City veut miser sur la carte culturelle au Tahara'a


Tahiti, le 19 janvier 2023 – Six mois après les protestations contre son projet du Tahara'a, le groupe City a tenu à présenter et à insister jeudi matin sur toute la “dimension culturelle” de son projet d'aménagement avec un musée consacré à l'histoire du site, assisté de son consultant et descendant de la famille Pomare, Tunui Salmon.
 
Principal promoteur de grands projets hôteliers et immobiliers en Polynésie française ces dernières années, le groupe City s'est également heurté à certaines oppositions politiques et d'associations culturelles ou environnementales ces derniers mois. C'est le cas au Tahara'a où le groupe français ambitionne depuis 2021 d'obtenir un permis de construire sur le terrain de l'ancien hôtel en friche du Hyatt, pour le réaménager en un ensemble immobilier comprenant un hôtel, des logements résidentiels, un parc et des commerces. Sauf qu'en juin dernier, la mairie de Arue s'est fortement élevée contre ce projet avec à la clé plusieurs prises de positions et manifestations dénonçant l'impact du projet notamment sur un ancien haut-lieu de la culture polynésienne. L'adjoint et président de Heiura-Les Verts Jacky Bryant en tête, les opposants avaient notamment organisé une cérémonie au bas du domaine du Tahara'a.
 
Un “consultant culturel”
 
Six mois plus tard, le président du groupe City, Christophe Petit, le porteur de projet local, Teiva Raffin, et le plasticien et descendant de la lignée Pomare, Tunui Salmon, ont invité les médias à une conférence de presse jeudi matin sur le site de l'hôtel en ruines et du parc abritant déjà aujourd'hui –pour partie– un centre de pieu de l'église mormone. L'occasion surtout de présenter en Tunui Salmon le “consultant culturel” du groupe City sur ce projet du Tahara'a. “En réalité, nous n'avons jamais eu l'occasion de présenter les détails de ce projet, du moins dans la dimension culturelle que nous souhaitions y apporter”, a regretté Christophe Petit, laissant surtout la parole à son relai local, Teiva Raffin, et au spécialiste de l'histoire du site et de la famille royale, Tunui Salmon.
 
“On n'a pas changé d'orientation. Le projet initial avait déjà un musée. Mais en essayant de comprendre çà et là les gens, on a voulu développer davantage l'aspect culturel”, assure Teiva Raffin, réfutant avoir fait prendre un virage culturel au projet en réaction aux protestations des opposants. “Pour pouvoir asseoir la dimension culturelle, il faut bien être accompagné par des experts de la culture. Et Tunui, qui fait partie de la famille royale, et qui est –entre autres– mon cousin, est la personne idéale pour pouvoir l'expliquer, au travers des schémas, des dessins et en collaboration avec des architectes. C'est dans cette dynamique et cet esprit que le groupe City a voulu répondre aux inquiétudes de la population, en tout cas de ceux qui contestent et qui rouspètent d'un point de vue culturel.”
 
2 000 mètres carrés et une statue
 
L'occasion aussi d'annoncer que le projet du Tahara'a prévoit d'accueillir en son sein “le premier musée culturel de l'histoire des Pomare”. Le groupe City annonce 2 000 mètres carrés consacrés à l'histoire et à la culture du site et il a même déjà prévu –“à l'image de Kamehameha” à Hawaii– de bâtir “une sculpture en bronze de 3,6 mètres de haut sur une stèle” représentant Pomare I. Des gages culturels qui suffiront à contenter les opposants au projet ? “Nous sommes ouverts à tout. Nous avons invité les contestataires à discuter. Et s'ils ont des idées complémentaires à évoquer ils sont les bienvenus”, affirme Teiva Raffin. “Rien n'est arrêté, au contraire. On peut ajouter d'autres éléments en complément sur l'histoire de Arue.”
 
À l'heure actuelle, le projet du groupe City au Tahara'a est toujours suspendu à l'obtention d'un permis de construire par les services administratifs du Pays. Le dossier est encore en cours d'instruction et il a obtenu un avis favorable pour la sécurité incendie la semaine dernière. Le groupe City espère obtenir le permis de construire le plus tôt possible, clause nécessaire à la signature définitive et complète de l'acte de vente du site du Tahara'a. Commenceront alors de premiers gros travaux de désamiantage des ruines actuelles de l'hôtel du Hyatt. Teiva Raffin qui espérait jeudi pouvoir commencer ces travaux “début 2024 si tout va bien”.
 

Tunui Salmon, consultant culturel : “Pas question de faire n’importe quoi”

Vous allez intervenir en tant que consultant auprès du groupe City pendant la conception de ce projet afin d’orienter ce qui pourra être fait dans ces espaces culturels ?

“Oui, et j’éprouve de la gratitude d’avoir été choisi. C’est un grand honneur mais aussi une grande responsabilité. Il n’est pas question de faire n’importe quoi. Nous allons devoir raisonner Culture. C’est l’histoire que nous allons laisser pour nos générations futures. Les anciens ont écrit une page d’histoire. Qu’allons-nous laisser à nos enfants ?”
 
On a vu une forte opposition au projet d’un point de vue culturel, lorsque les premiers projets du groupe City ont été annoncés. Que pensez-vous de critiques qui ont été formulées ?

