Cimetière et CET d'Orofara : le "système Vernaudon" décortiqué en correctionnelle


L'ancien cimetière d'Orofara, sur le domaine cédé par le Pays à la municipalité de Mahina en 1998
PAPEETE, 6 octobre 2014 – L’ancien maire de Mahina doit être jugé mardi dans une affaire de détournement de fonds publics. Le "sheriff" est soupçonné d’avoir organisé l’évaporation de 15,9 millions Fcfp des deniers municipaux, entre décembre 2003 et mai 2004, en marge des projets du cimetière et du centre d’enfouissement technique d’Orofara.

Les éléments de cette affaire avaient été révélés par la Chambre territoriale des comptes (CTC) et transmis au parquet de Papeete en 2006.

En janvier 2013, après sept ans d'instruction, cinq personnes ont été citées par l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel. Outre Emile Vernaudon prévenu pour le délit de détournement de fonds publics, Joinville et Pascal Pomare, Gilles Tefaatau et Leslyn Shriver sont appelés à comparaître pour complicité ou de recel de détournement de biens publics.

Les sommes soupçonnées de détournement ont été évaluées à 15,9 millions Fcfp, par la CTC en 2006.

Tout est parti de l’enquête de routine menée par la juridiction financière au sujet de la comptabilité municipale sur les exercices 1994 et suivants. Un rapport d’activité dont les observations avaient été formulées en novembre 2005.

En épluchant la comptabilité de Mahina sur cette période, la Chambre avait été interpellée par une série d’opérations douteuses. En l’occurrence, alors que la commune disposait depuis 1998 d’une autorisation d’occupation d’une parcelle de 9,66 hectares du domaine public, sur les hauteurs d’Orofara, elle avait en 2003 signé deux très onéreuses conventions de location-vente avec un tiers relié à Joinville Pomare.

Par arrêté n°197 CM du 4 février 1998 une parcelle de terre domaniale d'une superficie de 9,66 hectares du domaine d’Orofara avait été affectée au profit de la commune de Mahina, afin qu’elle puisse y réaliser ses projets de cimetière municipal et de centre d’enfouissement des déchets encombrants.

Le projet de cimetière avait été entériné en septembre 2000 par délibération du conseil municipal. Le chantier aurait pu commencer à cette époque dans ces conditions.

Mais au lieu de cela, la CTC va avoir la surprise de découvrir au cours de son enquête une délibération du 10 octobre 2002, autorisant le maire à signer une convention de location-vente pour la parcelle domaniale avec un certain Pascal Pomare, gérant de la société Tuavira et fils de Joinville. Cet accord fixait le montant du loyer mensuel à 1,38 million Fcfp et imposait au locataire le versement d'un dépôt de garantie de 2,75 millions Fcfp.

Une société spécialisée dans l'aquaculture

Mieux, la CTC découvre que, sur cette même parcelle cédée par le Pays en 98, le maire de Mahina a passé une seconde convention de location d'un lopin destiné à accueillir le Centre de traitement des déchets encombrants de la commune. Pour cet autre contrat, le loyer mensuel est fixé à 1,2 million Fcfp, assorti d’un dépôt de garantie de 2,35 millions Fcfp.

Les deux conventions ont été signées le 4 mars 2003 entre Pascal Pomare et le maire de Mahina, autorisé par une délibération municipale en date du 10 octobre 2002.

Trois mandats seront ensuite ordonnés pour le paiement de ces loyers. Le premier versement, de 3,525 millions Fcfp est effectué le 4 décembre, et correspond à trois mois de location du terrain destiné à accueillir le CET. Le 23 décembre 2003 un deuxième versement de 4,12 millions Fcfp est mandaté au titre du loyer des mois d'avril à juin 2003, pour le lopin où doit être édifié le cimetière. Un ultime paiement de 8,5 millions Fcfp intervient en mai 2004 au titre des mois de juillet à décembre 2003 du terrain du cimetière. Ce sera le dernier, le comptable ayant suspendu le paiement des mandats suivants, à la suite du contrôle exercé par la Chambre territoriale des comptes.

Questionnée par la CTC au sujet de ces opérations douteuses, en mai 2006 le maire de Mahina avait affirmé avoir agi sous une forme de contrainte : ne pouvant "obtenir l’accès au domaine d’Orofara" en raison d’une revendication exprimée par la famille Pomare il aurait décidé de passer ces conventions pour régler le problème. Emile Vernaudon pointait aussi du doigt, dans cette réponse à la CTC, une procédure d’autorisation d’occupation du domaine public administrativement inachevée. En somme la municipalité expliquait avoir préféré faire foi au "relevé cadastral datant d’une vingtaine d’années" que lui présentait les contestataires plutôt qu’à la validité de l’arrêté CM délivré par le Pays.

La CTC s'est étonné de la prise en compte par la commune de cette contestation, alors que les éléments sur lesquels elle reposait ne lui paraissent pas susceptibles de remettre en question la propriété de la Polynésie française, sur les terrains en cause. La Chambre a au demeurant souligné dans son rapport que "la plus élémentaire prudence aurait dû conduire la commune à se faire produire les certificats hypothécaires concernant M. Pascal Pomare ou la société Tuavira visée dans la convention du 4 mars 2003". Ces documents, destinés à recenser les propriétés foncières de la société, ont été obtenus par la Chambre le 31 juillet 2005. Ils portent la mention "néant"… Mieux, cette société, loin d’être un SCI, déclarait une activité commerciale liée au secteur de l’aquaculture et de la pisciculture.

Le procès de cette affaire, programmé début avril dernier au lendemain des municipales, avait dû être reporté, à la demande de la commune de Mahina, constituée partie civile par l’équipe Jamet. L’instruction à l’audience a été renvoyée à ce mardi 7 octobre. Ce procès tentera de détricoter les éléments d’une affaire finalement assez caractéristique du mode de gestion de la commune des "sheriff", lorsqu’Emile Vernaudon en était le premier magistrat.

Rédigé par JPV le Lundi 6 Octobre 2014 à 14:54 | Lu 1800 fois