De la case prison à la formation


Les formations dispensées à ces anciens détenus concernent le bâtiment, l'automobile, la mécanique marine, la vente, l'hôtellerie et la cuisine.
PAPEETE, le 29 mars 2017. Depuis près d’un an, une trentaine de détenus ont pu bénéficier d’un aménagement de peine pour entamer une formation. Leur objectif : trouver un emploi et ne pas retourner à Nuutania. Didier, Enoha et Gilles (*) nous ont accueillis sur leur lieu de formation et nous ont raconté leur parcours.

Depuis près d’un an, une trentaine de détenus ont pu bénéficier d’un aménagement de peine pour entamer une formation. Leur objectif : trouver un emploi et ne pas retourner à Nuutania. Didier, Enoha et Gilles (*) nous ont accueillis sur leur lieu de formation et nous ont raconté leur parcours.

"Quand j’étais en prison, je pensais trop à ma famille. Je voulais avoir du travail pour sortir et ne pas y retourner », explique Didier Teheiura. Le quadragénaire porte une tenue blanche et un casque. Dans sa main, des pinceaux. Il est actuellement au CFPA (Centre de formation professionnelle pour adultes) de la Punaruu en formation Peintre en bâtiment. Comme lui, depuis presque un an, une trentaine de détenus ont pu bénéficier d'un aménagement de peine pour suivre une formation.

Fin 2015, la mission outre-mer du ministère de la Justice a lancé un appel d'offres pour un programme personnalisé d'accompagnement à l'insertion professionnelle dans les établissements pénitentiaires.
L'Association pour l'éducation cognitive et le développement (AECD), organisme spécialisé dans l'orientation professionnelle des bénéficiaires éloignés de l'emploi et des personnes sous main de justice, a remporté l'appel d'offres au fenua.

Le dispositif a pu démarrer en juin dernier grâce à l'action du Spip (service pénitentiaire d'insertion et de probation). Les bénéficiaires du dispositif de l'AECD doivent être "aménageables", c'est-à-dire avoir effectué la moitié de leur peine. C'est le conseiller de probation et d'insertion professionnelle du Spip qui repère les détenus pouvant intégrer le dispositif de l'AECD.

Ensuite Valérie Adda, représentante en Polynésie de l'AECD et psychologue de formation, les rencontre en alternance, en entretien individuel et en groupe. "On essaie d'amener le détenu à une réflexion par induction, la réponse doit venir de lui pour l’élaboration de son projet". Depuis juin, Valérie Adda a ainsi rencontré près de 80 détenus, 33 ont pu bénéficier d’un aménagement de peine et ont commencé ou vont bientôt débuter une formation professionnelle. La majorité des détenus est sans qualification, c'est pourquoi le ''premier objectif est de 'booster' l'employabilité par l'acquisition de compétences et l'obtention d'un diplôme. Le CFPA et le Sefi sont à ce titre de précieux partenaires", indique Valérie Adda.

« Je vais essayer de changer »
Au CFPA de Pirae, Gilles (*) est en formation soudure. Avant d’aller à Nuutania, il avait déjà appris à maîtriser le fer à souder avec ses « tontons et cousins ». Il a donc naturellement choisi cette filière. « Je vais essayer de changer, d’arrêter les conneries », souligne-t-il. « Ici, on travaille de 7 heures à 16h30 alors après on n’a plus envie d’aller avec les copains. J’espère trouver du travail dans une entreprise après cette formation. » « J’aime bien ce travail, venir tous les jours », poursuit le jeune homme, qui a arrêté l’école en CM2. « Je n’aimais pas trop l’école », explique-t-il. « Je n’aimais pas rester en classe sans bouger. Là on est actif, on bouge pendant la formation. »

Les formations dispensées à ces anciens détenus concernent le bâtiment, l'automobile, la mécanique marine, la vente, l'hôtellerie et la cuisine. "Dans le Programme d'accompagnement, nous tentons de faire prendre conscience au détenu que l'insertion par le travail ou la formation professionnelle sont les meilleurs stabilisateurs. Ils savent tous faire quelque chose. Chacun a la possibilité de programmer ou reprogrammer son parcours de vie, quand bien même le parcours pénal pour certains est plus important que le parcours professionnel », détaille Valérie Adda.

