Matti Schneider, innovateur public
PAPEETE, le 8 août 2018 - L'expert en innovation publique Matti Schneider a trouvé en Polynésie une oreille attentive chez de nombreux chefs de services ou de directions administratives. Ils ont déjà largement entamé la modernisation du Pays et étaient avides de conseils pour passer à la vitesse supérieure.
Matti Schneider donnait en juillet une conférence publique sur le thème "la modernisation de la vie publique par le numérique à travers le monde". Le jeune globe-trotteur est un expert international des "startups publiques" et de l'administration numérique. Matti Schneider a ainsi passé trois ans à "upgrader" le gouvernement français, et rentrait d'un contrat en Nouvelle-Zélande quand il a animé cette conférence publique et gratuite.
Matti Schneider donnait en juillet une conférence publique sur le thème "la modernisation de la vie publique par le numérique à travers le monde". Le jeune globe-trotteur est un expert international des "startups publiques" et de l'administration numérique. Matti Schneider a ainsi passé trois ans à "upgrader" le gouvernement français, et rentrait d'un contrat en Nouvelle-Zélande quand il a animé cette conférence publique et gratuite.
Le jeune innovateur a expliqué à l'assistance qu'il est tout à fait possible de prendre les pratiques des startups, qui valorisent l'innovation avant tout, et de les adapter à l'administration, même si celle-ci préfère la rigueur, la continuité dans le temps et l'universalité de leur service. Matti Schneider a ainsi offert aux spectateurs un tour du monde des initiatives de e-administration. Autant d'exemples de ce qui a marché... Et de ce qui a échoué.
LE CAS DE L'ESTONIE, UN PAYS 2.0
L'exemple le plus cité de transition numérique d'un Etat entier est l'Estonie. "C'est aujourd'hui le pays le plus avancé en matière de services publics numériques. Pourquoi ? Parce que l'Estonie s'y est mise très tôt. Depuis le 15 décembre 2000, une signature électronique a autant de valeur qu'une signature manuscrite. En 2007 on pouvait s'identifier en ligne avec sa carte nationale d'identité. Depuis 2014 on peut obtenir une identité en Estonie, y payer ses impôts, immatriculer une société, etc, sans jamais avoir mis les pieds dans le pays. Tout peut se faire en ligne" nous fait rêver Matti Schneider. Mais cet exemple n'est pas si facile à reproduire : "Pour copier le modèle estonien, il fallait s'y mettre en l'an 2000. Aujourd'hui, il faut faire avec les différentes initiatives déjà mises en places dans chaque administration, et on va directement passer aux dernières technologies, en particulier le mobile" explique le conférencier en réponse à une question.
Il y a tout de même trois conseils à retenir de ce petit pays balte :
1. En Estonie la loi doit être conçue pour coller au réel. "On remplace la planification par l'émergence. On reconnait les pratiques une fois qu'elles ont émergées. Le pouvoir public a un rôle d'arbitrage une fois que les conséquences réelles sont comprises."
2. On va coopérer avec l'extérieur de l'administration. Certains services publics de l'Estonie ont commencé par être développés par des associations. Ces services, qui répondaient à un intérêt général, ont été intégrés au secteur public à posteriori. "On n'est plus dans la compétition avec les initiatives privées, mais dans la collaboration".
3. Il y a une volonté politique forte et fédératrice. "On annonce et on dit au plus haut niveau que l'action publique doit être numérique. Cette volonté politique se traduit par des actes concrets, réglementaires et législatifs. En Estonie, l'accès à internet a été inscrit comme un droit de l'homme en 2000, la même année où la signature électronique a été reconnue."
Pour l'expert, "si l'Estonie a réussi ce n'est pas parce qu'elle avait des ingénieurs plus doués que les autres, c'est par l'organisation. D'autres gouvernements avec plus de moyens ont aussi essayé de moderniser leur service public mais n'y sont pas arrivés avec autant d'efficacité." On sera rassuré de voir qu'au moins une des trois leçons de l'Estonie est appliquée en Polynésie, la modernisation de l'administration étant une priorité du gouvernement actuel tout comme il l'était pour le gouvernement précédent (voir encadré).
