D'où vient le chlordécone de nos récifs ?


« De façon inattendue, des niveaux significatifs de chlordécone ont été mis en évidence dans les espèces analysées, dont des poissons consommés localement », soulignent les trois chercheurs dans leur étude.
PAPEETE, le 20 juillet 2015. Tous les organismes des récifs coralliens présentent des traces de pesticides mais dans une quantité non dangereuse pour les espèces qui se consomment. Mais les scientifiques ont surtout été surpris de découvrir des traces de chlordécone, une substance qui n'a jamais été autorisée au fenua et dont la provenance demeure toujours un mystère.


Trois scientifiques ont passé au peigne fin les récifs coralliens de la Polynésie, aucun archipel n'y a échappé. Leur objectif : déterminer s'il y a ou non des pesticides dans les organismes des récifs coralliens. Résultat : « Il y a des pesticides dans les organismes récifaux que ce soient des organismes qui se mangent ou pas par l'homme. Toute la chaîne trophique des récifs coralliens est contaminée par des pesticides », explique Bernard Salvat, professeur émérite de l’Ecole Pratique des Hautes Études (EPHE) et fondateur du Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (Criobe) à Moorea. Les scientifiques Bernard Salvat, Hélène Roche et François Ramade ont publié les résultats de leur étude dans la revue Environnemental Science and Pollution research en mars 2015.
« On peut dire qu'il n'y a pas de zones ou d’habitats qui échappent à la contamination par des pesticides. Nous avons fait des analyses dans les îles de La Société, comme aux Australes et aux Tuamotu »,
explique Bernard Salvat. « C'est une pollution générale. La pulvérisation de pesticides, comme le DDT qui est maintenant interdit, a été faite pendant des décennies. C'est une pollution persistante : la dégradation est très lente dans le milieu marin et on retrouve des pesticides dans les organismes où qu'ils soient. Il y a des zones plus ou moins polluées mais toutes le sont. » Mais le scientifique se veut rassurant sur l'importance de ces résidus de pesticides.  «Les zones ne sont pas polluées à un niveau qui inquiète pour la consommation. Les niveaux sont inférieurs. »
Ce qui a en fait le plus étonné les scientifiques, c'est la présence de chlordécone alors que ce produit n'a jamais été autorisé en Polynésie française (lire encadré ci-contre).

« On ne sait pas comment il est arrivé ici. Il est interdit sur le territoire et, en principe, il n'y aurait jamais dû y avoir de chlordécone »,
souligne Bernard Salvat. « Néanmoins, les concentrations que vous pouvez trouver en chlordécone sont 100 fois moins importantes qu'en Guadeloupe. »

La provenance de ce chlordécone détecté en Polynésie est inconnue.
« Normalement, ce type de pesticide ne peut qu'être importé, il aurait dû passer par la douane mais tout peut ne pas passer par la douane non plus. » Concernant l'origine du chlordécone, il n'y a pas d’explication mais des hypothèses : « Il y a pu y avoir des importations il y a plusieurs dizaines des années qui ne passaient pas la douane, ce n'est pas impossible. Nous avons aussi la grande inconnue de l'utilisation des pesticides lors de l'implantation du Centre d'expérimentation du Pacifique car nous n'avons plus les archives de ce moment et nous ne savons pas trop ce qui s'est passé. »
Des traces de chlordécone ont été trouvées dans tous les archipels de la Polynésie française. « Ce sont des concentrations infimes mais le chlordécone a bien été utilisé », insiste Bernard Salvat.


Le chlordécone c'est quoi ?

Le chlordécone a été employé aux Antilles entre 1973 et 1993 pour lutter contre le charançon du bananier. Il a été interdit depuis, mais sa présence persistante dans les sols et les eaux de rivière continue à contaminer les denrées alimentaires. Il est considéré comme un perturbateur endocrinien, c'est-à-dire qu'il est capable d'agir sur l'équilibre hormonal. Parmi les aliments les plus touchés, on trouve les légumes racines comme le manioc, les melons et les concombres, les viandes locales ainsi que les fruits de mer ou les poissons d'estuaire.

Quel impact sur les coraux ?

Certains pesticides, dont des herbicides sont communément utilisés ou l'ont été et qui se retrouvent dans le milieu corallien, sont des inhibiteurs de la photosynthèse des coraux. S'il y a trop de pollution par ces herbicides dans les eaux côtières où il y a des récifs coralliens les récifs et coraux vont avoir des difficultés à faire la photosynthèse.
« De ce côté-là, on est inquiet car s'il y avait de fortes concentrations les algues symbiotiques des coraux n'arriveraient plus à faire la photosynthèse », souligne le biologiste Bernard Salvat. « On n'en est pas là, mais il y en a. »

le Lundi 20 Juillet 2015 à 16:32 | Lu 2508 fois