De l'art de la guerre à l'art du cirque pour l'armée en Colombie


TIRIBITA, 15 mars 2014 (AFP) - Ce n'est pas la peur face à l'ennemi, mais le trac avant l'arrivée des spectateurs. En Colombie, des soldats ont monté un cirque itinérant pour montrer une autre image de l'armée dans ce pays en proie au plus vieux conflit d'Amérique latine.

Le "Cirque Colombie" vient de faire étape à Tiribita (centre), un bourg de 3.000 habitants dans la région de naissance de Gonzalo Rodriguez Gacha, l'un des barons de la drogue des années 90.

Cette fois l'armée ne vient pas pourchasser les membres de guérillas ou des bandes criminelles composées en partie d'anciens paramilitaires, dont les exactions ont fait plusieurs centaines de milliers de morts en 50 ans.

Le maquillage remplace le camouflage. Ils sont une vingtaine de soldats à délaisser l'uniforme vert-olive pour revêtir les traits de clowns ou d'acrobates sous un chapiteau coloré. Et proposer un message de joie et d'espoir.

"Ce travail est intéressant parce que nous ne sommes pas des artistes professionnels", explique à l'AFP Leonardo Santamaria, l'un des "artistes", avant de grimper sur un trapèze à cinq mètres de haut, sous le regard béat puis les applaudissements d'environ 800 personnes.

Cela pourrait sembler étonnant, mais loin des champs de bataille, ces drôles de soldats doivent tout de même faire preuve de courage face au public. "Il nous donne des angoisses, on a peur d'être jugé", confie M. Santamaria, dont c'est la première apparition. "Les gens savent que les militaires sont préparés pour d'autres types de choses", glisse ce grand gaillard musclé.

Plusieurs soldats du Cirque Colombie ont effectué des patrouilles dans des zones considérées comme des fiefs des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) ou de l'Armée de libération nationale (ELN), les deux principales rébellions d'extrême-gauche fondées dans les années 60 et qui comptent encore selon les autorités près de 8.000 et 2.500 combattants.

- 'Ils sont mignons' -

Sous le chapiteau, le défi pour les militaires est tout autre : jongleries, exercices d'équilibre, chants et sketchs. Les plus jeunes recrues du cirque effectuent leur service militaire.

"Le cirque, c'est ma vie", lance Daniel Borja, soldat converti en clown. Avec sa petite taille et son embonpoint, il est devenu l'un des clous du spectacle.

Les spectateurs sont d'abord un peu incrédules, forcément, signale le directeur du cirque, le sergent Oscar Franciso Yela : "Au début, ils les voient avec crainte, c'est logique. Des soldats colombiens et un cirque ? Quel rapport ?".

S'il y a un point commun, c'est bien celui de l'entraînement, aussi dur et rigoureux sous les feux de la rampe que dans les tranchées.

"Je fais des exercices techniques deux heures par jour et je répète tout le temps", avoue M. Santamaria.

Cela fait 20 ans que cette initiative a été lancée mais la tournée tombe particulièrement à pic. Depuis plusieurs semaines, l'armée a été secouée par une série de scandales, entre corruption et exécutions extrajudiciaires.

"Il y a beaucoup de soldats colombiens et les bons sont plus nombreux que ceux qui ont pris un mauvais chemin", assure M. Yela. "Ce n'est pas parce qu'il y a une brebis galeuse que toute l'institution est gangrenée".

Venu donner une image plus douce de l'armée, le Cirque Colombie ne rate en tout cas pas sa cible et la plupart des spectateurs jugent l'expérience très positive. "Ils sont très mignons, ces petits soldats. J'aime leur amabilité, leur attention", réagit Rosa Aldana, après les numéros.

A l'extérieur du chapiteau, triste retour à la réalité de la violence colombienne : des soldats en tenue, mitraillette en bandoulière, veillent sur la tranquillité du spectacle.

Rédigé par () le Samedi 15 Mars 2014 à 07:16 | Lu 736 fois