Réaliser une formation est un outil pour lutter contre la récidive. « On augmente ses chances d'employabilité à partir du moment où on est qualifié », met en avant Valérie Adda, représentante en Polynésie de l'AECD.
Au CFPA de la Punaruu, Didier Teheiura pose ses pinceaux pour nous expliquer son parcours. Condamné à quatre reprises, il a tout de suite saisi l’opportunité d’une formation « pour atteindre (son) objectif : trouver un contrat ». « Je voudrais dire à ceux qui sont en détention de faire tout leur possible pour qu’ils soient en formation et puissent s’en sortir après », ajoute-t-il. Pas question pour lui de retourner une cinquième fois à Nuutania.

Dans un atelier un peu plus loin, Enoha Terevaura, 27 ans, est en train de travailler sur la carrosserie d’une petite voiture citadine. « Aujourd’hui, je souhaite montrer à ma fille, qui va avoir bientôt 5 ans, une bonne image et lui montrer que pour réussir il faut travailler », insiste-t-il.

« Réaliser une formation est un moyen de restaurer l'estime de soi, souvent anémié en milieu carcéral. On augmente ses chances sur le marché de l'emploi à partir du moment où on est qualifié », met en avant Valérie Adda. « J’ose espérer que le Programme AECD puisse être un outil de renforcement au travail effectué par le Spip et de prévention contre la récidive. »

Dans le cadre de leur formation professionnelle, les stagiaires bénéficient d’un contrat d'accès à l'emploi (CAE) et donc d’une rémunération. « Cela vient rétablir un équilibre social et familial tout en restaurant la dignité de la personne », souligne Valérie Adda.

A l’issue de leur formation au CFPA ou par le biais du Sefi, les « apprentis » font un stage en entreprise. « Je montrerai tout ce que j’ai appris », annonce Enoha Terevaura. Gilles, Didier ou Enoha pensent déjà à l’après. « J’ai passé quelques mois à Nuutania, ça m’a suffi », souligne Enoha. « Cette formation c’était une occasion à ne pas rater. »
Ce programme est établi et reconduit pour une durée de quatre ans. Ce dispositif sera aussi mis en place lors de l'ouverture du centre de détention de Papeari.

(*) Le prénom a été modifié

Didier Teheiura, 40 ans : « Mon objectif : trouver un contrat »

"Quand j’étais en prison, je pensais trop à ma famille. Je voulais avoir du travail pour sortir et ne pas y retourner. En prison, j’ai rencontré Valérie Adda, la représentante de l’AECD, elle m’a aidé dans les moments douloureux et pendant plusieurs semaines on a préparé cette formation.
Je suis allé quatre fois à Nuutania. Quand j’y allais cela correspondait au moment où je n’avais rien : je n’avais pas d’argent pas de travail.
Ma peine a pu être aménagée grâce à la formation que j’ai trouvée. J’étais content de dire à mes enfants que j’étais en formation. Je fais tout mon possible pour atteindre mon objectif : trouver un contrat. Je voudrais dire à ceux qui sont en détention de faire tout leur possible pour qu’ils soient en formation et puissent s’en sortir après. »

Enoha Terevaura, 27 ans : « Une occasion à ne pas rater »

« Décrocher cette formation est une chance pour moi de me réinsérer et de gagner un peu d’argent. C’était une occasion à ne pas rater. J’espère obtenir le diplôme à l’issue de cette formation. J’ai choisi une formation carrosserie car au lycée j’avais commencé un CAP réparateur carrosserie. J’ai passé plusieurs mois à Nuutania, ça m’a suffi. Aujourd’hui, je souhaite montrer à ma fille, qui va avoir bientôt 5 ans, une bonne image et lui montrer que pour réussir il faut travailler. »

C'est quoi l'AECD ?

EL'Association pour l'éducation cognitive et le développement (AECD) a été fondée en 1991 par Guylaine Soavi, docteur en psychologie cognitive. "L'éducation cognitive concerne toute personne qui souhaite, à un moment donné de son existence ou de son parcours, réfléchir, comment est-ce qu'elle fonctionne fonctionne, comment est-ce qu'elle agit et réfléchit, comment est-ce qu'elle peut être plus efficace, dans son interaction avec sou ou ses environnements, qu'ils soient sociaux, professionnels ou familiaux", explique Guylaine Soavi. Cette association est très présente dans la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Elle est aussi présente en Martinique, Guyane et en Polynésie française depuis 2016.
Au fenua, l’association est aussi un organisme de formation. Dans ce cadre, Guylaine Soavin sera en Polynésie française en juin prochain pour piloter une formation pour le Sefi à l’attention des agents territoriaux sur le thème des travailleurs handicapés.


Rédigé par Mélanie Thomas le Mercredi 29 Mars 2017 à 18:10 | Lu 5023 fois