Comment Maiao est devenue « l’île interdite »


PAPEETE, le 5 janvier 2018. L’île de Maiao s’ouvre progressivement à une activité touristique balbutiante depuis 2013, en dépit de sa solide réputation d’île interdite. Une recherche publiée en septembre 2015 dans le bulletin de la Société des études océaniennes rappelle l’origine de cette particularité.


L’île s’est durablement refermée aux étrangers il y a quatre-vingts ans, sous couvert d’un arrêté du Gouvernement des établissements français d’Océanie officialisé le 16 juillet 1936. L’article 1er de ce texte réglementaire stipule l’interdiction « aux Français, aux protégés ou sujets français et aux étrangers de séjourner dans l’île de Maiao pendant plus de 48 heures consécutives, s’ils n’en sont pas originaires ». L’arrêté est alors pris « vu les abus auxquels peut donner lieu le séjour d’étrangers dans l’île ».

Aujourd’hui, quatre générations plus tard, sur place on a oublié. On se souvient juste qu’un commerçant mal intentionné est à l’origine de tout cela. Etait-il Chinois, Français, Anglais, Américain ? Les avis divergent. Demeure la force d’une tradition. « Il est d’ailleurs intéressant de constater, lorsque l’on interroge la population de Maiao, y compris les anciens, que l’existence de l’arrêté de 1936 est loin d’être connue de tous, et qu’aux yeux de la plus grande partie des habitants, les usages toujours en vigueur représentent avant tout un héritage des mesures prises par leurs ancêtres », observe Carole Atem, professeur agrégé de Lettres à l’Université de la Polynésie française, dans l’étude qu’elle a consacrée en 2015 à cette particularité de Maiao, dans l’espace républicain français (Bulletin n°336 de la Société des études océaniennes – Septembre 2015). Aussi, constate la chercheuse, « cette concurrence entre pouvoir des textes et force de la tradition fait de Maiao une terre encore largement interdite ».

Il faut remonter aux années 1920 pour trouver l’origine de l’interdiction de Maiao aux étrangers. Un citoyen britannique du nom d’Eric Lawford Trower s’installe à Maiao pour y ouvrir un commerce. L’homme à la conviction que l’île peut accueillir une activité minière lucrative avec l’exploitation de phosphate. Il instrumentalise alors une activité de vente à crédit en profitant de la fascination des autochtones pour les biens de consommation venus de l’extérieur : tôles, bois de construction, machines à coudre… « Bien évidemment », souligne Carole Atem dans son étude, « comme à Tahiti lors de l’arrivée des Européens, l’alcool fait son apparition sur l’île. Les achats se faisant à crédit, les habitants se retrouvent très rapidement criblés de dettes et, surtout, demeurent dans l’incapacité de s’en acquitter ».
La première victime du stratagème de l’Anglais n’est autre que Nu’u a Tauniua, alors souverain de l’île. Incapable d’honorer une dette de 65775 Fcfp, il se voit signifier par le tribunal de Papeete, sur requête de Trower, la saisie des droits divis et indivis sur les terres qu’il détient. Une partie de ces terres est alors acquise aux enchères par le commerçant de Maiao. Puis, de 1925 à 1935, Trower parvient à s’approprier jusqu’à 80 % des terres de l’île, par le biais d’actes de vente conclus avec les propriétaires en échange de dettes de consommation.

Le pasteur Octave Moreau (gravure tirée de l’ouvrage Tahitiens par Patrick O’Reilly – 1975)
Au milieu des années 1930, appelé au secours par la population de Maiao, le pasteur Octave Moreau (1872-1936) leur conseille de signaler ces malversations au Gouverneur de l’époque. Une enquête est diligentée sur place. Elle confirme les mauvaises manières de l’Anglais. Loin de se limiter aux moyens légaux, ce dernier en vient régulièrement aux menaces avec pistolet, utilise de faux témoignages, pratique le vol de coprah…
Le tribunal de Papeete ordonne, le 3 juillet 1934, la saisie de la totalité des droits de M. Trower sur les terres de Maiao. Mis en vente par adjudication, ces terres sont acquises par l’Association agricole de Maiao avec le soutien des autorités de l’Etat. L’entité regroupe tous les habitants de l’île. Elle fut constituée sur les conseils du pasteur Octave Moreau. Cette association agricole est l’ancêtre de l’actuelle Coopérative agricole de l’île.
Les dettes de l’association agricole auprès des instances de l’Etat seront remboursées au fil des ans, grâce à la vente de la production de coprah et de pandanus de l’île.

Les promesses du tourisme

Les années ont passé. Et cette histoire a été oubliée sur place. Depuis 2013 cependant, Maiao s’ouvre timidement au tourisme. L’activité offre une source de revenus alternative à la population. Pas de pension de famille et encore moins d’hôtel. Un charter nautique transporte les visiteurs depuis Tahiti pour des visites de trois jours. Les visiteurs logent à bord mais ont la possibilité de profiter de la plage, peuvent faire une randonnée en montagne et termine leur séjour par un grand pique-nique en bord de mer. En 2017, 12 voyages de ce type ont été organisés. Une centaine de visiteurs ont ainsi pu découvrir Maiao.

