Deliveroo: amende maximale requise et prison avec sursis


JACQUES DEMARTHON / AFP
Paris, France | AFP | mercredi 16/03/2022 - "Tous les avantages de l'employeur"... "sans les inconvénients": la procureure a requis mercredi à Paris la peine maximale de 375.000 euros d'amende à l'encontre de Deliveroo ainsi qu'un an de prison avec sursis contre deux de ses anciens responsables francais.

La plateforme est jugée depuis la semaine dernière devant le tribunal correctionnel de Paris, au côté de trois anciens dirigeants, pour "travail dissimulé", lors d'un premier procès pénal en France de "l'ubérisation" avec comme enjeu le véritable statut de ses livreurs.

Deliveroo est bien responsable d'"une instrumentalisation et d'un détournement de la régulation du travail", dans le but d'organiser une "dissimulation systémique" d'emplois de livreurs qui auraient dû être salariés et non indépendants, a estimé mercredi dans ses réquisitions la procureure Céline Ducournau.

Pour les deux dirigeants successifs de Deliveroo France sur la période concernée, de 2015 à 2017, elle a demandé un an d'emprisonnement avec sursis et 30.000 euros d'amende. Pour un troisième responsable, "simple salarié", elle a souhaité quatre mois d'emprisonnement avec sursis et 10.000 euros d'amende.

La procureure avait commencé par indiquer "regretter" l'absence sur le banc des prévenus de William Shu, grand patron de l'entreprise britannique et "incontestablement" à l'origine du "système".

Une "fraude" ayant pour unique but d'employer "à moindre frais" ses livreurs, et peu importe si certains sont "satisfaits" de ce statut ou se "sentent libres", a souligné la magistrate, en référence à l'un des arguments de Deliveroo pour justifier le statut d'auto-entrepreneur.

Pour Céline Ducournau, lors de la période de 2015 à 2017, le "lien de subordination" était bien établi par un "faisceau d'indices", et ce pour l'"intégralité des livreurs" soit "des milliers de travailleurs".

A l'audience dans une salle bien remplie, notamment de livreurs (plus d'une centaine étant parties civiles), la procureure a listé ces "indices" un par par un, démontrant selon elle qu'il y avait bien "directives", "contrôles et "sanctions" dans la relation entre les livreurs et la start-up.

Selon l'accusation, Deliveroo se présente faussement comme une plateforme de "mise en relation" entre clients, restaurateurs, et livreurs, alors que la livraison est le coeur même de son activité. 

"Il n'y a pas de troisième acteur, Deliveroo ne met le livreur en relation avec personne", a-t-elle tonné. 

L'entreprise "s'engage sur la qualité de la prestation, les délais, il les forme et organise leur intervention", a-t-elle décrit, dénonçant une "fiction juridique".

Elle a évoqué dans son réquisitoire l'envoi régulier de mails rappelant les "règles", de vidéos de formation, l'obligation d'effectuer des "+shifts+ d'essai", qui constituent bien des des "consignes claires".

fonctionnement "Novateur" 

Elle a aussi détaillé le contrôle constant, sur les délais de livraison, les itinéraires choisis, la manière de livrer, "allant parfois jusqu'à vérifier que les livreurs se levaient bien le matin" ou que leur batterie de téléphone était chargée.

Pour Deliveroo dont elle a regretté que le fonctionnement présenté comme "novateur" se soit "pleinement intégré dans le modèle économique français", la procureure a aussi demandé comme peine complémentaire "l'affichage et la diffusion" de la décision de justice, notamment devant les locaux de Deliveroo pendant deux mois, ainsi que sur la page d'accueil du site et de l'application mobile de la plateforme.

Elle a souhaité cette peine en pensant "aux travailleurs actuels" de la plateforme, et requis qu'elle s'applique immédiatement, même en cas d'appel.  

Elle a enfin demandé que les trois millions d'euros saisis par l'Ursaff pendant la procédure et représentant une partie de la valeur de l'infraction, soient confisqués.

Très contesté, le statut d'indépendant des chauffeurs Uber ou des coursiers Deliveroo est remis en cause dans de nombreux pays par la justice ou, plus rarement, par des lois qui ont poussé certains géants du secteur à proposer des compromis.

En Grande-Bretagne, le géant américain Uber - visé en France par une enquête pour travail dissimulé - a accordé à ses 70.000 chauffeurs un statut hybride de "travailleurs salariés" qui leur octroie salaire minimum, congés payés et accès à un fonds de retraite, une première mondiale pour la société américaine.

Deliveroo a de son côté annoncé son intention de quitter l'Espagne, où une loi votée l'an dernier oblige le groupe britannique à salarier ses livreurs.

le Mercredi 16 Mars 2022 à 06:41 | Lu 333 fois