Comment les entreprises polynésiennes ont résisté à la crise Covid


Tahiti, le 25 juillet 2022 – L'Institut d'émission d'outre-mer vient de publier une étude approfondie pour comprendre l'impact de la crise Covid sur le tissu économique polynésien. À partir des données financières de 1 458 entreprises locales, l'étude juge les sociétés polynésiennes “résilientes” et dans une situation financière “globalement satisfaisante”.
 
Chiffre d'affaires, fonds propres, marges commerciales, trésorerie… L'Institut d'émission d'outre-mer (l'IEOM) a compilé une trentaine d'indicateurs économiques émanant de 1 458 entreprises polynésiennes pour les comparer entre 2019 et 2020. L'objectif ? Mener une étude approfondie des effets de la crise Covid, déclenchée en mars 2020 en Polynésie française avec le premier confinement, la fermeture des frontières, puis le couvre-feu quelques mois plus tard, sur l'économie polynésienne et notamment sur ses TPE (moins de 10 salariés), PME (10 à 250 salariés) et ETI (entreprises de taille intermédiaires – 250 à 5 000 salariés).
 
Comme l'explique en introduction l'IEOM, la crise sanitaire “sans précédent” initiée en mars 2020 en Polynésie française a provoqué un “choc majeur” sur l'économie locale. Outre la baisse du produit intérieur brut (PIB) de -7,6% après sept années de croissance positive, le seul secteur du tourisme a accusé un repli de -46% de son chiffre d'affaires. Du même coup, l'ensemble des entreprises de taille intermédiaire (ETI) polynésiennes, dont un tiers exerce une activité touristique, a perdu -23% de chiffre d'affaires.
 
 

​Les gros plus lésés que les petits

Premier enseignement de cette étude, les petites entreprises ont finalement moins été impactées par la baisse d'activité liée au Covid que des grandes. Si l'on observe le chiffre d'affaires global des entreprises polynésiennes entre 2019 et 2020, on se rend compte qu'il a perdu -11% avec la crise, mais que cette baisse est bien moins marquée chez les TPE (-2%), que chez les PME (-9%), ou encore les ETI (-23%, on l'a écrit). Et cette disparité est encore plus flagrante lorsqu'on s'intéresse aux secteurs d'activité…
 
Si l'ensemble des secteurs (Agriculture, industrie, construction, commerce, services…) a perdu entre 0 et -7% de chiffre d'affaires entre 2019 et 2020, le seul secteur des activités touristiques décroche avec -46%. Dans le détail pour les professionnels du tourisme, c'est le chaos financier : -58% de chiffre d'affaires pour l'hébergement touristique, -57% pour les prestataires touristiques, -45% pour les entreprises liées au transport de voyageurs… Mais la crise s'est également traduite par d'autres différenciations moins évidentes au sein même de certains secteurs de l'économie polynésienne. Le chiffre d'affaires dans le secteur du commerce est en effet en recul (-4%), mais la grande distribution (+5%) et le commerce de détail (+2%) enregistrent une hausse de leurs ventes en 2020. Alors que le commerce et la réparation automobile (-13%) ont passé l'année avec le frein à main. Au final, les secteurs considérés comme “essentiels” ont maintenu leur activité et leurs finances à flot pendant le confinement.
 

​L'impact d'une économie au ralenti

Avec le ralentissement de l'activité économique sur une bonne partie de l'année 2020, les entreprises polynésiennes ont fermé les robinets et réduit les dépenses. Les achats de matières premières n'ont par ailleurs pas été aidés par la fermeture des frontières et la réduction des échanges commerciaux. Autre effet de la crise, les entreprises ont réduit leurs effectifs. L'indice de l'emploi salarié marchand a perdu 7 points au mois de mars 2020. Et il n'a d'ailleurs retrouvé son niveau général d'avant-crise qu'en début d'année 2022, à l'exception très notable du secteur de l'hôtellerie et de la restauration au sein duquel l'emploi redresse plus lentement la barre. Le Pays et l'État ont d'ailleurs déclenché un plan de sauvegarde dès le début de la crise. Côté État, pour aider les entreprises à passer le cap avec les PGE et le Fonds de solidarité. Côté Pays, pour soutenir les salariés via le Revenu de solidarité exceptionnel, le Diese ou encore le Deseti…
 
Résultat de cette économie au ralenti, la “valeur ajoutée” de l'ensemble des entreprises du fenua a reculé de -18%. Et surtout “l'excédent brut d'exploitation” –qui mesure la rentabilité réelle d'une entreprise– s'est replié de -41% ! Le chiffre atteint même -70% pour les fameuses entreprises de taille intermédiaires. Par secteurs d'activité, l'excédent brut d'exploitation recule de -3% ou -5% dans le commerce ou l'industrie, mais il atteint les niveaux records de -28% dans la construction et -120% dans le secteur des activités touristiques. La marge de ces entreprises a donc sensiblement diminué avec la crise. Le taux de marge mesuré par l'IEOM sur les 1 458 entreprises polynésiennes recensées s'est replié de -9 points entre 2019 et 2020. Et là encore, les plus grandes sociétés sont les plus touchées avec -20 points pour les entreprises de taille intermédiaire, contre -4 et -6 points pour les PME et TPE.
 