« Aujourd’hui, tout le monde veut prendre le tourisme. Ca nous donne une autre source de revenus. Une source d’argent très importante pour nous », a affirmé Adèle Teariki à l’adresse d’Edouard Fritch, lors de la visite gouvernementale organisée fin décembre dernier, en prenant à témoins la population de l’île rassemblée autour d’elle. Cette nouvelle activité économique s’installe aujourd’hui sur la pointe des pieds. Tout reste à faire sur place dans le respect d’un règlement strict actualisé en 1989 (voir encadré) ; mais on sent bien que la volonté existe d’en finir avec les rigueurs qui ont valu à Maiao la réputation encore très mérités d’île interdite.


Quelques généralités sur Maiao

Vue aérienne de Maiao (crédit : Tahiti Héritage)
Plantée dans l’océan Pacifique à 62 nautiques sur l’ouest de Tahiti, Maiao est rattachée administrativement à la commune de Moorea, située à quatre heures de mer. L’île compte 353 habitants en 2017, essentiellement rassemblés dans les 80 foyers du petit village de Taora o Mere. Le point culminant de Maiao est une colline de 154 m, Ravae, logée ou cœur d’un petit massif qui s’étale d’Ouest en Est et surplombe les deux lagunes de l’atoll, Roto Iti et Roto Rahi, au Nord et au Sud.
L’île est entourée d’une barrière récifale, interrompue par deux passes ouvertes aux petites embarcations : Avarei, creusée à la dynamite non loin du village ; et Apotoo, un passage naturel utilisé uniquement lorsque la passe d’Avarei n’est pas praticable. D’une superficie de 900 hectares, l’île de Maiao tire ses revenus du commerce en déclin du coprah et des feuilles de pandanus séchées (le Rauoro, utilisé pour le tressage ou la confection de toitures traditionnelles). La production et le commerce en sont administrés pour le bien de la collectivité par une coopérative agricole, aujourd’hui présidée par Tauniua Wolta Matahiapo.
Maiao fut également appelée Tapuae Manu, Maiao Iti, ou encore Teanuanuaiterai en raison de fréquents arc-en-ciel liés à la présence de ses deux lacs intérieurs.
Le premier européen à avoir visité l’île est le capitaine Samuel Wallis, en 1767. Maiao a été une dépendance de la royauté de Huahine jusqu’en 1904, avant son rattachement administratif à la circonscription de Tahiti et ses dépendances.

Une réglementation stricte

Le règlement en application sur l’île de Maiao a été édicté en 1936 et révisé en mai 1989. Il comporte aujourd’hui 16 points :
- La construction d’une piste d’aviation est interdite sur l’île ;
- Aucune construction d’hôtel n’est autorisée ;
- Une vente immobilière n’est possible qu’aux membres de sa propre famille, aux membres de la coopérative agricole, ou aux habitants de l’île. Le prix au mètre carré est fixé à 10 francs.
- Les habitants de l’île seront respectés de même que leur manière de vivre ;
- Les habitants de l’île doivent respecter les gens qui décident de venir se réinstaller sur la terre de leurs ancêtres ;
- La vente d’alcool est strictement prohibée. Seul le maire est habilité à en autoriser exceptionnellement la vente pour la célébration d’un événement particulier ;
- Tout comportement indécent ou susceptible de heurter la sensibilité des habitants de l’île est interdit. Les autorités de Maiao jugent de ce qui est acceptable ou non.
- Le dimanche sera respecté. Aucun travail ne pourra être effectué au-delà des limites de sa propriété.
- Maiao est de religion protestante. La pratique d’autres religions n’est tolérée sur l’île que dans les limites de son propre domicile ;
- Toute embauche d’employés européens ou asiatiques est interdite sur l’île, en raison des malversations subies par les habitants dans les années 1935 ;
- Les richesses de la mer doivent être respectées et ne doivent pas être utilisées à des fins d’enrichissement personnel.
- La pêche au filet est interdite, sauf sur dérogation du maire. La pêche dans les lagons intérieurs est interdite à toute personne non originaire de l’île sous peine d’amende et de saisie du matériel. A l’extérieur du récif, les techniques de pêche à la bouteille ou à l’explosif sont interdites ;
- Toute activité agricole doit être faite au bénéfice des habitants de l’île ;
- Sur le plan de la moralité, il est strictement interdit de se comporter à Maiao comme le font les étrangers dans leur pays. La tenue vestimentaire doit être décente (pas de vêtements trop courts). Le port du maillot de bain est interdit à l’intérieur de la zone qui s’étend de l’entrée du village à l’est, au lieu-dit « Vairo », jusqu’au lieu-dit « Mautara » à l’ouest. Le non-respect de ces règles étant puni par une amende ;
- Tout visiteur d’origine française, asiatique ou européenne doit s’acquitter de la somme de 2000 Fcfp par adulte et 500 Fcfp par enfant. Les familles et les amis des habitants de l’île bénéficient de la gratuité ;
- Comme nous vivons dans un monde de paix et de respect mutuel, nous nous devons de nous aimer et de nous entendre, pour éviter tout conflit.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Vendredi 5 Janvier 2018 à 07:00 | Lu 22765 fois