Covid-19 : « Nous n’avons pas formellement d’expansion »


Tahiti, le 23 mars 2020 – Le ministre de la Santé, Jacques Raynal, qui dirige actuellement la cellule de crise sur le Covid-19 répond dans une longue interview à Tahiti Infos à de nombreuses questions pratiques posées notamment sur les réseaux sociaux sur le coronavirus.

Le dernier point de situation sur le coronavirus fait état de 23 cas confirmés. Mais surtout, les réseaux sociaux ont réagi au passage ce week-end de deux personnes hospitalisées à une seule ...
« Au sujet des deux hospitalisations, il faut dire qu’une des personnes qui était jusqu’alors hospitalisée est sortie de l’hôpital. Par conséquent, le chiffre qui était de deux revient à un. Il ne s’agit pas d’un décès, puisque vous voyez toujours sur nos chiffres qu’il y a zéro décès. »
 
Est-ce qu’on connaît l’évolution de l’état de santé de la personne qui est toujours en réanimation ?
« C’est plutôt favorable. Son état de santé s’était dégradé au début de son hospitalisation, les trois-quatre premiers jours. Il s’est stabilisé et il semblerait aller aujourd’hui de façon un petit peu plus favorable. »
 
Quel est votre sentiment quant à la progression de la maladie en Polynésie française ?
« Pour l’instant c’est un petit peu tôt. Nous n’avons pas formellement d’expansion, notamment dans les archipels. Cependant, il faut rester prudent. On sait qu’il y a des porteurs sains de cette maladie qui se diffuse. (…) Mais c’est pour cela que nous restons prudents au sujet de l’évolution de la maladie. Tout en sachant que par rapport à ce qui s’est passé ailleurs, si la population respecte réellement les recommandations qui sont faites à l’heure actuelle, telles que le confinement, nous avons beaucoup de chances pour que ça n’augmente pas de façon trop importante. »

« On sait qu’il y a des porteurs sains de cette maladie qui se diffuse »

En Polynésie comme en métropole, on ne teste pas tout le monde, pourquoi ?
« En effet, nous risquons d’épuiser nos capacités de tests. Des tests sont en commande depuis le début de l’épidémie. Malheureusement, vous le savez, les conditions matérielles et les conditions de transport ont été bouleversées par cette épidémie. Notamment en Europe, avec l’Italie, l’Espagne et la France qui sont devenus des pays qui ont nécessité beaucoup de tests. Donc on nous a envoyé ce qui était possible. (…) C’est une des raisons qui fait qu’on limite les tests au strict nécessaire et utile, qui concerne les personnes-contacts ou sujets suspects. C’est-à-dire des personnes qui arrivent et qui développent une fièvre ou les premiers signes de la maladie. »
 
Comment la Polynésie se prépare-t-elle vis-à-vis de l’évolution mondiale ?
« Nous avons une carte qui nous montre la propagation de l’épidémie au niveau mondial, et l’on se rend bien compte qu’il s’agit bien d’une épidémie qui touche le monde entier. Le foyer de l’épidémie était initialement en Chine, mais aujourd’hui ce foyer s’est déplacé en Europe. Il devrait très probablement se déplacer vers les États-Unis. C’est la raison pour laquelle nous sommes en train de diminuer les vols et de bloquer, très prochainement, les vols en provenance des États-Unis, parce que le risque est encore plus important. »
 
Dans le cas où le nombre de personnes contaminées par le coronavirus augmente, avons-nous les capacités pour les accueillir, notamment au niveau de la réanimation ?
« Pour ce qui est de la réanimation, nous avons une quarantaine de lits disponibles à l’hôpital. (…) Par ailleurs, il y a des possibilités également d’entrer dans ce qu’on appelle un "mode dégradé" pour les patients dans un état moins grave, qui pourraient avoir des respirateurs ou des annexes de traitement. Nous ne souhaitons pas arriver à cette situation, et c’est pour cela que l’on martèle qu’il faut respecter le confinement, parce que l’évolution de la maladie dans le monde entier démontre que c’est le système le plus efficace pour lutter contre cette maladie. »
 

« Une quarantaine de lits en réanimation »


