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Coup de tonnerre dans la succession Brown


L’héritage Brown s’étalait sur plus de 2 500 hectares répartis entre Tahiti, Moorea, Raiatea, Huahine et les Tuamotu au décès de ce dernier. Il comptait des biens immobiliers aussi, principalement à Papeete, dont le plus emblématique est sans doute le Centre Vaima.
L’héritage Brown s’étalait sur plus de 2 500 hectares répartis entre Tahiti, Moorea, Raiatea, Huahine et les Tuamotu au décès de ce dernier. Il comptait des biens immobiliers aussi, principalement à Papeete, dont le plus emblématique est sans doute le Centre Vaima.
Tahiti, le 12 septembre 2021 - Le testament qui établissait depuis 1962 Phineas Bambridge légataire universel du richissime homme d’affaires Charles Brown-Petersen est annulé sur décision rendue fin juillet par la Cour d’appel de Papeete. Coup de tonnerre dans une succession aujourd’hui estimée à près de 68 milliards de Fcfp et dont toutes les cartes sont complètement rebattues. 
 
La succession Brown-Petersen, c’est l’histoire d’un dossier judiciaire aux allures tentaculaires, ouvert en 1963 et toujours en instance à ce jour. Objet de toutes les attentions : l’héritage d’un richissime homme d’affaires de Tahiti, décédé sans enfant naturel le 12 mars 1962 à l’âge de 83 ans. 
Une décision rendue devant la cour d’appel de Papeete le 23 juillet de cette année vient remettre en cause les fondements de cette succession. Cet arrêt annule le testament de décembre 1961 dans lequel l’homme d’affaires avait désigné pour légataire universel son secrétaire particulier, Phineas Bambridge. Ne restent en lice pour cet héritage que les seuls consorts Mc Millan, héritiers de Denise Higgins.
Le vieillard a laissé derrière lui plus de 2 500 hectares, dont les deux-tiers de terres plates réparties entre Tahiti, Moorea, Raiatea, Huahine et les Tuamotu. Des biens immobiliers aussi, principalement à Papeete, dont le plus emblématique est sans doute le Centre Vaima. Un patrimoine colossal, en grande partie cédé au fil du temps, mais qui n’en reste pas moins estimé à 38 milliards de Fcfp de nos jours, majorés de près de 30 milliards de Fcfp d’intérêts et de loyers perdus depuis 1962, et pour lesquels les consorts Higgins peuvent espérer réparations.
Il faut savoir que quelques mois avant son décès, entre mai et décembre 1961, Charles Brown a pris plusieurs dispositions testamentaires. Ces codicilles ont à l’époque été enregistrés tantôt à l’étude notariale de Me Lejeune, tantôt à celle de Me Solari. Un testament annulant le précédent, le dernier en date avait été rédigé au bénéfice du très proche secrétaire particulier. Déclaré légataire universel Phineas Bambridge s’était trouvé, de facto, seul à la tête du formidable patrimoine. Mais cet acte avait aussi déshérité les sœurs Higgins, deux nièces que le milliardaire venait d’adopter dans le courant de l’année 1961. Une qualité qui leur sera contestée et que la justice a ratifié depuis. Et c’est suite à une action engagée en 1991, que Denise Higgins obtient à titre posthume en 2012 la validation de sa propre adoption. Le dossier de l’héritage Brown est depuis entre les mains de ses ayants droit, les frères Thomas et Michel Mc Millan. 
 
