Créer une aire marine protégée aux Australes créerait 70 emplois


Nicolas Pascal (par Skype) et Greg Klassen, deux des trois rédacteurs de l'étude d'impact économique sur l'AMP des Australes, ont présenté leurs travaux jeudi dernier au grand public.
PAPEETE, le 8 mars 2019 - Une étude d'impact économique sur le projet d'aire marine protégée des Australes vient d'être publiée. Elle a été réalisée par un économiste spécialiste de l'économie bleue, Nicolas Pascal. Sa principale conclusion : les pertes liées à la fermeture de zones de pêches aux Australes seront très rapidement compensées par une hausse du tourisme, au point de rapporter 250 millions de francs nets par an à la Polynésie au bout de cinq ans.

Le projet de grande aire marine protégée (AMP) des Australes, le Rahui Nui no Tuha'a Pae proposé en 2016, est-il un rêve utopique contraire aux ambitions de développement économique de l'archipel ? C'est ce que semble penser le gouvernement polynésien (au grand regret du maire de Tubuai, voir interview). Pourtant, une nouvelle étude d'impact économique du projet a été dévoilée la semaine dernière par la fondation Pew-Bertarelli. Elle montre qu'au contraire, le Rahui Nui no Tuha'a Pae pourrait être une des plus belles opportunités de croissance économique qui s'offre aux Australes.

Cette étude a été réalisée par Nicolas Pascal, directeur de l'ONG Blue Finance, économiste spécialiste de l'économie bleue, et Greg Klassen de l’agence canadienne Twenty 31, spécialisé en écotourisme qui a participé à créer l'AMP de Palau et a pu en constater les immenses bénéfices pour ce petit archipel. Ils ont présenté leur travail jeudi 7 mars lors d'une conférence publique.

Leurs conclusions semblent sans appel. Créer l'AMP des Australes permettrait d'augmenter de 50% le nombre de touristes dans l'archipel en 5 ans, avec une croissance régulière par la suite. Elle aurait également des effets positifs pour toute la Polynésie, en particulier grâce à une amélioration de notre image de marque. Enfin, le profil de ces touristes supplémentaires serait très intéressant : des jeunes passionnés de culture et d'environnement, qui fuient la foule et exigent un développement durable de la destination. Pile le profil de visiteurs que l'archipel veut attirer...

Les chercheurs ont ensuite appliqué une règle simple : en Polynésie, 26 touristes supplémentaires créent un nouvel emploi. Avec plus de 1100 nouveaux visiteurs aux Australes et 700 de plus dans le reste de la Polynésie, ils arrivent donc à 70 emplois créés en cinq ans (dont 43 aux Australes).

UN BÉNÉFICE NET DE 250 MILLIONS DE FRANCS PAR AN POUR L'ÉCONOMIE DU PAYS

Quand les coûts et les bénéfices attendus par la création de l'aire marine protégée sont comptés, il reste un "bénéfice" de 256 millions de francs par an pour l'économie du Pays. Chaque franc investi dans le Rahui Nui no Tuha'a Pae en rapporterait donc trois.
Comme toute bonne étude d'impact, les experts ont aussi compté les coûts et les bénéfices attendus. Ils estiment que la moitié de la pêche palangrière qui a aujourd'hui lieu dans la zone serait perdue, l'autre se répartissant dans le reste de la ZEE. Un coût plus que compensé pour les pêcheurs de l'archipel qui verraient, eux, les stocks de poissons à proximité immédiate de leurs îles préservés, et même augmentés, par la création de l'AMP et le développement des rahui lagonnaires.

La mise en place de l'AMP coûterait 214 millions de francs, mais la plus grande partie de cette somme est déjà financée par des investissements publics déjà réalisés ou par des ONG. La gestion de l'aire marine coûterait 44 millions de francs par an, ce qui inclut des frais de communication importants pour faire venir les éco-touristes. En échange, les revenus touristiques attendus sont considérables pour la petite économie de l'archipel, avec 150 millions de francs par an au bout de cinq ans pour les Australes et 110 millions de plus pour le reste de la Polynésie.

Quand tout est compté, il reste un bénéfice économique net de plus de 250 millions de francs par an pour l'économie polynésienne. Sans compter les bénéfices environnementaux importants pour le Pacifique, avec une zone où les thons et autres poissons pélagiques seraient préservés pour nos futures générations. Ces poissons sont victimes d'une surpêche intense dans le Pacifique, ce qui pourrait rapidement provoquer leur disparition dans des pans entiers de notre océan...

