Chili : Il faut sauver le cactus roi !


Sur certaines pentes du désert andin, les cactus montent la garde, comme une armée de guerriers muets.

Tahiti, le 5 juin 2020 - Le cocotier, en Polynésie, est l'arbre providentiel. Au Pérou, au Chili, en Bolivie, dans le grand désert andin, c'est un cactus qui tient ce rôle, le “cardon”. Mais il est aujourd'hui menacé par la convoitise des hommes…

 

3 200 m : la pente est pelée à l'infinie. Derrière elle, dominant de ses presque six mille mètres le paysage, le Licancabur dresse toute sa masse de scories et de cendres. Devant, à droite, à gauche, partout, des touffes d'ichu, une herbe que guanacos sauvages et camélidés d'élevage (lamas et alpacas) se partagent en gardant leurs distances.

Où diable sont ces cactus géants ? Sinon au plafond des églises de la région où leurs troncs mal dégrossis servent de poutres ?


Des cactus par centaines

Aucun insecte, aucun reptile, aucun oiseau et aucun mammifère n'a accès à la chair gorgée d'eau du “cardon”.

-       Les cactus, tu les verras quand tu seras dessus.

Pedro, le chauffeur nous avait prévenu, mais l'information restait floue. Nous supposons que son « quand tu seras dessus » signifie que nous ne les verrons qu’à la dernière minute.

-       Tu sens l'eau ?

La question  de notre guide est saugrenue et nous fait sursauter. Nous roulons en plein désert. L’un des plus arides du monde. Sable, pierres, rochers, cailloux.

-       De l'eau ? Où tu vois de l'eau ?

-       Je ne la vois pas, je la sens. D'ailleurs, écoute…

Pedro a arrêté la guimbarde. La chaleur fait vibrer les touffes d'herbe, le sol calciné n'a pas vu de pluie depuis des mois ; pas le moindre “glou-glou” n'est perceptible.

-       Tous les Gringos sont pareils. Vous n'entendez rien, vous ne sentez rien. Nada !

-       Roule, il fait trop chaud comme ça !

-       Regarde, là devant, tu ne vois pas la faille ? En bas de la quebrada, il y a de l'eau, tant que tu en veux, des roseaux et des cactus géants par centaines.


Un paysage époustouflant

En vieillissant, le “cardon” a tendance à se ramifier. Ambiance western…

Un coup de volant nous fait quitter la piste. Nous plongeons dans une large faille du relief. Quelques secondes après, c'est une carte postale d'oasis qui s'offre à nos yeux : des roseaux, des cactus, de l'herbe même et, cerise sur le gâteau, de l'eau. Pas un mince filet, non, un vrai ruisseau gargouillant entre les pierres. Déchirant la roche brûlante, le cours d’eau qui s’est creusé une minuscule vallée serpente au milieu du désert, surgi là on ne sait comment.

-       Attention aux serpents Gringito. Tu es botaniste, pas spécialiste des animaux sauvages… Et sous les pierres, il y a des scorpions et des araignées.

Botaniste, nous ne le sommes pas vraiment, mais comme le but des 80 dollars de notre excursion est de voir des cactus de près, notre guide pense que nous sommes forcément d’éminents spécialistes... Qui irait gaspiller une telle somme seulement pour admirer ces cactus ?

Pedro reste dans sa voiture et se roule une cigarette. Tranquille. Il a fait le job et n’en fera pas plus.

Autour de nous, le paysage est époustouflant de majesté : des dizaines et des dizaines de cactus cierges se dressent sur les flancs du vallon, créatures que l'on imagine parfaitement insensibles au froid glacial comme à la pire chaleur. Ils semblent nous regarder avancer vers eux. Bras figés, il ne fait pas l'ombre d'un doute qu'ils nous observent attentivement. Nous sautons de pierres en rocs pour mieux les voir. Pas de sonnette, pas de serpents, mais nous restons vigilants.


Tout est bon dans le “cardon”

De jeunes spécimens de “Trichocereus atacamensis”.

La fascination que le “cardon” exerce sur le visiteur est facile à expliquer : le plafond de l'église de San Pedro de Atacama, datant de 1641, est en poutres faites du bois de ce cactus géant. Dans les Andes, les portes d'innombrables vieilles bâtisses “coloniales” et les toits d'autant de chapelles sont faits dans ce matériau, de même que de nombreuses pièces de mobilier. Avec ses aiguilles, qui peuvent atteindre dix centimètres de longueur, les Indiennes cousaient les étoffes en laine de lama. Le fruit, la “pasacana”, sphère verte de trois à quatre centimètres, est consommé jusqu'en Argentine. Bref, dans ce cactus dont la chair est un énorme réservoir d'eau, tout est utile pour l'homme qui, malheureusement, a mis l'espèce en danger.