GOV.UK : FAIRE GROSSIR UN PETIT SERVICE NUMÉRIQUE
Deuxième cas d'étude, l'Angleterre. "En 2011 en Grande Bretagne, le gouvernement décide de refondre le portail d'accès consolidé pour tous les services de l'administration en ligne. Ça commence avec une petite équipe d'une dizaine de personnes qui met une première version en ligne, fait des tests utilisateurs, améliore en quelques mois, puis commence à grossir après avoir prouvé que le service fonctionne. Et au final aujourd'hui ça donne un point d'accès unique à tous les services de l'administration. En 2013, ce département atteint 200 travailleurs et élargit son champ d'action. Après avoir accumulé de la donnée sur les procédures les plus utilisées, ce que les gens cherchaient sur gov.uk et essayaient de faire en ligne, ils ont facilement pu établir une liste des démarches qu'il fallait numériser en premier. Donc ils ont commencé par apporter de l'information, ce qui crée déjà de la valeur, avant de s'attaquer aux services" décrit Matti Schneider. Une initiative qui a clairement inspiré notre portail public local, Net.pf.
La leçon de l'Angleterre : "après quatre ans d'expérience à avoir réellement tenté de changer des ministères en France, je vois bien qu'il n'y a que comme ça que ça marche. On commence par faire quelque chose, les gens qui ont envie de faire avec nous vont nous suivre, et on explique après coup. Une fois que la curiosité est éveillée par ce qui a déjà été fait, on peut aller plus loin." On pense en Polynésie aux initiatives du service des contributions, de la CPS ou de la traduction qui permettent déjà plusieurs procédures ou déclarations obligatoires en ligne. Ou encore à l'ambitieux portail TeFenua, qui a ensuite débouché sur le service numérique du cadastre...
L'innovateur public a également donné un contre-exemple : healthcare.gov, l'initiative de Barrack Obama pour numériser le service public de la santé aux États-Unis. Le jour du lancement, le site s'est effondré... Et on s'est rendu compte au bout de 10 jours que le bug, un problème de permissions, avait été identifié très rapidement par le salarié d'un petit sous-traitant qui en était responsable... Mais qu'il n'avait pas osé le révéler à sa hiérarchie, craignant les conséquences pour toute son entreprise, bouc-émissaire de cette catastrophe. "Il se révèle que le problème n'était pas la compétence technique des gens embauchés, mais les méthodes de management industrielles du 19ème siècle utilisées pour essayer de créer les services numériques du 21ème siècle. Ca ne fonctionne pas ! Si on est incapables de collaborer, on n'arrivera pas à numériser les services publics" assure Matti Schneider.
EN FRANCE ON A LIBÉRÉ LES DONNÉES PUBLIQUES
La métropole offre encore un autre modèle. "En France c'est le portail d'accès aux données publiques, data.gouv.fr, qui a permis de démontrer la viabilité de ces méthodes pour numériser l'action publique. En décembre 2013, après six mois de développement, le portail open data français est mis en ligne par une équipe de trois personnes, avec des fonctionnalités sociales encore jamais vues. C'est une sorte de réseau social de la donnée. On partage les données, mais on crée les conditions qui permettront de collaborer avec l'extérieur. Les utilisateurs de ces données publiques peuvent signaler quand un jeu de données n'est pas exploitable et faire remonter des erreurs. Ils pouvaient aussi partager leurs propres utilisations. Donc sur un site gouvernemental, on fait de la publicité à des initiatives qui n'ont rien à voir avec le gouvernement, ou même qui le critiquent... Parce que l'ouverture des données permet aussi l'audit. On est dans la collaboration et on cherche à s'améliorer. Donc pendant trois ans j'ai travaillé à l'incubateur de services publics numériques, beta.gouv.fr. Sur la base de ce premier succès, puis un autre et un autre, et on a acquis de plus en plus de "start-up d'Etat"."
> data.gouv.fr
> beta.gouv.fr
"Là aussi la stratégie est de livrer autant que possible. Des applications, des produits, en collaborant entre le public et le privé. Par exemple la base d'adresses nationales est une coproduction entre la Poste, IGN et Open Street Map qui permet de géocoder toute adresse française. Donc une collaboration entre des acteurs institutionnels et une association." Ensuite, ces données ont permis de créer toute une liste de nouveaux services, certains totalement inattendus. La plateforme s'est ainsi enrichie d'une carte des logements sociaux financés par la ville de Paris, d'une initiative permettant la mise en conformité des entreprises avec le droit du travail...
Bref, notre administration a encore du pain sur la planche pour arriver au niveau de toutes ces initiatives. Mais au moins on sent que les responsables informatiques et de nombreux haut-fonctionnaires sont convaincus qu'ils peuvent réformer et moderniser l'administration. Maintenant, ils se connaissent, et pourront collaborer pour multiplier les services publics numériques. Le but final étant que les derniers récalcitrants de l'administration se retrouvent obligés de monter dans le train quand tous les autres auront rejoint le mouvement.
