De Ahutoru à tupapa'u : le fenua en 200 mots


PAPEETE, le 28 mai 2015. Le Dictionnaire insolite de Tahiti s'adresse principalement à ceux qui connaissent peu ou pas la Polynésie, mais Rosanne Aries, journaliste à Tahiti de 2000 à 2005, nous rappelle aussi des informations sur les arbres, les artistes, l'histoire de la Polynésie... Saviez-vous que la première piste pour accueillir des avions gros-porteurs se situait à Bora Bora ? Entretien.


Comment est née l'idée de ce dictionnaire insolite ?
Rosanne Aries : A l’occasion d’une rencontre organisée avec plusieurs auteurs des Editions Cosmopole, j’ai découvert dans une librairie parisienne cette collection des Dictionnaires insolites. Elle compte une trentaine de destinations. J’ai ouvert celui du Japon où j’avais eu l’occasion de me rendre quand je vivais à Punaauia. J’ai trouvé le concept très intéressant et les découvertes fascinantes. J’accédais directement au quotidien des gens. Ça m’a plu tout de suite. De mon côté, depuis mon retour en métropole, j’écrivais régulièrement des articles sur le fenua pour des médias français. J’ai donc rencontré, Patrick et Vanessa, les éditeurs, qui ne connaissaient pas Tahiti, ils m’ont donné carte blanche. Dans cette collection, ils ne font appel qu’à des auteurs qui séjournent ou ont habité sur place. 
 

Comment avez-vous choisi les mots dont vous alliez donner la définition ?
Quand on arrive à Tahiti, il y a des mots qui interpellent assez rapidement. Et de manière assez amusante, j’ai pensé immédiatement au fameux punu pua’atoro qui est le premier mot que j’ai écrit. J’avais été très surprise d’apprendre qu’il s’agissait d’un mélange de bœuf vendu en boîte, alors que pua’atoro signifie « cochon-taureau ». Mon amie Moerii, qui en plus d’être journaliste donne des cours de tahitien, m’avait alors expliqué que les premiers animaux importés par les Européens avaient reçu des noms composés à partir de pua’a, le cochon, qui était déjà présent au fenua. Ainsi le bœuf est le cochon-taureau et le cheval, pua'ahorofenua, le cochon qui court sur terre.
J’ai aussi rapidement développé le mot « PK ». Je me souvenais de conversations ubuesques à mon arrivée : « On est déjà au PK 22,5 ? C’est le marae de Arahurahu ? –Aita, ici c’est PK19 ! ». J’ai également voulu parler de Polynésiens qui m’ont « bousculée », je pense notamment à Henri Hiro et à Flora Devatine avec son livre Tergiversations et rêveries de l’écriture orale : Te Pahu a Hono’ura (Au Vent des îles, 1998) mais aussi au bouleversant Mutismes de Titaua Peu (Haere Po, 2003). J’ai retenu des mots plus connus comme le 'ukulele ou encore le pareu, dont on ignore souvent les origines quand on arrive de métropole. Au bout du compte, j’ai écrit environ 200 mots de cette façon, avec une grande liberté de ton, propre à la collection.

 
Pour vous, ce dictionnaire a-t-il pour but d'aller à l'encontre des stéréotypes sur la Polynésie ? 
Le Dictionnaire insolite essaie d’apporter un autre regard. Ça n’est pas un contrepoids aux clichés mais plutôt un contrepoint. La Polynésie française est tellement plus que tous ces stéréotypes. Je rappelle, par exemple, que les îles sont aussi vertes que bleues. Et s’il est mille occasions de se jeter à l’eau, le territoire est également le meilleur endroit pour atteindre des sommets et marcher loin des sentiers battus. Entre les utopistes qui fantasment une vie primitive et les fatalistes qui craignent l’ennui, une troisième voie, faite d’expériences, est à trouver sur place, me semble-t-il. Fort heureusement, la réalité polynésienne n’est pas paradisiaque, ce qui permet probablement d’y vivre. Je parle aussi beaucoup de la culture polynésienne, de ses dieux, de ses croyances, de sa gastronomie, de ses langues jusqu’à celle du sourcil qui n’admet aucun mot et de son edelweiss, le tiare apetahi. Sa culture est une force, l’accueil des Polynésiens en est une autre. Quand un métropolitain me raconte qu’après 10 ans passés à Hao dans les années 1980, il n’ose pas ouvrir son album photos de peur de « craquer », ça n’est pas du fantasme ou de l’ordre de l’intellect. La Polynésie française prend aux tripes.



Pratique

Dictionnaire insolite de Tahiti
Éditeur Cosmopole
160 pages
Prix public TTC : 11 euros
Ce livre n'est pas encore distribué au fenua.

Du cyclone « meurtrier » de 1903 aux chiens « Stitch » (Extraits du dictionnaire)

Aéroport
« Opération Bobcat : le 17 février 1942, les soldats américains débarquent à Bora Bora pour installer une base de repli dans le Pacifique Sud et stopper les Japonais. Durant leur séjour, ils construisent des routes, des réservoirs d’eau, des quais, une station météo, des entrepôts et surtout une piste d’aviation – la première en Polynésie française (qui ne voyait jusque-là passer que des hydravions), construite en quinze semaines. Inaugurée en avril 1943, elle fut la seule piste capable d’accueillir de gros-porteurs jusqu’à la construction de l’aéroport de Tahiti Faa'a, dix-huit ans plus tard. »

Baleine à bosse
« Les tohora, comme les appellent les Tahitiens, remontent les eaux froides de l’Antarctique pour s’accoupler ou mettre bas ici. Elles sont attendues : leur arrivée en juillet est annoncée par la floraison de l’atae, rebaptisé l’« arbre aux baleines ». Les dernières y restent jusqu’en octobre, une fois que le nouveau-né a puisé assez de force pour (re)prendre la longue route. »

Bonheur intérieur brut
« Les habitants de Rapa, aux Australes, seraient les plus heureux au monde, selon le sociologue Christophe Serra Mallol qui a évalué, pendant plusieurs mois, en 2010, leur BIB (Bonheur Intérieur Brut) ou « le bien-être subjectif ». L’affaire est très sérieuse : avant lui, plusieurs chercheurs s’y sont intéressés. Il faut dire que Rapa est une île très isolée et particulière : outre ses 900 taureaux en liberté, elle ne possède ni aérodrome ni hôtel. Ses 500 habitants ont leur propre langue et vivent à l’ancienne, en communauté et autosubsistance. »


Chien
« Ils ressemblent davantage à Stitch – surnom qui leur est souvent donné en référence au petit animal extra-terrestre affreux et féroce – qu’à Lassie. Les chiens sont nombreux à errer décharnés, domestiques ou abandonnés, sur la voie publique. Leur apparence est souvent étrange : les bâtards y sont légion, le chien jaune en tête (les Polynésiens parlent avec humour du « berger tahitien »). »

Cyclone
« Le cyclone de 1903, le plus meurtrier, a fait 519 morts aux Tuamotu, dont les 377 habitants de l’atoll de Hikueru ravagé par des vagues de 12 mètres et des vents à 172 km/h. Le cyclone Veena en 1983 a provoqué plus de 6 milliards de Fcfp de dommages matériels, et fait 25 000 sans-abri. Même si les mesures de précaution ont été renforcées, les îles restent vulnérables : en 2010, Oli a fait un mort à Tubuai (Australes), provoqué des dégâts matériels et l’évacuation de milliers de personnes à Tahiti. »


Rédigé par Mélanie Thomas le Jeudi 28 Mai 2015 à 10:24 | Lu 2666 fois