Carla BERNHARDT / AFP
Pointe-à-Pitre, France | AFP | jeudi 09/09/2021 - "Retards de diagnostic", peur du vaccin anti-Covid, défiance vis-à-vis des autorités dû notamment au scandale du chlordécone, ont favorisé une forte 4e vague de l'épidémie en Guadeloupe, explique à l'AFP Stéphanie Mulot, professeure de sociologie qui a mené une étude sur place.
Q: Quels enseignements tirez-vous de votre étude ?
R: "Il est urgent de faire un travail de terrain auprès des patients et des soignants. J'étais en Guadeloupe en vacances et j'ai voulu comprendre cette crise, ce qui avait concouru à cette crise, mais aussi comprendre la réticence à la vaccination.
Ce que j'ai pu observer, c'est qu'il y a d'abord un retard au diagnostic et un retard au dépistage. Certains malades pensaient qu'ils s'étaient refroidis et n'ont pas pensé à la Covid-19. Soit ils n'ont pas eu de traitement, soit ils ont pris des choses qui n'ont pas été efficaces: des thés de la pharmacopée locale, de l'herbe à pic par exemple, les vitamines C, D, parfois du zinc.
Or, il y a une urgence à la prise en charge. Entre le dixième et le douzième jour, la situation vrille d'un coup. Comme ce jeune homme de 36 ans que j'ai rencontré le 24 août au service des maladies infectieuses. C'était avant le 10ème jour. Le lendemain, il est parti en réanimation. Le 28 août, il était mort.
Au bout de cette étude pilote, je vois des victimes des inégalités sociales et de la confusion médiatiques dans laquelle ces personnes sont plongées. Certains patients n'ont pas de médecin traitant, n'ont pas le suivi médical dont ils ont besoin. La majeure partie des personnes interrogées au CHU de Guadeloupe sont des gens qui ont des comorbidités: obésité, hypertension artérielle, diabète, insuffisance rénale....
Beaucoup ne ne se voient pas comme personne à risque car le mot +comorbidité+ ne veut rien dire pour eux.
La plupart des personnes rencontrées n'était pas vaccinée. Le crainte du vaccin et de ses effets est plus forte que celle du virus."
Q: Quels sont les profils des personnes rétives à la vaccination ?
R: "Il apparaît trois profils de patients. Il y a +les hésitants+: ils sont perdus, ils ne savent pas s'ils doivent faire confiance aux autorités sanitaires, à l'entourage ou aux réseaux sociaux.
Il y a ensuite ceux qui regrettent de ne pas avoir opté pour la vaccination. Ils ont hésité et ils sont en colère. Ils veulent que les fausses informations arrêtent de circuler. La peur de mourir les conduit à décider de se faire vacciner.
Le troisième groupe, ce sont +les réfractaires+: ils sont arrivés à l'hôpital opposés à la vaccination et même après leur prise en charge, ils y restent opposés. Ils disent qu'avec les traitements et la prise en charge à l'hôpital, on peut s'en sortir et on est immunisé. La taille de mon étude pilote ne permet pas de déterminer lequel des ces trois groupes est dominant".
Q: D'où vient la défiance vis-à-vis des autorités ?
R: "Au mois d'aout, 93% des décès au CHU étaient non-vaccinés. Il y a une défiance envers les autorités sanitaires et les autorités politiques, envers les personnes et les institutions qui représentent une domination politique, sanitaire, scientifique.
La méfiance est d'autant plus grande quand les gens sentent qu'ils ne sont pas maîtres de leur destin, de leur avenir. Il y a le sentiment de ne pas être respecté, d’être infériorisé, d'être souvent méprisés par les journalistes et le personnel médical. Et on n'a pas envie de faire confiance à des gens qui vous méprisent.
La crise actuelle s'ajoute aux événements antérieurs. Il y a eu la mort de Claude Jean-Pierre en décembre 2020 (sexagénaire guadeloupéen tombé inanimé lors d'un contrôle de gendarmerie, mort deux semaines plus tard, alors qu'une information judiciaire contre X pour homicide involontaire a été ouverte, NDLR), l'affaire Keziah en Martinique, ce jeune homme blessé à la tête lors de son arrestation en juillet 2020. Et il y a bien sûr, le scandale du chlordécone, sujet majeur extrêmement sensible".