​“Résilience”

Et pourtant, l'étude de l'IEOM ne pointe pas un bilan catastrophique de la situation. Loin de là. Les entreprises polynésiennes ont été “résilientes” face à la crise Covid, titre même l'étude de l'institut économique. En effet, si les entreprises ont tapé dans leurs réserves –en réduisant leurs capitaux propres– elles gardent en revanche une “autonomie financière satisfaisante”, souligne l'IEOM.
 
Ce n'est pas une surprise, ces entreprises se sont endettées pendant la crise. Principalement grâce aux prêts garantis par l'État (PGE), les entreprises locales ont vu leur taux d'endettement progresser de +12%. Entre avril 2020 et décembre 2021, les banques polynésiennes ont reçu 1 220 demandes de PGE, dont 92% ont été acceptées pour 54,5 milliards de Fcfp d'encourt de prêts… Or l'augmentation de l'endettement de ces entreprises s'est accompagnée d'une augmentation de leurs disponibilités financières et surtout d'“une amélioration sensible de la trésorerie moyenne de l'échantillon étudié”, explique l'IEOM. “Grâce” à la crise –nos lecteurs nous pardonnerons cette exagération faite à dessein– la trésorerie des entreprises a progressé de 59 à 90 jours de chiffre d'affaires entre 2019 et 2020.
 
Et l'IEOM de noter que l'analyse du taux d'endettement montre qu'une part significative des emprunts bancaires “n'a pas été consommé, mais a participé à la constitution d'une trésorerie de précaution face aux perspectives incertaines de reprise”. Un signe de bonne gestion globale de la situation, d'autant que le directeur de l'IEOM insistait récemment sur le fait qu'aucune entreprise polynésienne n'avait pour l'instant failli au remboursement des PGE.
 

​Des conséquences à plus long terme

Reste un bémol à cette situation, la “capacité de remboursement” des entreprises a été affectée par la crise sanitaire. Cet indicateur qui mesure le nombre d'années nécessaire pour qu'une entreprise soit en mesure de rembourser sa dette a fait plus que doubler en passant de 1,8 an à 3,9 ans. Dans les entreprises de taille intermédiaire, la situation est particulièrement criante. La “capacité de remboursement” passe de 1,5 an à 13,8 ans entre 2019 et 2020.
 
L'Institut d'émission d'outre-mer explique donc avoir révisé sa “cotation” des entreprises polynésiennes : leur capacité à honorer leurs engagements financiers à un horizon de trois ans. Des “cotes favorables” qui n'avaient fait que progresser ces cinq dernières années pour marquer leur première –légère– inflexion en 2020.
 

Le “choc majeur” de 2020

L'épisode n'est pas très lointain, mais pour bien comprendre ce qui a constitué une crise sanitaire et économique “sans précédent”, dixit l'IEOM, il n'est pas inutile de recontextualiser le déclenchement de la crise Covid au fenua. Après sept années de croissance économique positive et continue, l'irruption de la pandémie en Polynésie française s'est traduite par un état d'urgence sanitaire décrété le 20 mars 2020 et un confinement total de la population avec fermeture des frontières internationales et arrêt des vols commerciaux inter-îles. L'allègement du dispositif ne s'est fait que progressivement à partir de mai avec un “déconfinement partiel, puis total”, suivi d'une reprise des vols inter-îles et d'une réouverture des frontières internationales –malgré un contrôle strict à l'aéroport– en juillet. Dès le mois d'octobre suivant, une forte reprise épidémique a entrainé de nouvelles mesures de restrictions des activités économiques, dont l'instauration d'un couvre-feu sur l'ensemble du territoire.
 
“Cette crise sanitaire a provoqué un choc majeur sur l'économie de la Polynésie française, dont le produit intérieur brut s'est replié de 7,6% en 2020”, constate l'IEOM. Les mesures sanitaires ont en effet eu pour principales conséquences de suspendre ou au moins de ralentir l'activité de bon nombre des entreprises locales, de suspendre du même coup les besoins associés en main-d'œuvre, de réduire drastiquement l'ensemble des transports de personnes et de marchandises avec les îles ou avec l'international… Et enfin de mettre un coup d'arrêt total et sans perspectives de reprises à toutes les activités liées au premier secteur économique local : le tourisme.
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Lundi 25 Juillet 2022 à 22:05 | Lu 2303 fois