Pouvez-vous revenir sur les recommandations en matière de port de masques et de gants ?
« Le port des gants et des masques est intéressant d’une part pour protéger les personnels de santé lorsqu’ils sont en face d’un patient qui est porteur du virus. (…) C’est le personnel de santé qui doit porter le masque, qui doit mettre des gants lorsqu’il agit au niveau du patient infecté. Mais il doit retirer les gants dès qu’il a quitté ce patient parce que sinon, il peut transporter le virus et le passer à d’autres patients. Pour ce qui est du public, en ce moment vous êtes en confinement, donc vous ne devriez pas vous promener dans la rue. Mais au cas où, essayez simplement de respecter les limites c’est-à-dire de s’éloigner à 1,50 mètres voir 2 mètres des personnes avec lesquelles vous souhaitez parler, éviter de vous serrer la main et de vous embrasser. Pour le masque, si vous toussez, vous pouvez mettre un masque, ça protégera au moins les personnes qui sont autour de vous de la grippe ou éventuellement du virus. »
 
Qu’en est-il des masques en tissu ?
« Bien qu’ils permettent d’éviter les postillons, cela n’a pas d’intérêt sur le plan du virus. Ça ne protège pas du virus. »
 
Le virus se transmet-il aussi par l’air ?
« Non, le virus n’est pas circulant dans l’air donc il n’est ne se transmet pas par l’air. Pour être transmis, le virus doit être à l’intérieur de petites cellules de la bouche, du nez ou autre lorsque l’on tousse ou que l’on postillonne. Ce sont des particules microscopiques que l’on ne voit pas. Donc il ne peut pas s’envoler dans l’air et c’est pour cela que l’on dit qu’une distanciation d’1 m 50, voire 2 mètres suffit. »
 
On nous dit que le prix des tests est beaucoup plus important en Polynésie qu’en métropole. Est-ce lié aux frais d’acheminement ?
« C’est ça. D’abord, ces tests, lorsqu’ils ont été mis à disposition des laboratoires, ils ont été contingentés. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit de tests très spécifiques qui vont permettre de rechercher les particules virales, c’est-à-dire les particules du virus à l’intérieur des cellules. C’est la raison pour laquelle on intervient au niveau du nez et au niveau de la gorge. Ce n’est pas un prélèvement sanguin, c’est un prélèvement matériel. On va donc chercher dans les cellules s’il y a le virus. La production de ces tests n’était pas énorme. Au début de l’épidémie, ils étaient principalement utilisés par les pays qui étaient en crise, tels que la Chine par exemple. Donc il n’y avait pas beaucoup de tests sur le marché. Les commandes sont parties depuis trois semaines, un mois. Au tout début de l’épidémie, les laboratoires locaux ont bien compris que ce qu’ils recevaient n’était pas suffisant et qu’il en fallait plus. Malheureusement, ces commandes tardent à être exécutées parce que les fabricants de tests ont eu beaucoup de commandes. (…) Un gros colis est censé arriver ce soir [lundi soir, ndlr]. Il y a du matériel médical dedans, des masques, dont des masques chirurgicaux et des masques FF2P pour le personnel de santé, il y a du matériel de laboratoire et peut-être du matériel pour faciliter la respiration. Cela sous toute réserve, car nous n’arrivons pas à savoir quel est le contenu exact du colis. Je voudrais également parler d’un autre test qui va être disponible très prochainement et sur lequel on est en train de travailler en Europe. Il va faciliter la détection. C’est un test sanguin que l’on est en train de mettre au point en Europe. Un test sérologique, donc sur le sang qui va permettre de savoir s’il y a des anticorps. C’est-à-dire des substances que votre corps va élaborer pour lutter contre les virus. Si vous avez des anticorps, c’est que vous avez le virus, même si vous n’êtes pas malades. Ce test va permettre de mieux apprécier le nombre de personnes qui auraient pu recevoir le virus, et cela va permettre de détecter ces fameux porteurs sains, qui peuvent disséminer le virus sans montrer de signe de maladie. »

« Les masques en tissu ne protègent pas du virus »


Pour ce qui est de la chloroquine, Sean Casey de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) nous a répondu que pour le moment on ne pourrait pas traiter les personnes infectées. Qu’en est-il exactement ?
« L’histoire de la choloroquine, il s’agit d’un médicament que l’on appelle « plaquenil » dans le commerce, qui, associé à l’azithromycine, aurait montré ses effets sur des patients gravement atteints et dont la réanimation commençait à être compliquée parce qu’on n’arrivait pas à lutter contre l’infection pulmonaire. Donc cela réduit déjà considérablement le nombre de cas possibles. Ici, on n’a qu’un patient en réanimation. Ce n’est pas un traitement que l’on peut donner de façon préventive par ailleurs. Ce matin en Polynésie française, le haut conseil de la santé publique a publié une recommandation qui est de ne pas utiliser cette association pour le traitement des patients mais uniquement pour ceux pour lesquels on n’arriverait pas à faire la réanimation. À ce moment-là, à titre d’essai thérapeutique. Si jamais ça marche, ça peut sauver des personnes, mais c’est uniquement dans ce cas que c’est autorisé. »
 