Le vieillard sénile
 
Il faudra encore six ans à la justice pour que soient reconnus en juin 2018, par la Cour de cassation, les droits incontestables des héritiers de Denise Higgins sur le pactole laissé par Brown-Petersen. Mais ce que juge aujourd’hui la cour d’appel de Papeete, c’est que Charles Brown n’avait plus toute sa tête, en décembre 1961, lorsqu’il décide de léguer tous ses biens à Phineas Bambridge… Pour prononcer la nullité de ce testament, la cour souligne notamment ceci dans l’arrêt du 23 juillet 2021 : “Les éléments de la procédure et les pièces versées aux débats établissent que le 25 octobre 1961, le président du tribunal de Papeete informait le procureur de la République qu’il avait constaté, lors de l’audition de John Charles Brown-Petersen (…) que celui-ci était incapable de donner un consentement ou une manifestation de volonté libre, que toute conversation avec lui était quasiment impossible et que “son état de sénilité et de gâtisme justifiait une mesure [de placement sous tutelle]”.” L’arrêt d’appel relève plus loin le constat par une autorité judiciaire, fin décembre 1961, d’un Charles Brown montrant “des signes non équivoques d’un état mental profondément altéré correspondant à l’état habituel d’imbécilité prévu par l’article 489 du code civil”. En somme, un homme qui n’était notoirement plus sain d’esprit à l’heure de ses ultimes vœux, le 19 décembre. Le vieillard devait s’éteindre trois mois plus tard. 
 
La bourde…
 
Une précision s’impose maintenant. Car plusieurs dizaines d’années après les faits, tous ces éléments de contexte auraient pu finir dans l’oubli sous l’implacable joug de la prescription quinquennale. Elle est opposable aux contestations testamentaires. Sauf que dans la procédure d’appel qui nous intéresse, les héritiers de Phineas Bambridge ont tenté en 2008 une subtilité procédurière, avec une exception de nullité, en invoquant le testament dont ils pensaient solidement bénéficier alors. L’intention était de clore les débats et d’éviter une instruction sur le fond. Mais l’exception de nullité n’étant soumise à aucun délai, cet acte de procédure s’est retourné contre eux. Il a offert aux héritiers Mc Millan l’opportunité rêvée d’une contestation de ce même testament, sur le fond. Voyant le vent tourner, les consorts Phineas Bambridge ont bien tenté un désistement d’appel en mars dernier. Demande rejetée. La nullité du testament a été prononcée en juillet. L’affaire est toujours susceptible d’un pourvoi en cassation avec une audience probable sous 18 mois. 
Mais déjà, la situation est problématique pour les consorts Phineas Bambridge, aujourd’hui sous l’égide de son fils, Bébé Phineas. Depuis 1962, 218 ventes de terres et de biens sont venues morceler le patrimoine de feu Charles Brown. Difficile pour les héritiers Mc Millan de revenir dessus. Mais une procédure en réparation est à craindre, avec à la clé de colossales demandes indemnitaires, voire des saisies sur avoirs. Parallèlement, une action est déjà en instance devant la cour d’appel afin obtenir réparation de la société Generali, assureur du notaire Lejeune chez qui avait été authentifié le testament du 19 décembre 1961 au profit de Phineas Bambridge. La demande indemnitaire porte sur près de 50 milliards de Fcfp. 
 
Rebondissements à venir
 
En outre, cette décision de justice confortera une autre action engagée devant le tribunal civil par les héritiers Mc Millan. La procédure est actuellement en instance. Les héritiers de Denise Higgins y contestent le droit de propriété de la société Brown Buiding Corporation sur le foncier du Centre Vaima à Papeete. Cette société créée par Charles Brown est toujours détenue par les ayants droit de Phineas Bambridge. Sur la base d’un bail emphytéotique conclu en 1974, ce foncier est aujourd’hui loué 50 millions de Fcfp par an à la société Centre Vaima, propriété de la famille Malmezac. “La société Brown Building Corporation n’est propriétaire de cette terre de 8 000 mètres carrés que pour autant que l’on considère qu’elle n’a pas été dissoute à l’instant de la mort de Charles Brown-Petersen, en mars 1962, comme le prévoit le droit applicable à l’époque”, assure Me Lollichon, l’avocat des frères Mc Millan. “Si cela était reconnu, cette terre entrerait dans la succession de Denise Higgins.” Argument qui sera plaidé en janvier prochain devant le tribunal de première instance de Papeete. De nouvelles secousses sont donc à venir dans la succession Brown-Petersen. Elle est déjà l’objet du plus vieux dossier judiciaire encore ouvert sur l’ensemble du territoire de la République. 

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Lundi 13 Septembre 2021 à 17:00 | Lu 28576 fois