Chaque jour, trois femmes victimes de violences au fenua


La question des violences conjugales a fait l'objet d'un atelier spécifique, cette semaine lors des assises de l'aide aux victimes et de la prévention de la délinquance en Polynésie française, organisées par l'APAJ.
PAPEETE, le 25 novembre 2016 - C'est aujourd'hui la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, un combat toujours tristement d'actualité en Polynésie française.

"Les violences ou atteintes volontaires à l’intégrité physiques des personnes ont doublé sur les dix dernières années et représentent aujourd’hui plus de 2 500 faits par an" faisait remarquer le conseil de prévention de la délinquance en Polynésie française dans son plan d'action, dévoilé en mars dernier. Sur ces 2 500 faits de violence, plus des deux tiers, soit 70 %, étaient commis dans le cercle familial.

En resserrant encore plus l'analyse, une étude spécifique sur les violences faites aux femmes a permis de faire ressortir qu'avec plus de 1 200 faits de violences par an sur des victimes de sexe féminin, plus de trois femmes sont violentées chaque jour au fenua. Un taux largement supérieur à celui de la métropole de plus de 2, 3 faits rapportés à 10 000 habitants, pour les seules données de la gendarmerie, contre "seulement" 0, 57 faits à population égale.

Sur les quelques 1 860 atteintes volontaires à l'intégrité physique recensées par la gendarmerie en 2015, 623, soit 67 %, étaient des violences faites aux femmes. Gendarmerie et police nationale confondues, le chiffre global est porté à 775 faits sur l'année. "Entre les regards et les coups, il manque une étape, et c'est le dialogue, les gens ne se parlent pas" a relevé à ce sujet le commandant Thierry Damerval, officier adjoint chargé de la police judiciaire au commandement de la gendarmerie, invité à s'exprimer sur la problématique des violences conjugales cette semaine à l'occasion des assises de l'aide aux victimes et de la prévention de la délinquance.

Conjoints violents et alcoolisés

"On n'accepte pas la discussion et que l'autre ne soit pas d'accord", poursuit l'officier en précisant un détail important : "Dans plus de 80 % des cas de violences conjugales, l'acte est commis par le conjoint violent sous l'emprise de l'alcool". Difficiles à évaluer, car les violences conjugales bénéficient encore du silence de l'entourage, de la famille, des voisins et de la victime, souvent tiraillée entre la honte, la dépendance financière ou même affective, les violences faites aux femmes portent en elles un chiffre noir.

L'évolution à la hausse des procédures pour violences conjugales laissent néanmoins penser que celui-ci serait en diminution, même si "le dépôt de plainte dans le contexte conjugal est encore loin d’être systématique, notamment dans les archipels" relève le conseil de prévention de la délinquance en Polynésie française. Rappelons que si le dépôt de plainte est la règle, il n'est pas la condition nécessaire, pas plus que de fournir un certificat médical attestant de violences, pour que la gendarmerie ou la police ouvre une enquête.

Érigée en cause nationale par les politiques métropolitaines, la lutte contre les violences conjugales est par ailleurs portée au parquet de Papeete par un magistrat référent ayant pour instructions de traiter prioritairement ces dossier "en temps réel".

Une page Facebook pour se signaler en projet

Les sanctions peuvent aller d'un simple rappel à la loi pour les cas les plus simples au déferrement après garde à vue et jugement en comparution immédiate pour les plus graves. Entre ces deux extrémités répressives, des groupes de parole sont aussi organisés et animés par l'association polyvalente d'actions judiciaires de Polynésie française (APAJ) pour faire entrer les auteurs de violences faites aux femmes dans une démarche d'analyse de leur comportement. Pour l'instant, l'auteur doit demander de lui-même et manifester sa volonté d'y participer mais le parquet réfléchit à un moyen de le lui imposer.

Le conseil de prévention de la délinquance en Polynésie française a pour sa part émis plusieurs recommandations pour endiguer ce fléau, telles que l'animation du réseau des référents violences conjugales dans les communes, la création d'une adresse électronique permettant de saisir directement le procureur et deux pages d’information Facebook à destination des mineurs et femmes victimes de violences, la transmission sans délai des signalements de violences conjugales au Procureur qui ne pourront plus faire l’objet d’une simple main courante. Il souhaite également augmenter les ordonnances de protection délivrées par le juge aux affaires familiales ainsi que les capacités d’assignation à résidence du conjoint-violent évincé, notamment dans les foyers d’accueil d’urgence.

Le déploiement l'année prochaine des téléphones grave urgence (TGV, lire ci-dessous) est également attendu.

20 "Téléphones grave danger" (TGD) attendus pour 2017

(DR)
Déployé en France métropolitaine depuis septembre 2014 et après 4 ans de test, le "Téléphone grave danger", ou TGD, commence progressivement à s’étendre dans les Outre-mer. Il est attendu pour 2017 en Polynésie française. Le TGD est un dispositif dans le cadre duquel le procureur de la République décide de l’attribution d’un téléphone à des femmes identifiées comme étant en très grand danger, afin de leur permettre d’accéder aux services de police ou de gendarmerie de manière prioritaire. Le dispositif est subordonné aux conditions suivantes : pas de cohabitation entre la victime et la personne mise en cause, et interdiction judiciaire pour cette dernière d’entrer en contact avec la victime avant et après la condamnation. La victime doit être consentante pour bénéficier du terminal qui lui permettra d'appeler prioritairement les forces de l'ordre à l'aide.

