Dengue : une épidémie qui n'en finit pas


Pauline Niva du département des programmes de prévention de la Direction de la santé, le docteur Henri-Pierre Mallet du bureau de veille sanitaire et Priscilla Bompard, épidémiologiste commentent les chiffres de cas de dengue confirmés, enregistrés au cours des deux premières semaines de janvier.
PAPEETE, le 20 janvier 2016. La dengue de type 1 circule activement depuis trois ans en Polynésie française ! Déclarée en février 2013, l'épidémie est continue depuis cette date avec des pics ou des phases de repli. En ce début d'année 2016 la dengue se montre nettement plus virulente : les cas confirmés ont été multipliés par deux.

Cela ne s'était jamais vu. Aussi loin que remontent les données scientifiques sur le suivi de la dengue en Polynésie, le constat d'une épidémie qui se prolonge sur plusieurs années n'existait pas jusqu'à présent. "C'est un record absolu dans les données disponibles en Polynésie" commente le docteur Henri-Pierre Mallet du Bureau de veille sanitaire. Voilà une orientation nouvelle qu'il va falloir appréhender et de préférence comprendre. De là à penser que la Polynésie française se retrouve avec une circulation endémo-épidémique constante de la dengue comme dans certains pays d'Asie ou aux Antilles, il n'y a plus qu'un pas à franchir. Déjà on s'interroge sur la fixation du seuil épidémique (fixé actuellement à dix cas confirmés sur une seule semaine). "D'autres pays et territoires l'ont déjà fait, visiblement aujourd'hui la situation n'est pas la même qu'il y a quelques années. Il va falloir certainement changer cela" confirme le docteur Mallet.

En attendant, les faits sont là. Jusqu'en 2013 la dengue en Polynésie française circulait pendant une phase épidémique aiguë de plusieurs mois avant de sévir en phase sporadique et parfois disparaissait complètement. La dernière épidémie de dengue déclarée sur le territoire c'était en 2009 avec la dengue de sérotype 4. Des cas isolés ont continué d'être déclarés en 2010 et 2011. Et puis plus rien. Dans le courant de l'année 2012, rien. Pas le moindre cas de dengue confirmé à l'horizon. Une véritable rémission. L'année 2013 est atypique : la dengue 1 apparait et atteint rapidement le seuil épidémique; puis la dengue de sérotype 3, inconnu jusque là en Polynésie française, fait son apparition. Pendant des mois, les spécialistes de la santé prévoient que la dengue 3, d'un sérotype nouveau sur le territoire, va s'imposer.

C'est l'inverse qui se produit. L'arrivée d'un autre arbovirus inconnu, le Zika, porté par le même moustique vecteur, fait disparaitre la dengue 3 complètement et même reculer la dengue 1. Sans jamais toutefois éteindre complètement l'épidémie. Même chose avec le chikungunya : le virus de la dengue s'estompe pendant cette nouvelle épidémie mais il fait de la résistance. En 2014 et durant les dix premiers mois de 2015, l'épidémie de dengue se poursuit sur un mode lent. Mais tout s'accélère depuis peu. "En trois semaines, les cas confirmés ont été multipliés par deux. En novembre 2015 on avait 85 cas déclarés, 160 en décembre et déjà 119 sur les deux premières semaines de janvier 2016" précise Priscilla Bompard, épidémiologiste au Bureau de veille sanitaire.


LES ENFANTS LES PLUS FRAGILES


Or, nous ne sommes pas tous égaux devant les virus, la dengue y compris. Les enfants sont les plus en danger. Comme ils ne sont pas immunisés, les enfants sont des cibles privilégiées, au cours des trois dernières années les enfants de moins de 10 ans ont représenté près de 40 % des 4 324 cas confirmés. Ce sont eux aussi les plus susceptibles de développer des formes graves. "Parmi les patients hospitalisés pour des cas de dengue, la moitié sont des enfants de moins de 15 ans. Pour les adultes, ce sont essentiellement de nouveaux arrivants". En décembre dernier, 28 personnes ont été hospitalisées en raison de la dengue, dix cas étant considérés comme graves. Un enfant de quatre ans est décédé quelques jours avant Noël ; un autre enfant de six ans avait succombé à des complications liées au virus de la dengue au mois de mai aux Marquises.

Des décès tragiques qui viennent rappeler que la dengue n'est pas à prendre à la légère, qu'il faut penser à isoler le malade sous une moustiquaire pour éviter la propagation du virus. Ne pas hésiter non plus à utiliser les répulsifs cutanés (le matin et le soir) et surtout à assécher tous les gîtes potentiels autour de sa maison. "Ce n'est pas la flaque, la marre d'eau sale ou la rivière en crue qui sont des gîtes à moustiques vecteurs de la dengue. Là on y retrouve des moustiques qui ne sont pas de la même espèce que ceux qui transmettent le virus. La faute vient des gens qui tolèrent chez eux des seaux d'eau, une brouette, des pneus, la gamelle d'eau du chien" précise le docteur Mallet. La zone urbaine de Tahiti et particulièrement la commune de Papeete sont les plus atteintes par la dengue. On note aussi un début d'épidémie à Tahaa et quelques cas dans les Iles sous le vent.



Attention aux complications


En cas de fièvre élevée avec céphalées et douleurs, il est conseillé de consulter un médecin pour confirmer le diagnostic et vérifier l’absence de signes de gravité. Si les douleurs s’aggravent ou si des troubles de la conscience ou difficultés respiratoires apparaissent, particulièrement après quatre à cinq jours de rémission au cours desquels le patient semblait remis sur pied, il est nécessaire de contacter un médecin ou d’appeler le 15. En effet, les complications d'une dengue surviennent a posteriori comme "une réaction immune du corps, une inflammation qui s'emballe, pouvant provoquer parfois un choc cardiaque" détaille le docteur Henri-Pierre Mallet.

Rédigé par Mireille Loubet le Mercredi 20 Janvier 2016 à 17:11 | Lu 3763 fois