LE CAS DE L'ESTONIE, UN PAYS 2.0
L'exemple le plus cité de transition numérique d'un Etat entier est l'Estonie. "C'est aujourd'hui le pays le plus avancé en matière de services publics numériques. Pourquoi ? Parce que l'Estonie s'y est mise très tôt. Depuis le 15 décembre 2000, une signature électronique a autant de valeur qu'une signature manuscrite. En 2007 on pouvait s'identifier en ligne avec sa carte nationale d'identité. Depuis 2014 on peut obtenir une identité en Estonie, y payer ses impôts, immatriculer une société, etc, sans jamais avoir mis les pieds dans le pays. Tout peut se faire en ligne" nous fait rêver Matti Schneider. Mais cet exemple n'est pas si facile à reproduire : "Pour copier le modèle estonien, il fallait s'y mettre en l'an 2000. Aujourd'hui, il faut faire avec les différentes initiatives déjà mises en places dans chaque administration, et on va directement passer aux dernières technologies, en particulier le mobile" explique le conférencier en réponse à une question.
Il y a tout de même trois conseils à retenir de ce petit pays balte :
1. En Estonie la loi doit être conçue pour coller au réel. "On remplace la planification par l'émergence. On reconnait les pratiques une fois qu'elles ont émergées. Le pouvoir public a un rôle d'arbitrage une fois que les conséquences réelles sont comprises."
2. On va coopérer avec l'extérieur de l'administration. Certains services publics de l'Estonie ont commencé par être développés par des associations. Ces services, qui répondaient à un intérêt général, ont été intégrés au secteur public à posteriori. "On n'est plus dans la compétition avec les initiatives privées, mais dans la collaboration".
3. Il y a une volonté politique forte et fédératrice. "On annonce et on dit au plus haut niveau que l'action publique doit être numérique. Cette volonté politique se traduit par des actes concrets, réglementaires et législatifs. En Estonie, l'accès à internet a été inscrit comme un droit de l'homme en 2000, la même année où la signature électronique a été reconnue."
Pour l'expert, "si l'Estonie a réussi ce n'est pas parce qu'elle avait des ingénieurs plus doués que les autres, c'est par l'organisation. D'autres gouvernements avec plus de moyens ont aussi essayé de moderniser leur service public mais n'y sont pas arrivés avec autant d'efficacité." On sera rassuré de voir qu'au moins une des trois leçons de l'Estonie est appliquée en Polynésie, la modernisation de l'administration étant une priorité du gouvernement actuel tout comme il l'était pour le gouvernement précédent (voir encadré).
GOV.UK : FAIRE GROSSIR UN PETIT SERVICE NUMÉRIQUE
Deuxième cas d'étude, l'Angleterre. "En 2011 en Grande Bretagne, le gouvernement décide de refondre le portail d'accès consolidé pour tous les services de l'administration en ligne. Ça commence avec une petite équipe d'une dizaine de personnes qui met une première version en ligne, fait des tests utilisateurs, améliore en quelques mois, puis commence à grossir après avoir prouvé que le service fonctionne. Et au final aujourd'hui ça donne un point d'accès unique à tous les services de l'administration. En 2013, ce département atteint 200 travailleurs et élargit son champ d'action. Après avoir accumulé de la donnée sur les procédures les plus utilisées, ce que les gens cherchaient sur gov.uk et essayaient de faire en ligne, ils ont facilement pu établir une liste des démarches qu'il fallait numériser en premier. Donc ils ont commencé par apporter de l'information, ce qui crée déjà de la valeur, avant de s'attaquer aux services" décrit Matti Schneider. Une initiative qui a clairement inspiré notre portail public local, Net.pf.
La leçon de l'Angleterre : "après quatre ans d'expérience à avoir réellement tenté de changer des ministères en France, je vois bien qu'il n'y a que comme ça que ça marche. On commence par faire quelque chose, les gens qui ont envie de faire avec nous vont nous suivre, et on explique après coup. Une fois que la curiosité est éveillée par ce qui a déjà été fait, on peut aller plus loin." On pense en Polynésie aux initiatives du service des contributions, de la CPS ou de la traduction qui permettent déjà plusieurs procédures ou déclarations obligatoires en ligne. Ou encore à l'ambitieux portail TeFenua, qui a ensuite débouché sur le service numérique du cadastre...
L'innovateur public a également donné un contre-exemple : healthcare.gov, l'initiative de Barrack Obama pour numériser le service public de la santé aux États-Unis. Le jour du lancement, le site s'est effondré... Et on s'est rendu compte au bout de 10 jours que le bug, un problème de permissions, avait été identifié très rapidement par le salarié d'un petit sous-traitant qui en était responsable... Mais qu'il n'avait pas osé le révéler à sa hiérarchie, craignant les conséquences pour toute son entreprise, bouc-émissaire de cette catastrophe. "Il se révèle que le problème n'était pas la compétence technique des gens embauchés, mais les méthodes de management industrielles du 19ème siècle utilisées pour essayer de créer les services numériques du 21ème siècle. Ca ne fonctionne pas ! Si on est incapables de collaborer, on n'arrivera pas à numériser les services publics" assure Matti Schneider.