Q: Quels enseignements tirez-vous de votre étude ?
R: "Il est urgent de faire un travail de terrain auprès des patients et des soignants. J'étais en Guadeloupe en vacances et j'ai voulu comprendre cette crise, ce qui avait concouru à cette crise, mais aussi comprendre la réticence à la vaccination.
Ce que j'ai pu observer, c'est qu'il y a d'abord un retard au diagnostic et un retard au dépistage. Certains malades pensaient qu'ils s'étaient refroidis et n'ont pas pensé à la Covid-19. Soit ils n'ont pas eu de traitement, soit ils ont pris des choses qui n'ont pas été efficaces: des thés de la pharmacopée locale, de l'herbe à pic par exemple, les vitamines C, D, parfois du zinc.
Or, il y a une urgence à la prise en charge. Entre le dixième et le douzième jour, la situation vrille d'un coup. Comme ce jeune homme de 36 ans que j'ai rencontré le 24 août au service des maladies infectieuses. C'était avant le 10ème jour. Le lendemain, il est parti en réanimation. Le 28 août, il était mort.
Au bout de cette étude pilote, je vois des victimes des inégalités sociales et de la confusion médiatiques dans laquelle ces personnes sont plongées. Certains patients n'ont pas de médecin traitant, n'ont pas le suivi médical dont ils ont besoin. La majeure partie des personnes interrogées au CHU de Guadeloupe sont des gens qui ont des comorbidités: obésité, hypertension artérielle, diabète, insuffisance rénale....
Beaucoup ne ne se voient pas comme personne à risque car le mot +comorbidité+ ne veut rien dire pour eux.
La plupart des personnes rencontrées n'était pas vaccinée. Le crainte du vaccin et de ses effets est plus forte que celle du virus."
Q: Quels sont les profils des personnes rétives à la vaccination ?
R: "Il apparaît trois profils de patients. Il y a +les hésitants+: ils sont perdus, ils ne savent pas s'ils doivent faire confiance aux autorités sanitaires, à l'entourage ou aux réseaux sociaux.
Il y a ensuite ceux qui regrettent de ne pas avoir opté pour la vaccination. Ils ont hésité et ils sont en colère. Ils veulent que les fausses informations arrêtent de circuler. La peur de mourir les conduit à décider de se faire vacciner.
Le troisième groupe, ce sont +les réfractaires+: ils sont arrivés à l'hôpital opposés à la vaccination et même après leur prise en charge, ils y restent opposés. Ils disent qu'avec les traitements et la prise en charge à l'hôpital, on peut s'en sortir et on est immunisé. La taille de mon étude pilote ne permet pas de déterminer lequel des ces trois groupes est dominant".
Q: D'où vient la défiance vis-à-vis des autorités ?
R: "Au mois d'aout, 93% des décès au CHU étaient non-vaccinés. Il y a une défiance envers les autorités sanitaires et les autorités politiques, envers les personnes et les institutions qui représentent une domination politique, sanitaire, scientifique.
La méfiance est d'autant plus grande quand les gens sentent qu'ils ne sont pas maîtres de leur destin, de leur avenir. Il y a le sentiment de ne pas être respecté, d’être infériorisé, d'être souvent méprisés par les journalistes et le personnel médical. Et on n'a pas envie de faire confiance à des gens qui vous méprisent.
La crise actuelle s'ajoute aux événements antérieurs. Il y a eu la mort de Claude Jean-Pierre en décembre 2020 (sexagénaire guadeloupéen tombé inanimé lors d'un contrôle de gendarmerie, mort deux semaines plus tard, alors qu'une information judiciaire contre X pour homicide involontaire a été ouverte, NDLR), l'affaire Keziah en Martinique, ce jeune homme blessé à la tête lors de son arrestation en juillet 2020. Et il y a bien sûr, le scandale du chlordécone, sujet majeur extrêmement sensible".