“Vous savez, en Polynésie c’est devenu monnaie courante : quand on monte un projet, il y a toujours de l’opposition. Peut-être est-ce la méconnaissance du projet qui fait que des gens de la culture se lèvent. Mais je pense qu’avant de critiquer, il faut s’asseoir autour d’une table pour discutant des projets. C’est en discutant que la lumière jaillit. Si chacun campe de son côté on ne fera rien. Je ne suis pas contre les opposants ; mais je ne veux pas entrer dans la polémique. Je suis venu pour rendre un hommage aux ancêtres et pour que leur histoire, en harmonie avec l’histoire moderne, ne sombre pas dans l’oubli.”
 

La dimension culturelle du projet, selon Tunui Salmon

“Pour moi, c’est un grand honneur et une grande responsabilité de participer à l’élaboration d’un lieu culturel et de mémoire au sein du projet hôtelier de la société City. Je pense que la notion de culture au sein de ce projet sera bénéfique. Si on prend l’exemple hawaiien, ils ont réglé ce problème. Dans leur développement, il y a toujours une note culturelle. Ils sont en symbiose et les affaires marchent bien. C’est vrai que l’on ne peut pas avoir toute la connaissance. Parfois, il y a des manquements ; on oublie certaines choses. Mais je pense que la culture et le développement économique ne doivent faire qu’un. C’est comme une pirogue double : cela donne de la stabilité au projet.
 
Ce projet est innovant, sur un haut-lieu cultuel, puisqu’à l’époque il y avait un marae à cet endroit qui s’appelait “Te mou’a ‘ura nui i te ra’iatea” que les Hawaiiens appellent Mauna ula nui kalani loa, parce que ce lieu a une connexion historique avec les Hawaiiens. De nombreux ancêtres sont partis de ce lieu vers Hawaii où ils se sont installés. Il y a le dénommé Maueke, qui était le grand prêtre et en même temps le navigateur. Il y a aussi les dénommés Moikeha, Olopana et Kila. Ces personnes sont arrivées à Havaī loa, à Hawaii, et ont habité dans une grande vallée qui s’appelle Vaipiho. Vaipiho veut dire “eau emmagasinée”, et d’ailleurs pendant la guerre du Vietnam, c’est là que les Marines allaient s’entrainer pour avoir les mêmes conditions que dans les rivières vietnamiennes.
 
Et c’est de ce lieu-là que, suite à une grande inondation, ces personnes de haut rang ont migré vers Oahu à Waikiki. Olopana est devenu le chef à Oahu, par contre Maueke, Moikeha et Kila ont continué leur chemin pour arriver à Kauai, l’île du Nord. Et lorsque vous allez à Kauai de nos jours, vous arrivez face à une grande rivière qui s’appelle Wailua. De chaque côté aux abords de cette rivière se trouvent des structures archaïques de style polynésien, des îles de la Société. Et lorsqu’on fait des recherches au niveau des généalogies, si on prend celle de l’ancêtre Uru, on constate qu’un ancêtre de primogéniture de la famille des Pomare a vécu à Hawaii. Nous avons des filiations avec les Hawaiiens. Pour les Hawaiiens, nous sommes une branche aînée. C’est pour cela que les Hawaiiens reviennent souvent ici.
 
Dans les années 1990, une délégation de la Kamehameha school est venue à Papaoa, là où est aujourd’hui le cimetière des Pomare. Une cérémonie de remise de cadeaux a été organisée en mémoire de Pomare Ier. Il était très lié à Kamehameha 1er. C’étaient des amis : tantôt Pomare I partait avec sa flottille sur Hawaii ; tantôt c’est Kamehameha qui descendait à Papaoa. En ce temps-là, Papaoa était le chef-lieu des Pomare. Te Porionuu démarre du promontoire, au niveau de la grotte et s’étend jusqu’à Papofai à Papeete, à côté de la clinique Paofai. Papofai est le nom d’une source qui se trouve encore actuellement sous un des bâtiments au carrefour du lycée Paul Gauguin. Quand ils ont bâti cet édifice, ils ont aménagé une chambre pour laisser la source. Et cette eau coule jusqu’à la mer. Elle passait autrefois dans l’ancienne propriété des Laguesse, là où il y avait un banian. En passant ce matin, j’ai vu que ce banian sacré avait été abattu. Voilà donc les limites de Te Porionuu. Par la suite, on a poussé cette limite jusqu’au pont de Tipaerui pour atteindre l’Uranie. Mais Te Porionu s’étend historiquement des grottes du Tahara’a jusqu’à Papofai.
 
Ça, c’était l’époque où Tahiti était divisée en subdivisions. Chacune avait un chef, que l’on appelait aussi ‘arii. Il y avait donc Porionu, qui regroupait Arue, Pirae et Papeete. Ensuite Tefana i ahura'i. Il y avait aussi Te Oropa’a qui regroupait Manotahi et Mano Rua, c’est-à-dire Punaauia et Paea. Plus loin il y avait Teva i Uta, c’est-à-dire Papara, Mataiea et Papeari. Et toute la petite île, c’était Teva i Tai, c’était Taiarapu où le chef était Vaiheatuaitematai. Et à partir de la limite de Faaone jusqu’ici, vers la moitié du promontoire, c’était Teaharoa, la longue cordelette de nape. Voilà, on a fait tout le tour de Tahiti. Et tous ces chefs dirigeaient une subdivision de l’île.”
 
Tunui Salmon


Rédigé par Antoine Samoyeau le Jeudi 19 Janvier 2023 à 17:01 | Lu 3386 fois