EN FRANCE ON A LIBÉRÉ LES DONNÉES PUBLIQUES
La métropole offre encore un autre modèle. "En France c'est le portail d'accès aux données publiques, data.gouv.fr, qui a permis de démontrer la viabilité de ces méthodes pour numériser l'action publique. En décembre 2013, après six mois de développement, le portail open data français est mis en ligne par une équipe de trois personnes, avec des fonctionnalités sociales encore jamais vues. C'est une sorte de réseau social de la donnée. On partage les données, mais on crée les conditions qui permettront de collaborer avec l'extérieur. Les utilisateurs de ces données publiques peuvent signaler quand un jeu de données n'est pas exploitable et faire remonter des erreurs. Ils pouvaient aussi partager leurs propres utilisations. Donc sur un site gouvernemental, on fait de la publicité à des initiatives qui n'ont rien à voir avec le gouvernement, ou même qui le critiquent... Parce que l'ouverture des données permet aussi l'audit. On est dans la collaboration et on cherche à s'améliorer. Donc pendant trois ans j'ai travaillé à l'incubateur de services publics numériques, beta.gouv.fr. Sur la base de ce premier succès, puis un autre et un autre, et on a acquis de plus en plus de "start-up d'Etat"."
> data.gouv.fr
> beta.gouv.fr
"Là aussi la stratégie est de livrer autant que possible. Des applications, des produits, en collaborant entre le public et le privé. Par exemple la base d'adresses nationales est une coproduction entre la Poste, IGN et Open Street Map qui permet de géocoder toute adresse française. Donc une collaboration entre des acteurs institutionnels et une association." Ensuite, ces données ont permis de créer toute une liste de nouveaux services, certains totalement inattendus. La plateforme s'est ainsi enrichie d'une carte des logements sociaux financés par la ville de Paris, d'une initiative permettant la mise en conformité des entreprises avec le droit du travail...
Bref, notre administration a encore du pain sur la planche pour arriver au niveau de toutes ces initiatives. Mais au moins on sent que les responsables informatiques et de nombreux haut-fonctionnaires sont convaincus qu'ils peuvent réformer et moderniser l'administration. Maintenant, ils se connaissent, et pourront collaborer pour multiplier les services publics numériques. Le but final étant que les derniers récalcitrants de l'administration se retrouvent obligés de monter dans le train quand tous les autres auront rejoint le mouvement.
La ministre répond favorablement à cet élan modernisateur
Tout juste cinq jours après la conférence de Matti Schneider, alors que les nombreux hauts-fonctionnaires présents à la conférence étaient motivés comme jamais à pousser de nouveaux projets de modernisation, leur tutelle politique leur a apporté un soutien de poids.
Tea Frogier, la ministre de la Modernisation de l'administration, en charge de l'Énergie et du Numérique, a ainsi réuni l’ensemble des services administratifs placés sous sa tutelle afin de leur présenter les orientations générales et opérationnelles de la politique qu'elle compte mener.
Le communiqué de presse officiel explique que "la stratégie ainsi fixée a pour orientations principales, d’offrir un service public bienveillant, qu’il soit physique ou digital, d’accompagner la croissance économique du Pays et de garantir la performance de la gouvernance institutionnelle. A la lumière de ces orientations, les chefs de service en question devront élaborer des plans d’actions, visant à développer une organisation optimale et de qualité du service public, à disposer d’une ressource humaine compétente et à mettre en place un environnement numérique performant et sécurisé."
Tea Frogier, la ministre de la Modernisation de l'administration, en charge de l'Énergie et du Numérique, a ainsi réuni l’ensemble des services administratifs placés sous sa tutelle afin de leur présenter les orientations générales et opérationnelles de la politique qu'elle compte mener.
Le communiqué de presse officiel explique que "la stratégie ainsi fixée a pour orientations principales, d’offrir un service public bienveillant, qu’il soit physique ou digital, d’accompagner la croissance économique du Pays et de garantir la performance de la gouvernance institutionnelle. A la lumière de ces orientations, les chefs de service en question devront élaborer des plans d’actions, visant à développer une organisation optimale et de qualité du service public, à disposer d’une ressource humaine compétente et à mettre en place un environnement numérique performant et sécurisé."