Coup de force au port de Papeete


Tahiti, le 3 janvier 2024 - Matinée tendue mercredi au port de Papeete. Après l’échec des négociations la veille au soir entre la direction du Port autonome et les marins grévistes du service armement, un coup de force a été tenté pour bloquer la rade et forcer la reprise des pourparlers. Le mouvement a finalement plié sous la menace et les négociations ont pu reprendre dans l’après-midi à la présidence, à l’invitation de Moetai Brotherson.
 
C’est avec un barrage filtrant que le port de Papeete a vu les premières lueurs du soleil, mercredi. Deux remorqueurs arrimés l’un à l’autre et placés en travers de l’entrée de la rade, interdisant ainsi l’accès du port aux cargos mais laissant libre cours au trafic des navettes avec Moorea.
 
La conséquence spectaculaire d’un mouvement de grève finalement assez peu mobilisateur au sein du Port autonome couplé à la détermination farouche de onze marins du service armement mus par la volonté d’obtenir gain de cause dans les revendications qui avaient suscité, jeudi dernier, le dépôt d’un préavis de grève. Un pis-aller décidé alors que le mouvement social ne faisait pas l’unanimité au sein même du service armement. Car mercredi, les quatre agents non-grévistes de ce service étaient en mesure d’assurer provisoirement la mission opérationnelle des remorqueurs pour assister les manœuvres en rade des navires de plus de 100 mètres. Un cargo de la compagnie CMA-CGM était justement attendu dans la matinée avec son chargement de 400 conteneurs. Les agents grévistes du service armement ont donc décidé à 3 heures, mercredi matin, de passer à l’action en condamnant l’entrée de la rade : “[Une] action illégale d'occupation d'outil de travail du Port autonome de Papeete”, a dénoncé mercredi un communiqué officiel. Ce faisant, le porte-conteneurs était provisoirement prié d’attendre au large. Les opérations de transbordement ont finalement dû être reportées à jeudi matin.
 
Une cellule de crise a été mise en place tôt mercredi matin au port. Sur place : Émilia Havez, représentante de l'État et directrice de cabinet du haut-commissaire, le président Moetai Brotherson et Vannina Crolas, la ministre de la Fonction publique. Dans un entretien téléphonique avec les grévistes, le président Moetai Brotherson a émis la proposition d’une rencontre organisée dans la journée à la présidence pour trouver une issue négociée à ce mouvement. “Il faut se rendre compte qu’ils sont dans l’illégalité la plus totale : on a le droit de grève mais pas dans ces conditions-là”, dénonçait-il mercredi matin. “Les grévistes utilisent un matériel qui appartient au Pays pour bloquer le port et il se trouve qu’un des deux remorqueurs est manœuvré par un agent qui n’a pas le statut de capitaine.”
 
Ultimatum
 
Sans évolution rapide de la situation, le président du Pays promettait mercredi matin de saisir la justice d’une action en référé pour forcer la libération de la rade de Papeete, avec l’appui des forces de l’ordre. “Et on n’exclut pas d’engager une procédure au pénal pour acte de piraterie”, menaçait-il aussi. “Mais on ne veut pas en arriver là.” Des menaces que le chef du gouvernement a finalement promis, en fin de matinée, de mettre en pratique si aucune évolution de la situation n’était constatée à 14 heures. Le barrage n’a été levé qu’à 15 h 30. Mais une heure auparavant, la justice avait été saisie d’un référé pour forcer la libération du port et d'une plainte pour “acte de piraterie”. Ces procédures seraient “retirées”, a promis Moetai Brotherson dans l’après-midi, dès lors que les grévistes “levaient les blocages et restituaient les bateaux au Port autonome”. Ce qui était chose faite au moment de l’annonce du président.
 
Entente difficile
 
Une seule rencontre de négociation aura eu lieu mardi après-midi, avec la direction du Port autonome. Pourparlers à l’issue desquels quatre des cinq points du préavis de grève auraient pu donner lieu à un accord. Mais les discussions ont achoppé sur le point clé qui a motivé le mouvement social : la mise en place d’un vrai roulement 24/48 pour les équipages des remorqueurs avec le passage de l’effectif du service à 18 agents, là où ils ne sont plus que 14 au 1er janvier 2024. D’après nos informations, si la direction du port est prête à porter l’effectif du service à 18 agents, dont un administratif, elle ne veut rien entendre sur l’application d’un roulement 24/48 qui est pourtant présenté comme le gage d’un fonctionnement harmonieux du service, avec l’aménagement de plages horaires définies pour le repos des officiers. C’est sur ces bases que les discussions ont pu reprendre à 17 heures mercredi, cette fois-ci à la présidence et en présence de Moetai Brotherson, de la secrétaire générale de Otahi, du président du syndicat des gens de mer et d’un ancien capitaine du service armement. “On compte sur des discussions entre adultes responsables et sur la bonne volonté de tous”, a dit Moetai Brotherson, lors d’une conférence de presse donnée à 16 heures. Il venait cependant de défendre que pour ce qui est de la mise en place d’un roulement 24/48, “les chiffres ne mentent pas”, laissant entendre que, de son point de vue, il était difficile d’y accéder.

Une deuxième rencontre de négociation entre représentants des grévistes et du Port autonome a été organisée mercredi, à 17 heures à la présidence, sous l’égide de Moetai Brotherson.
Sanctions
 
Reste que du côté des grévistes, on attendait mercredi, dans l’hypothèse d’une levée des blocages, d'avoir des garanties sur l’absence de procédure disciplinaire à la suite de ce coup de force. Ils n’en ont obtenu aucune et peuvent même en redouter. Sur ce point, Moetai Brotherson, chef de l’administration, a été clair : il n’en donne aucune. “Je me suis engagé à ne pas faire de poursuite devant les tribunaux. Mais pour ce qui est des sanctions disciplinaires, l’administration et les établissements [publics] ont des procédures dans lesquelles même moi, en tant que président, je n’interviens pas.”
 
Reste aussi que ce mouvement débuté mercredi avec ce coup de force vite réprimé pourrait faire tache d’huile. La secrétaire générale du syndicat Otahi ne s’en est pas cachée, mercredi après-midi lors d’un entretien accordé à TNTV : “[…] le Syndicat des gens de mer est aussi signataire du préavis de grève”, a-t-elle rappelé à nos confrères de La Mission. Ils pourraient aussi déposer un préavis au niveau de la flottille administrative. Il y a aussi les bateaux de commerce. Ça pourrait prendre de l’ampleur, mais je ne le souhaite pas (…) J’aimerais qu’on règle le problème.”

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mercredi 3 Janvier 2024 à 18:03 | Lu 3095 fois