Dans l'ouest de la Guyane noyé sous les eaux, un pont aérien pour les populations


Photo d'illustration du village de Taluen. jody amiet / AFP
Saint-Laurent du Maroni, France | AFP | vendredi 18/03/2022 - Le déluge. En quelques semaines, des pluies d'une intensité rare ont fait déborder les rivières, noyé les champs et coupé les rares routes de l'ouest de la Guyane, y piégeant des dizaines de milliers d'habitants désormais ravitaillés par la voie des airs.

A Taluen, Twenké et Pidima, des villages isolés en amont du fleuve Maroni, le piroguier David Kanha constate, fataliste, l'étendue des dégâts. "Les maisons sont inondées, on doit demander l'hospitalité chez la famille ou les amis", décrit au téléphone ce piroguier amérindien.

A l'écouter, la situation n'est pas près de s'améliorer. "Là-haut, il pleut toujours", constate-t-il.

Les inondations n'ont pour l'heure pas fait de victimes. Mais elles ont contraint nombre d'habitants de cette région recouverte par la forêt amazonienne à s'éloigner de plusieurs centaines de mètres du fleuve Maroni et de ses affluents pour se réfugier sur les hauteurs. Et elles pèsent désormais sur la sécurité alimentaire.

Les abattis, où poussent des cultures sur brûlis, sont sous les eaux. "On n'utilise pas d'engrais et on n'arrive pas à allumer les feux avec la pluie", se désole Aiku Alemin, l'adjoint au maire qui vit en aval de son village natal d'Antecume Pata.

"Avant-hier encore, j'ai été interpellé par huit familles de différents villages", poursuit l'élu, inquiet.

Avec la hauteur du fleuve, la pêche à la nivrée - une technique de pêche traditionnelle - n'est plus pratiquée. La préfecture a bien livré du riz à Maripasoula, commune du Haut-Maroni coincée entre le fleuve et la forêt, mais il faut le distribuer dans les villages.

Même hors-saison des pluies, la commune et sa dizaine de milliers d'habitants ne sont accessibles qu'en avion ou en pirogue.

Aujourd'hui, la crue du Maroni, qui marque la frontière entre la Guyane et le Surinam, a envahi la cale où les piroguiers débarquent leurs marchandises et rendu inutilisables plusieurs points de captage d'eau potable.

"C'est du jamais-vu pour un mois de mars", assure Lama Topo.

Traditionnellement, la petite saison des pluies inonde la Guyane de décembre à février. Puis les beaux jours s'installent en mars, jusqu'à la grande saison des pluies d'avril à juillet.

Ravitaillement aérien

Mais cette année, le département sera privé de ce "petit été". La faute à l'anomalie climatique la Niña, explique Patrick Ranson, le chef-adjoint au centre Météo-France de Guyane.

"La Niña ne suit pas un cycle précis. Elle modifie les vents et donc le climat", poursuit-il. Sur le plateau des Guyanes, elle se manifeste par des averses plus abondantes.

Pour le météorologue, il n'est pas encore l'heure de relier ces pluies au réchauffement climatique. Il faudra "des années de recul" pour le savoir", estime-t-il. Cette année en tout cas, la Niña devrait se faire sentir "jusqu'en mai-juin".

Pour assurer le ravitaillement des quelque 100.000 Guyanais isolés par les eaux, les autorités ont donc établi un pont aérien.

Chaque jour depuis le 10 mars, un hélicoptère, parfois doublé d'un avion de l'Armée de l'air, livrent riz, eau, médicaments, carburant et même aliments pour bétail aux populations. Onze tonnes ont déjà été acheminées.

"Dès le début, on a pris les devants en appelant les équipes municipales plusieurs fois par jour", souligne le sous-préfet chargé des communes de l'intérieur, Guillaume Brault.

Ce jour-là, l'avion a livré Maripasoula et mis le cap sur Saint-Laurent-du-Maroni. Normalement accessible par la route en trois heures depuis Cayenne, la préfecture du département, Saint-Laurent est elle aussi isolée par les crues.

Sous 60 cm d'eau, la route qui mène de Saint-Laurent à Mana, la commune voisine, est fermée aux véhicules légers. Des gendarmes y font passer le personnel prioritaire en camion. "On aperçoit des caïmans qui traversent", avertit l'un d'eux.

A Mana, le gîte et le hall municipaux ont été réquisitionnés pour accueillir les victimes des inondations. Environ 45 ont été prises en charge. L'adjointe au maire, Joseline Bacoul, assure ne manquer de rien. "On n'a pas trop galéré", dit-elle, "nous avons des bouteilles d'eau, des denrées". 

Le sous-préfet Brault promet que le pont aérien restera en place "le temps nécessaire".

le Vendredi 18 Mars 2022 à 06:47 | Lu 312 fois