De policier à jardinier virtuel: avec la crise, les jeux NFT décollent au Venezuela


Caracas, Venezuela | AFP | mardi 20/09/2021 - Zacary Egea se réveille en sursaut pendant la nuit. "La plante!" Il allume rapidement son ordinateur: le trentenaire fait partie des nombreux Vénézuéliens qui s'investissent à fond dans les jeux NFT pour gagner de l'argent dans un pays durement touché par la crise. 

NFT: +Non-fungible token+ ou jetons non fongibles, soit des certificats de propriété d'objets numérique. Comme pour beaucoup de sigles, de nombreux utilisateurs savent ce qu'il représente sans connaître la définition de chaque lettre. 

Il s'agit de jeux basés sur la technologie blockchain qui rémunèrent les participants grâce à des NFT, des objets virtuels pouvant être converti en argent réel.

Zacary, 32 ans, joue notamment à Plant Vs. Undead. Il y fait pousser des plantes virtuelles qui servent à combattre l'ennemi. Plantes qu'il peut revendre pour des devises du monde réel. Il gagne ainsi plus d'argent qu'il n'en gagnait quand il était policier.

Après neuf ans passés dans la police, il a raccroché l'uniforme, notamment en raison de la faiblesse du salaire.

Jadis vanté comme un des pays les plus riches de l'Amérique du sud grâce à son pétrole, le Venezuela a vu son produit intérieur brut (PIB) chuter de 80% depuis 2013, notamment en raison de la baisse des cours du pétrole, mais aussi de la mauvaise gestion et de la crise politique. 

Le pays est en proie à l'hyperinflation rendant le bolivar, la monnaie locale sans valeur et les salaires des fonctionnaires, donc des policiers, dépassent rarement 5 ou 10 dollars par mois. 96% de la population vit dans la pauvreté, selon une étude universitaire.   

Après avoir fait des petits boulots, il a investi ses 300 dollars d'économies pour moderniser son équipement informatique et se lancer dans l'aventure.

Marché fluctuant 

Zacary a commencé avec 80 dollars qui lui ont permis d'acheter un tournesol et des choux virtuels avant de pouvoir acquérir des semences d'arbre, qui une fois adulte peut être vendu pour 2.000 dollars. 

Méticuleux, Zacary ne laisse rien au hasard et note toutes ses opérations dans un cahier. Il travaille comme le ferait un courtier de bourse ou d'assurances. 

"Je me lève à 6 heures du matin pour contrôler les jeux, puis je sors travailler (comme livreur), mais avec le portable, je reste branché. Je peux arroser les plantes et je fais attention à ce qu'il n'y ait pas un corbeau" qui les endommage, raconte-t-il.

"Qu'est ce que je cherche? Je veux gagner assez pour avoir ma propre maison pour ma famille", raconte l'ancien policier qui vit avec sa mère dans un quartier populaire de Caracas.

"C'est un travail à long terme", souligne-t-il.

Zacary n'est pas le seul à obtenir des revenus avec les NFT. Dans la rue, près de chez lui, des joueurs discutent du sujet quand un livreur surgit et demande avec intérêt: "Vous parlez de +Plant+ ? J'ai envie de commencer !". 

Signe de l'importance de cette activité, deux jeux NFT Plant Vs. Undead (18e) et Axie Infinity (35e) font partie des 50 pages les plus visités par les internautes au Venezuela.   

Certains apprécient le côté ludique, mais d'autres ne jouent que pour l'argent que ces jeux peuvent rapporter.

"Ces plateformes de jeu qui rémunèrent les participants sont devenues des moyens de générer des revenus dans des pays hyper-inflationnistes comme le Venezuela", explique Aaron Olmos, chercheur, spécialiste des crypto-actifs.

Les jeux "créent leur propre économie (...) Les NFT ont un prix de base et le prix peut monter si le jeu a du succès", mais les prix peuvent aussi chuter, avertit M. Olmos. Le marché reste fluctuant et à risques. 

L'universitaire note aussi que des bailleurs de fonds payent des joueurs, parfois des adolescents, pour générer des revenus sur le net. 

"Un compte sur Axie ou Plant peut rapporter 400 ou 500 dollars par mois avec ce système de bourse", explique Yerson Rivero, investisseur en cryptomonnaie qui passe du temps sur les jeux NFT.

Avec des amis, il a installé des ordinateurs au fond d'un atelier mécanique pour "jouer".

"La cryptomonnaie, c'est l'avenir", assure Jesus Almerida, un des associés. 

"Quand j'aurai un bon capital, je créerai des portefeuilles de crypto-monnaie pour chacun de mes enfants afin de leur payer l'université". Pour cela, il lui faut continuer à arroser les plantes...

le Mardi 21 Septembre 2021 à 06:13 | Lu 316 fois