans les hôpitaux de Uturoa (Raiatea) et de Taravao (Tahiti) ou encore la modernisation de la radiothérapie au CHPF.
Nous réfléchissons aussi au devenir de la convention entre l’Etat et le Pays concernant le régime de solidarité de la Polynésie française (RSPF). Un lien plus affirmé avec les enjeux de santé publique pourrait être envisagé.

Cela ne dépend pas directement de votre ministère mais savez-vous si Air Tahiti Nui va obtenir la défiscalisation nationale pour l'achat de ses deux nouveaux Boeing ?
Je ne peux pas m’exprimer sur un dossier en cours d’instruction. Mais je tiens à souligner que beaucoup a été fait pour simplifier et accélérer les procédures. La défiscalisation est un instrument majeur pour le développement économique outre-mer et nous souhaitons le rendre le plus efficace possible.

Rétrocession des trois aérodromes : « L’Etat sera particulièrement attentif à la prise en compte des intérêts des personnels »

L'État procédera, d'ici à 2020, au transfert au Pays de la propriété et de la gestion des aérodromes de Bora Bora, Rangiroa et Raiatea.
Le 13 février, Annick Girardin a annoncé que "l'État procédera, d'ici à 2020, au transfert au Pays de la propriété et de la gestion" des aérodromes de Bora Bora, Rangiroa et Raiatea. « Le transfert au Pays de la propriété de ces aérodromes correspond à une demande des élus du territoire », explique la ministre des Outre-mer, Annick Girardin. « Ils souhaitent développer ces infrastructures. Il nous fallait prendre une décision avant que ne soit achevé le renouvellement en cours de la concession de Tahiti Faa’a, puisque la gestion de ces trois aérodromes était incluse dans cette concession. »
La ministre précise que le calendrier et les modalités du transfert de propriété sont en cours d’expertise. « L’objectif est d’y procéder en 2020. L’Etat sera particulièrement attentif à la prise en compte des intérêts des personnels employés par le concessionnaire sur ces aérodromes », souligne Annick Girardin.
En attendant, le renouvellement de la concession tous les grands travaux prévus à l’aéroport ont été suspendus. « Le renouvellement d’une concession aéroportuaire est une procédure lourde et complexe. Nous tenions en particulier à sécuriser la participation du Pays dans sa gestion », explique Annick Girardin. « C’est l’objet d’un article du projet de loi en cours de discussion. Il fallait par ailleurs prendre une décision concernant le périmètre de la concession. »
« A présent, la procédure va pouvoir avancer. Les services du ministère des Transports sont mobilisés pour qu’elle aboutisse rapidement », assure la ministre. « Les attentes en termes d’investissement seront bien entendu inscrites dans le cahier des charges de l’appel d’offres. »



Unesco : « Le dossier du ‘ori tahiti aura une autre chance ! »

« La France ne peut présenter qu’un dossier par an et choisir, c’est forcément créer une déception chez ceux qui ne sont pas retenus », souligne Annick Girardin.
Le 1er février, le président de la République a annoncé qu'il défendra le dossier de la yole martiniquaise à l’inscription sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, refusant au passage la candidature du 'ori tahiti. « Le dossier du ‘ori tahiti aura une autre chance ! », assure Annick Girardin « La France ne peut présenter qu’un dossier par an et choisir, c’est forcément créer une déception chez ceux qui ne sont pas retenus. Mais c’est aussi l’opportunité d’approfondir le dossier, de le compléter, et de se donner toutes les chances de convaincre non seulement le ministère de la Culture français, mais surtout les instances de l’Unesco. Le dossier a été retenu parmi les quatre finalistes, ce qui démontre qu’il est de qualité. »
Après l'inscription du marae Taputapuātea au patrimoine mondial de l'Unesco en juillet 2017, la proposition d'inscription a été validée pour neuf sites des Marquises en avril 2018. « La Commission nationale des biens français a validé en 2018 la première étape du dossier des îles Marquises et transmis à la Polynésie française les recommandations de ses experts », explique Annick Girardin. « Il faut noter que la catégorie des « biens mixtes », soit un site naturel et culturel, est peu représentée au sein de la liste actuelle de l’Unesco et fait partie des priorités. Il y a donc une opportunité à saisir. »
« L’Etat a dédié un fonctionnaire, placé auprès du haut-commissaire, au soutien de la préparation du dossier », ajoute la ministre des Outre-mer. « Celle-ci avance. Les prochaines étapes porteront notamment sur les limites du bien et l’analyse comparative avec d’autres biens classés. »

Manifestations du Tavini et de l’association 193

Le Tavini Huira'atira a prévu une manifestation ce vendredi matin, à partir de 7h30, devant l'hôtel de Punaauia où a lieu le forum. Ensuite, les manifestants se rendront pour 11 heures à la stèle de Faa'a, à Tavararo pour y déposer des gerbes et faire un discours.
Mercredi, le Tavini Huira'atira a qualifié le 17e Forum de dialogue entre les Pays et Territoires d'outre-mer et l'Union européenne, de "sommet de la honte".
L’association 193, qui se bat notamment pour l’indemnisation des victimes des essais nucléaires, a prévu une «manifestation pacifique ce vendredi de 6 à 10 heures», à Punaauia; près de la station-essence après le pont de la Punaruu en direction de Paea.

Rédigé par Mélanie Thomas le Vendredi 1 Mars 2019 à 01:00 | Lu 2483 fois