Lorsque l’attribution du téléphone est décidée, le procureur de la République communique des fiches navette, reprenant les informations concernant le bénéficiaire, aux différents partenaires (téléassistance, forces de l’ordre et association d’aide aux victimes). Le téléphone est attribué à une personne pour une durée de 6 mois qui peut être renouvelée. Néanmoins, le dispositif n’a pas vocation à se substituer aux autres actions judiciaires ou aux forces de l’ordre pour assurer la sécurité des citoyens, et en particulier des femmes victimes de violences conjugales. Il doit en conséquence être retiré soit lorsque cesse la situation de danger, soit à raison d’une incarcération de l’auteur, soit à la demande du bénéficiaire, soit à la demande du parquet, après avis du comité de pilotage, en cas de non-respect des consignes et règles d’utilisation qu’imposent ce dispositif.

Par la simple activation d’une touche se trouvant à l’arrière du téléphone, un dispositif dirige l’appel vers une plateforme de téléassistance qui dispose de toutes les informations utiles relatives à la victime. Le service de téléassistance identifie le danger, les lieux et la situation de la victime. Les forces de police ou de gendarmerie sont alors contactées afin qu’une patrouille soit envoyée sans délai auprès de la victime afin de la mettre en sécurité, et procède, le cas échéant, à l’interpellation de l’auteur.

Vingt téléphones de ce type devraient être mis en service en Polynésie française courant 2017. Les financements sont trouvés et le programme en est au stade des discussions avec les opérateurs téléphoniques.

Source : ministère de la Justice

Des spots à la télé

Dans le cadre de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, les élèves en communication audiovisuelle du lycée Saint-Joseph de Pirae ont réalisé quatre modules d’1 minute 30 secondes traitant de la violence au fenua, dont un module concernant les violences conjugales :

- "A la folie" : violence dans une relation amoureuse chez les jeunes (de la jalousie aux disputes et la violence physique).
- "La goutte de trop" : violence intrafamiliale et l'impact direct sur l'enfant.
- "Aidez moi" : harcèlement en milieu scolaire menant au suicide
- "Et si c’était toi" : Harcèlement et racisme en milieu scolaire.

TNTV diffusera ces quatre modules trois fois par jour jusqu'au 3 décembre prochain à 8h45, 10h55 et 17h25.


"J'ai peur qu'un jour il me tue", tremble une jeune femme battue

Coups répétés, relations sexuelles imposées, jalousie maladive, la jeune victime a expérimenté tout le catalogue des violences faites aux femmes. (Archives)
Hasard du calendrier, un douloureux dossier de violences conjugales était jugé hier en comparution immédiate devant le tribunal correctionnel. Deux ans et demi de violences quotidiennes condensées en une heure d'audience.

Le prévenu est tout jeune. A peine 23 ans. Mais déjà 11 condamnations au casier judiciaire. La dernière pour violences par conjoint remonte à 2015. Il était donc hier en état de récidive légale. Une peine maximale de 10 ans de prison encourue pour avoir une fois encore passé ses nerfs sur sa compagne, frêle petite vahine du même âge que lui. Par deux fois, les 22 octobre et 2 novembre dernier, la moutarde est montée au nez du tane.

Il avait trop bu, il regrette, dit être jaloux : "Je l'aime trop". Elle a finalement décidé d'en finir avec cette relation, s'est constituée partie civile à l'audience. Le tribunal a donné lecture de ses déclarations devant les enquêteurs de la gendarmerie : "Je ne veux plus vivre avec lui, sa violence est de plus en plus forte, j'ai peur qu'un jour il me tue". Les deux fois, la malheureuse a encaissé une avalanche de gifles au visage, des coups de poing à la tempe. Dix jours d'incapacité totale de travail (ITT). "J'ai déjà été évasanée quatre ou cinq fois à cause des coups. Après chaque bagarre je vais me réfugier chez mes parents. Mais il vient à la maison pour me récupérer. Et je le suis sinon j'ai peur qu'il me frappe".

Frappée pendant sa grossesse

Mais il frappe quand même. Y compris quand elle était enceinte de leur enfant âgé d'à peine 4 mois aujourd'hui. Le jeune homme n'en a pas fini avec la justice puisqu'il sera jugé pour cela en décembre prochain. "Il ne veut pas que je sorte, même pas pour faire les courses. Dès notre rencontre il y a deux ans et demi il s'est montré très violent. Il m'impose des relations sexuelles, quand il a envie il faut que j'accepte sinon je me fais frapper".

A la barre, le jeune homme reconnaît les accusations de la jeune femme, regrette, veut en finir avec ses problèmes d'alcool, rêverait d'avoir un travail. Rejeté par sa famille qui l'aide tout de même encore un peu, il vit sous une tente sur une plage de Fare à Huahine. Il aimerait se faire suivre plus régulièrement "mais c'est compliqué parce qu'il faut aller à Tahiti". Il a déjà été condamné pour des violences sur sa précédente compagne.

"On a tout essayé avec lui", constate froidement le procureur de la République Hervé Leroy. 30 mois de prison ferme avec maintien en détention à Nuutania sont requis. Le jugement a été rendu en fin de journée.

Rédigé par Raphaël Pierre le Vendredi 25 Novembre 2016 à 05:00 | Lu 2230 fois