Controverse autour d'une statuette attribuée à Gauguin


Haute de seulement une vingtaine de centimètres, l'œuvre pourrait valoir environ 3 millions de dollars sur le marché international.
Tahiti, le 17 octobre 2024 - Séisme en vue dans le monde de l'Art : Une sculpture originaire des Marquises sollicite actuellement l'avis des experts du secteur afin d'authentifier son auteur. Signée “PGO”, cette dernière se voudrait être de Paul Gauguin. Une découverte surprenante, déjà estimée à 3 millions de dollars si elle est avérée, mais qui suscite d'ores et déjà interrogations et suspicions.
 
Réduite encore aujourd'hui à l'état de murmure dans les couloirs fermés du milieu de l'Art, l'affaire ne saurait échapper plus longtemps à son retentissement. Au cœur de cette controverse naissante, l'apparition quelque peu soudaine d'une statuette originaire des Marquises et signée “PGO” – signature utilisée par l'artiste de renommée mondiale, Paul Gauguin. Une œuvre qui serait passée entre les mailles du filet des navigateurs, des collectionneurs, mais également des pilleurs, durant plus d'un siècle et qui, semble-t-il, serait restée dans une famille de Atuona, à Hiva Oa, village où Gauguin a fini ses jours. Héritée de génération en génération, sans jamais susciter l'intérêt de qui que ce soit dans la famille, cette statuette aurait été offerte par une descendante du premier propriétaire de l’œuvre à l'homme d'affaire Pierre Marchesini.
 
Un cadeau spontané, se dit-il, à l'occasion d'un des anniversaires de l'entrepreneur, qui se trouve être également collectionneur : “C'est une amie de la famille”, explique Pierre Marchesini au sujet de la donatrice. “Je fêtais mon 75e anniversaire et elle m'a offert cette statuette à cette occasion. Et ce qui est drôle, c'est que ni elle, ni moi, ne savions à l'époque qu'il pourrait s'agir d'un Gauguin.” Et pour cause, la signature présumée de l'artiste n'était pas apparente. Du moins à cette époque, soutient le collectionneur. Il aurait fallu d'ailleurs plusieurs mois à Pierre Marchesini pour y prêter attention. Depuis, l'homme cherche à authentifier l'œuvre “sans intention de la vendre”. L'argent n'étant pas une motivation assure-t-il, à moins de restituer à son amie une partie, voir l'ensemble, de la potentielle cagnotte. Un récit fringant qui n'a, hélas, pas convaincu les experts de la place, dont Fabrice Fourmanoir.
 
Une filiation difficile à démontrer
 
Interpellé suite à l'apparition inopinée de la statuette, Fabrice Fourmanoir se dresse aujourd'hui vent debout face à ce qu'il qualifie déjà d'escroquerie. Expert auto-proclamé de Paul Gauguin mais largement reconnu dans les hautes sphères de l'Art, l'homme, qui réside actuellement au Mexique, assure sans trembler : “Il s'agit d'un faux Gauguin !” Une affirmation que le spécialiste n'a pourtant pas toujours soutenue : “Cela fait 7 mois que je travaille sur cette affaire et je dois admettre qu'au début j'étais enthousiaste. L'histoire, dans ses grandes lignes, semblait cohérente et la provenance plausible.” Mais suite à une enquête approfondie, l'expert s’est vite ravisé. Et aujourd'hui, il explique : “J'ai été contacté par deux émissaires de Pierre Marchesini, sans savoir d'ailleurs à ce moment-là qu'il était derrière tout ça. Et ces personnes m'ont assuré que cette statuette était un don direct de Paul Gauguin à la famille en question. Chose qui s'est avérée être impossible au vu de l'arbre généalogique fourni par la famille : Paul Gauguin étant mort en 1903 et l'ancêtre de la famille étant arrivé aux Marquises bien plus tard. “Néanmoins, si la passation de l'objet ne s'est pas faite directement entre l'artiste et la famille, l'origine de celui-ci reste plausible. L'ensemble des protagonistes ayant résidé à Atuona à des périodes relativement proches.
 
Autre argument fort, selon Fabrice Fourmanoir, le bois de santal utilisé pour cette statuette. En effet, en 2020 déjà et après 17 ans de lutte, l'expert français réalisait l'exploit de faire déclasser du Getty Museum de Los Angeles, aux États-Unis, une autre statuette attribuée à Paul Gauguin, également réalisée en bois de santal. Et pour cause : selon Fabrice Fourmanoir, “Gauguin n'a jamais sculpté de santal”, et ce, pour une raison très simple selon lui : “Il n'y avait plus de santal à cet époque aux Marquises car ce bois était très utilisé et sculpté par les baleiniers de passage. Les objets en santal étant très prisés aux États-Unis et en Europe en ce temps-là, les santaliers ont tout ravagé.” Une théorie déjà prise en compte lors du déclassement du faux du Getty Museum, mais qui ne fait pas pour autant l'unanimité.
 
Guerre froide à couteaux tirés
 
Si jusqu'à ce jour Pierre Marchesini et Fabrice Fourmanoir ne sont toujours pas entrés en contact directement dans le cadre de cette affaire, les deux hommes savent en revanche qu'ils ne feront plus un pas sans entendre parler l'un de l'autre. Du côté de Fabrice Fourmanoir, on ne mâche pas ses mots : “Marchesini [au travers des deux émissaires NDLR] a tenté de me faire authentifier un faux Gauguin avec des moyens et une provenance frauduleuse. [...] Sans mon expertise cette statuette est invendable.” Car c'est bel et bien ce qu'affirme le spécialiste de Gauguin : le but est de vendre l'œuvre. “Eux rêvaient de 10 millions de dollars, mais selon le prix du marché actuel, je leur ai dit qu'elle valait 3 millions”, souligne l'expert.
 
Une déclaration que Pierre Marchesini tient à préciser : “En cas de vente, cet homme réclamait 20% ! Mais pour qui se prend-t-il ?! Cela s'appelle du racket ! De toute façon, tout ce que nous voulions c'est une expertise, rien de plus ! Le but n'a jamais été de vendre.” Ce à quoi le spécialiste répond : “J'ai effectivement demandé 20% de commission si j'organisais la vente. J'avais donc tout intérêt à rendre cette statuette authentique, mais mon refus est motivé par la préservation de la mémoire de Gauguin.” Et l'homme ne s'arrête pas là : “Si tout était limpide, alors pourquoi Marchesini choisit-il de rester dans l'ombre ? Ces deux hommes sont sous son emprise et ont peur de lui. D'ailleurs, lorsque j'ai fait savoir à l'un d'eux que j'allais dénoncer cette escroquerie, ce dernier a répondu : ‘Je marche sur des œufs et je ne veux pas entraîner ma famille là-dedans. Aussi, je préfère jeter l'éponge. J'ai déjà assez donné...’” Un message éloquent qui laisse définitivement planer le doute. Formidable découverte ou tentative d'escroquerie, le débat est ouvert.

Signée PGO, la statuette suggère pourtant explicitement une filiation à Paul Gauguin.

Rédigé par Wendy Cowan le Vendredi 18 Octobre 2024 à 09:00 | Lu 1899 fois