Fernand Taheata, maire de Tubuai

Les maires des Australes sont-ils toujours aussi fervents pour défendre ce projet d'aire marine protégée ?
Je pense que oui, la majorité des maires... à part ceux qui sont dans la majorité. C'est eux qui mélangent la politique et l'aire marine protégée.

Cette étude qui tend à montrer que cette AMP aura un impact économique positif pour vos îles peut-elle changer la donne ?
Dès le départ nous savions cela, nous les maires, que l'AMP aurait un impact positif sur l'économie de notre archipel des Australes. Mais maintenant, certains maires ont mis en avant leur idéologie politique et c'est ça qui fait trainer le projet. Les scientifiques nous informent des impacts du projet, qu'il donnera du travail à nos populations, que des touristes s'intéressent à ces zones. C'est important pour nous, nos archipels n'ont pas assez de travail pour nos jeunes. En plus, des touristes éco-responsables, ça nous plairait.

Vous y croyez encore à cette AMP ?
J'y crois toujours, ça ne va pas passer aujourd'hui, mais ça sera fait un jour ou l'autre. C'est comme l'arme atomique, au départ ils disent que c'est propre, mais aujourd'hui même le Président du Pays et les hommes politiques admettent que... (sourire)

Les nouveaux essais nucléaires c'est quoi dans cette métaphore ? Les projets pêche industrielle soutenus par le gouvernement ?
(Rires)

Gérôme Petit, directeur de Pew-Bertarelli en Polynésie

1800 touristes de plus en cinq ans... Comment arrivez-vous à ces chiffres ?
Donc ce n'est pas Pew qui a trouvé ces chiffres, ce sont des économistes. Nous avons fait appel à de vrais experts de ce domaine, qui ont déjà étudié d'autres aires marines protégées dans le monde et ont vu ces augmentations de la fréquentation. Donc ils ont pris une moyenne de la hausse du nombre de touristes qui a été constaté dans les autres aires marines protégées du même type que celle proposée pour les Australes et ils sont arrivés à une hausse de la fréquentation de 10% par an. Donc en cinq ans, on arrive à environ 50% de touristes supplémentaires dans les sites qui ont créé des aires marines protégées. Pour les Australes, ça représente 1125 touristes supplémentaires. Mais l'étude montre aussi que les bénéfices ne s'arrêtent pas aux Australes. Pour le tourisme, faire venir des visiteurs aux Australes les oblige à passer par Tahiti, et ils vont souvent en profiter pour aller voir une autre île, comme Moorea, Fakarava ou Bora Bora. Enfin cette aire marine protégée renforcerait la visibilité internationale de la Polynésie française, en lui donnant une image bien plus éco-touristique, elle provoquerait des centaines d'articles dans la presse internationale, des émissions de télévision, tout ce qu'on a observé dans les autres AMP. On estime que cet effet rapporterait encore 700 visiteurs supplémentaires pour la Polynésie en cinq ans.

Les experts ont aussi croisé ces données avec celles sur les "nouveaux visiteurs", qui sont de plus en plus nombreux parmi les millenials, la génération née après les années 80. Ces nouveaux visiteurs recherchent des expériences authentiques, ils recherchent une protection de l'environnement parce que ça s'aligne avec leurs convictions personnelles, ils recherchent de la culture... Les études dans le monde montrent que ces millenials sont très intéressés par les labels environnementaux comme les aires marines protégées. Il s'agit donc d'une stratégie touristique très payante à long terme.

C'est donc une vraie opportunité pour les Australes, à ne pas rater ?
Dans cette étude économique, si l'on compare les coûts que pourrait engendrer la réserve, que ce soient les coûts de gestion, les comités scientifiques, la surveillance, mais aussi les coûts d'opportunité qui sont liées aux pertes des zones de pêche, tous ces coûts sont finalement trois fois moins élevés que les bénéfices projetés à travers le tourisme, et même à travers le développement de la pêche lagonnaire. Donc on a voulu essayer de poser cette question pour ce projet qui est très concret, qui ne se fera peut-être jamais mais qui est un cas d'étude intéressant pour montrer qu'investir dans un capital naturel n'a pas seulement du sens au niveau écologique, mais a aussi du sens au niveau économique et social pour le Pays.


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Vendredi 8 Mars 2019 à 15:26 | Lu 2082 fois