Pour quelles raisons justement ?
« Il y a plusieurs raisons. La première, parce qu’il s’agit d’un traitement empirique qui n’a pas fait la preuve réelle de son efficacité. Peut-être qu’à force d’études dans le monde, puisqu’il y a beaucoup de gens qui travaillent dessus, peut-être qu’il arrivera un moment où on aura trouvé la bonne association. Je le rappelle, contre les virus, il n’y a pas de médicaments. C’est simplement contre les conséquences dues à l’infestation virale, c’est-à-dire les infections pulmonaires notamment pour cette maladie-là, ou encore les insuffisances respiratoires aiguës qui font mourir les gens. Ce n’est pas le virus qui tue les gens ce sont les conséquences de l’infestation virale. »
 
Quelles devront être les conditions sanitaires à réunir pour que l’on sorte des mesures strictes du confinement que l’on connaît aujourd’hui ?
« Les mesures strictes de confinement concernent l’ensemble de la population pour limiter le risque de propagation du virus. Il est évident que tant qu’on aura des gens qui arriveront de pays infestés, on aura un risque de propagation du virus. C’est la raison pour laquelle nous avons demandé à arrêter les relations de passagers entre les pays infestés, c’est pratiquement le monde entier maintenant, et la Polynésie française. Ça va être le cas à la fin du mois. Pourquoi ? Parce que nous avons des Polynésiens qui sont à l’extérieur mais qui souhaitent revenir. On a donc accepté que ces Polynésiens reviennent. En même temps, on a des gens qui sont ici bloqués, des touristes, des étrangers, et que l’on veut aider à rentrer chez eux. C’est la raison pour laquelle quelques vols aériens persistent, mais cela va s’arrêter. C’est à partir du moment où l’apport de nouvelles personnes sera arrêté que l’on pourra calculer le moment où le confinement s’arrêtera. »
 
De manière plus pratique, est-ce que l’argent est également vecteur du virus ?
« Tout ce que vous avez touché après avoir touché votre visage, votre bouche ou autre… Mais le virus ne va pas survivre longtemps sur les surfaces sèches. Encore que cela donne matière à débat, mais le virus va survivre entre quatre et six heures. »
 
Les personnes qui ont eu le coronavirus sont-elles immunisées ?
« On ne le sait pas encore vraiment, mais dans le cadre habituel des infections virales, après une infection virale, il y a une baisse de l’immunité. Mais cette immunité va remonter. Donc normalement, on ne devrait pas avoir de nouveaux cas chez des gens qui ont déjà été infectés. Cela a été décrit dans quelques pays, mais ce n’était pas très clair. Donc on pense que sans qu’il y ait une immunité extraordinaire, la ré-infestation est peu probable. »
 
Les scientifiques travaillent actuellement sur un vaccin. Combien de temps cela peut-il prendre ?
« Comme toutes les maladies qui ont touché le monde entier, il y a des laboratoires qui travaillent sur l’élaboration de vaccins. Le vaccin, qu’est-ce que c’est ? C’est un produit médical qui va permettre à l’organisme de produire des défenses contre tel ou tel microbe, en particulier le virus. Donc on connaît le virus, et on le connaît d’autant plus qu’il est de la même famille que le virus de la grippe, les coronavirus que l’on connaît bien. On va prendre des particules et on va essayer de voir quelles sont celles qui vont permettre à l’organisme d’élaborer ses défenses. Cela nécessite des tests, des tests sur les animaux, sur différents supports. Et après avoir réalisé ces tests-là, s’il s’avère que l’on peut avoir un vaccin, il est évident que le vaccin sera produit. Mais ce qu’on ne sait pas, c’est si ce coronavirus va s’arrêter totalement de circuler ou s’il va continuer de circuler plus ou moins en ayant de temps en temps quelques foyers d’épidémie du même type que la grippe. »
 
Propos recueillis par Vaite Urarii Pambrun

Rédigé par Ariitaimai Amary le Lundi 23 Mars 2020 à 21:21 | Lu 10285 fois