Covid : "Il y a une fausse sensation de sécurité, le danger est là"


Tahiti, le 10 septembre 2020 - Sollicité par le Cesec pour un éclairage sur la situation sanitaire, Lam Nguyen a mis en garde contre une "fausse sensation de sécurité", alors que "le danger est là". De l'efficacité du masque à l'immunité collective, en passant par les autotests, la chloroquine, et la distanciation sociale à l'école, l'épidémiologiste de l'Institut Louis Malardé a rectifié un certain nombre de "contre-vérités".   
 
"On ne sait pas quand ça va arriver, mais quand ça va arriver, ce sera de façon brutale." L'introduction de Lam Nguyen, épidémiologiste de l'Institut Louis Malardé, sur la situation sanitaire hier au Cesec, fait froid dans le dos. D'autant qu'elle intervient juste avant l'annonce du décès d'une octogénaire, première victime du Covid-19. "Il y a une fausse perception du danger parce que la première fois on a eu 60 cas, et zéro mort, et qu'on compte aujourd'hui 800 cas, et zéro morts" poursuit le scientifique. Avec 74 nouveaux cas hier, la courbe augmente désormais de façon "exponentielle". "La majorité des cas ont moins de 45 ans. Mais quand les plus de 65 ans seront touchés, que va-t-il se passer ?" Outre les personnes âgées, il cite les personnes en surcharge pondérale, en difficulté respiratoire, ou en insuffisance rénale. "Il y a une fausse sensation" de sécurité. "Le danger est là. Il y aura des morts. Combien ? On espère le moins possible. On a eu de la chance jusqu'à maintenant." 
  Sommes-nous suffisamment bien équipés ?  
C'est la question qui hante la Direction de la santé nuit et jour. "Le taux d'occupation des lits nous préoccupe. Ici nous n'avons qu'un seul service de réanimation, comment faire s'il est saturé ? interroge le scientifique. Nous sommes tout seul dans le Pacifique. On ne pourra pas envoyer nos malades chez nos voisins de la région, ils sont tous fermés, et la France est loin."
  Faut-il compter sur l'immunité collective ?  
Avant de l'atteindre il faut qu'une part importante de la population l'attrape : 50 % pour la grippe, 90 à 95 % pour la rougeole, et 70% pour Covid-19 selon l'institut Pasteur. Soit 190 000 personnes en ce qui concerne la Polynésie. Pas sûr que notre service de réanimation et ses 60 respirateurs tiennent le coup. D'autant qu'il faut compter trois à quatre semaines d'occupation pour les lits de réanimation. "Si par exemple on a 800 cas en un mois, il faut 10 mois pour 8 000 cas, 100 mois pour 80 000 cas, combien en faut-il pour arriver jusqu'à 190 000 cas ? Est-ce que ce temps joue pour ou contre nous ? Je ne sais pas" indique Lam Nguyen.
"Une fois qu'on l'a eu est-ce qu'on peut l'attraper à nouveau ?" rebondit un conseiller. "Oui" répond le médecin, citant les cas récemment décrits de quatre patients réinfectés par le Sars-COV-2, notamment à Hong-Kong, en Belgique et au Pays-Bas. "Dire qu'il faut une immunité collective, présuppose que l'immunité est solide. Or, il y a le Coronavirus SARS-Cov-2 et ses variantes, souligne l'épidémiologiste. Mais ce sont des données encore jeunes, il nous manque du recul."
  Pourquoi écarter le traitement de la chloroquine ?  
"Si je vous affirme que les chevaux ailés existent, pouvez-vous me prouver le contraire ? Non. C'est à celui qui affirme d'amener les preuves irréfutables, ce n'est pas à l'autre de prouver que c'est faux" répond l'épidémiologiste, pointant du doigt une question qui touche le cœur de l'exercice médical. "Lorsque vous prescrivez un traitement à un patient, vous devez faire la preuve de son efficacité. C'est ce qui permet de trancher le vrai du faux. Si la chloroquine était efficace, tout le monde l'aurait utilisée sans se poser de question."  
  La distanciation physique peut-elle préserver les enfants à l'école ?  
"C'est un non-sens de demander aux enfants de se séparer les uns des autres. On va à l'école pour apprendre, mais aussi pour s'amuser. C'est difficilement réalisable à moins de les mettre dans des scaphandres étanches" ironise le médecin. Il ajoute que les enfants développent peu de formes graves. "Ça ne veut pas dire qu'aucun enfant ne peut mourir de forme grave, mais que c'est beaucoup plus rare". Le médecin souligne au passage que les enfants sont généralement infectés par des adultes à la maison, et non à l'école. Par quel mécanisme ? "Lorsqu'ils toussent les particules virales ont moins de chance de monter jusqu'à nous, mais ce sont des interprétations personnelles à ce stade." Les masques et le lavage des mains devraient suffire à maintenir une activité scolaire selon lui.
  Le masque est-il vraiment efficace ?   
"Son efficacité est prouvée depuis très longtemps pour toutes les viroses respiratoires, comme la grippe espagnole", assure le médecin, pour qui le masque permet surtout de filtrer les concentrations des particules virales en suspension. "La quantité reçue conditionne la réponse immunitaire, si vous portez le masque, la forme de la maladie sera moins grave." À condition par contre de les appliquer correctement. "Je vois trop souvent des gens qui mettent le masque sous le nez, ça ne sert à rien."

Le masque présente surtout l'avantage d'être disponible, et facile à déployer. "On a que ça ! À l'instar d'une capote avec le VIH, on n'a pas d'autre moyen." Il reconnaît cependant la gêne occasionnée. Interrogé sur l'apparition potentielle de pathologie, il répond simplement qu'à sa connaissance, les seules pathologies liées à un port prolongé sont d'ordre "cutané".
L'épidémiologiste déplore cependant les messages contradictoires sur le masque d'abord jugé "contre-productif," puis "recommandé", avant finalement d'être "obligatoire". "On ne peut pas demander l'adhésion de la population sans jouer carte sur table."
  La fréquence des tests, vu leur coût, est-elle toujours justifiée ?  
À raison de 25 000 francs l'unité, la facture s'annonce salée. Soit 650 millions pour un total d'environ 26 000 tests selon l'ILM. "Maintenant que le Covid est entré, ne serait-il pas cohérent de consacrer l'argent à autre chose qu'aux tests ?" interroge un conseiller. Sans tests pourtant, le pays navigue à l'aveugle. On ne peut pas se fier au nombre d'hospitalisations et de réanimations pour connaître l'incidence de l'épidémie. On a un champ de vision limité, on ne voit que ce que l'on teste, développe le médecin. Sur 270 000 habitants on a 26 000 tests, c'est une petite fraction de la population. S'il y a une circulation invisible parce qu'elle est asymptomatique, elle nous échappe."

Une alternative pourrait se trouver du côté des tests antigéniques, qui permettent de repérer des protéines du virus, avec des résultats dans les 10 à 15 minutes. "C'est beaucoup plus simple à lancer et moins onéreux, tous les techniciens peuvent le faire. On peut imaginer ce type de tests pour les gens asymptomatiques ou en contact avec des patients, comme le personnel soignant". Une hypothèse de travail qui permettrait de consacrer les tests moléculaires aux cas symptomatiques qui en ont vraiment besoin. Les autotests à J4 en revanche ne présentent à son sens "aucune base scientifique". "Si je prélève sous les aisselles ou sous les pieds, qui est là pour le vérifier ?"
 

Rédigé par Esther Cunéo le Jeudi 10 Septembre 2020 à 20:44 | Lu 8835 fois