Les haches, plus récemment les tronçonneuses, ont commis un peu partout l'irréparable. Des colonies entières de ce symbole de l'Amérique andine ont disparu. Aujourd'hui, le cardon fait l'objet de mesures de protection au Chili. Peut-être insuffisantes, mais elles ont le mérite d'exister.

Il reste, pour bien faire, à interdire le commerce de son bois sur les marchés à touristes de ces régions : séché, il sert à confectionner des plats, des bols, des coupes et autres babioles, autant de souvenirs parfaitement inutiles, forcément prélevés sur des stocks allant en s'amenuisant.


Un signe de croix plus tard…

Dans le désert, là où coule de l'eau, les roseaux ne sont jamais loin…

Nous passerons un après-midi entier dans la minuscule oasis, gardée par son armée de cactus cierges. Aucun ne bougera, mais tous nos gestes auront été surveillés de près par les grandes sentinelles aussi piquantes que muettes.

17h30, nous réveillons Pedro.

-       Alors Gringito, tu as aimé les cardones ? Tu sais, il y en a même qui disent qu'ils bougent, qu'ils sont vivants, comme toi !

-       Évidemment qu'ils bougent…

-       Tu les as vus bouger ? Madre de dios, c'est le vent !

-       Non Pedro, le vent ne fait pas bouger les cardones, mais les cardones bougent.

-       Ils bougent vraiment ? Tu es loco, Gringito ?

-       Ils bougent je te dis. Et ils te voient…

Un signe de croix plus tard, la vieille carriole s'extraie de la quebrada et file sur la piste, direction DSan Pedro de Atacama.

Les cardones ont gagné, ce jour-là, un protecteur fervent. Peu de chances que Pedro, bouleversé par la révélation du “Frances”, ne vienne s'attaquer à la petite “forêt du désert”…


Le “cardon” pratique

Aux pieds de ces “cardones”, une touffe de cactus surnommés “coussins de belle-mère”. Sur la planète, tout ce qui pique et qui est rond porte le même surnom…

Le cactus “Trichocereus atacamensis” (du grec “thrix”, poil, désignant les soies du tube floral) est aussi appelé “Echinopsis atacamensis” (du grec “echinos”, oursin). On le trouve au sud du Pérou, au nord et Chili et en Bolivie (8 m maxi de hauteur, 1 m de diamètre). De belles colonies existent autour de San Pedro de Atacama, dans le désert du même nom.

Pour y aller Vol une fois par semaine Papeete-Santiago du Chili avec Latam, puis connexion à Santiago sur Calama. Liaison par la route entre Calama et San Pedro de Atacama.
 

Pour y rester Réserver votre hôtel à l’avance, il y a foule à San Pedro. Le style de ce gros village nous fait vous conseiller des formules d’hébergement plutôt haut de gamme (à prix très abordables). Une bonne adresse, l’Hosteria San Pedro (Prévoyez une semaine de séjour à San Pedro pour voir le minimum).


Pour observer des cactus Vous en verrez forcément au fil des excursions dans la région de San Pedro. Mais si vous souhaitez avoir le temps de découvrir cette plante, louez une voiture avec son chauffeur au départ de San Pedro. Un Gringo passionné de cactus, ça surprendra, mais de beaux billets verts, ça ne se refuse pas. Sinon en effectuant l'excursion au geyser d'El Tatio, vous en verrez au retour. Demandez au guide de marquer un stop.
 

Pour garder la forme Au-dessus de 4 000m, on peut ressentir (parfois violemment) les effets du « soroche » (le mal des montagnes). Boire peu d’alcool, ne pas fumer et consommer beaucoup de mate de coca si possible (vendu comme le thé, en sachets). L’hydratation est essentielle et il n’y a pas d’eau potable une fois sorti de San Pedro. Prévoir des réserves suffisantes.


Pour visiter la région de San Pedro Surtout ne pas louer de voiture à Calama. Seul, vous allez manquer les trois-quarts des choses intéressantes. Faites toutes les excursions classiques avec des agences locales. Et retournez ensuite là où vous avez envie d’aller en louant une voiture sur place.

 

Pour tout savoir Consultez le guide “Travelling Tips, San Pedro de Atacama” (en anglais et en espagnol, avec carte détaillée), en vente partout au Chili, et notamment à l’aéroport de Santiago. L’essentiel y figure. Sinon, le site https://passportjoy.com/san-pedro-de-atacama-tips/ est très complet.


Les poutres, les poutrelles et les planches du toit de l'église de Chiu Chiu sont toutes faites en bois de cactus cierges.

Jeux de lumière dans l'église de San Pedro de Atacama, au nord du Chili, entre les coffrages et le plafond, tous réalisés en bois de cactus.

Un peu d'eau, c'est la certitude de trouver une masure et son troupeau de lamas. Celui-ci n'était pas décidé à cracher, ce dont nous lui sommes encore reconnaissant…

Rédigé par Daniel Pardon le Jeudi 4 Juin 2020 à 14:14 | Lu 5413 fois