Chambre territoriale des comptes : Papeete sous surveillance


Le conseil municipal de Papeete s'est réuni exceptionnellement, mardi soir, sous le fare potee des jardins de la mairie en raison de travaux en cours dans la salle du conseil.
PAPEETE, le 23 septembre 2015. La chambre territoriale des comptes (CTC) a rendu public ce mercredi un rapport d'observations définitives de la gestion de la commune de Papeete entre 2010 et 2014. Le rapport pointe des résultats budgétaires "critiques" en raison notamment du poids des charges de personnel, la hausse de l'endettement, le déséquilibre de certains comptes, comme celui du traitement des déchets.

Le dernier rapport complet sur la gestion municipale de Papeete datait de 2011 et notait déjà "la fragilité de la situation budgétaire de la commune". A peine quatre ans plus tard, la Chambre territoriale des comptes est de retour pour une analyse fine de la capitale polynésienne et ne peut que constater que "les recettes, en grande partie assises sur l’activité économique du territoire, ont eu tendance à diminuer". Forcément la crise économique est passée par là et se ressent forcément sur les masses budgétaires de la commune. A tel point que le rapport indique que, "les résultats budgétaires sur la période 2010-2014 ont placé Papeete dans une situation critique". La CTC note que le fonds de roulement –les réserves budgétaires de la commune- a été fortement réduit passant de 1,2 milliard de francs fin 2010 à moins de 650 millions de francs fin 2013. Dans ces conditions, "la trésorerie de la commune souffre de l’effet conjugué des impayés et des déficits accumulés".

A un point tel que Papeete a eu recours à un emprunt de 400 millions de francs en 2014 puis a obtenu auprès de la Socredo l'ouverture d'une ligne de trésorerie de 660 millions de francs en 2015. Corollaire inévitable de ces appels aux établissements financiers de la place, l'endettement est en hausse "fin 2014, l’endettement était supérieur à 2 milliards de francs, correspondant à son plus haut niveau depuis au moins 10 ans". La conclusion de cette analyse budgétaire par la Chambre est sans concession, "sans une maîtrise particulièrement rigoureuse de ses dépenses, la commune pourrait rapidement être confrontée à un risque de surendettement". Ce que conteste le tavana de Papeete et son directeur général des services qui estiment que l'endettement à 2 milliards de francs est une constante depuis plusieurs années.

L'IMPORTANCE DES CHARGES DE PERSONNELS

En dépit des alertes émises déjà par la chambre territoriale des comptes dans ses deux précédents rapports en 2004 et 2011, les dépenses de personnels de Papeete restent trop importantes par rapport à ses recettes. Et ce d'autant plus que sous l'effet de la crise économique celles-ci ont baissé de 940 millions de francs entre 2009 et 2014. "Avec 56 % des recettes de fonctionnement consacrées à la masse salariale, les marges de manœuvre de la commune de Papeete étaient déjà très limitées en 2009. Le contrôle conduit en 2015 montre que malgré certains efforts, les dépenses liées aux charges de personnel n’ont pas diminué. Au contraire, dans les comptes de l’exercice 2014, la part des dépenses de personnel sur le total des recettes de fonctionnement atteignait même 64 %".

A ce constat à charge, le maire de Papeete répond que les cotisations sociales ont connu une forte hausse dans l'intervalle, aussi tous les efforts effectués pour baisser le nombre d'agents communaux (passés de 580 en 2009 à 531 personnes en 2015) ont gommé les effets de cette réduction du personnel (voir en interview ci-dessous). Avec une cinquantaine de personnes en moins dans l'effectif communal, les charges de personnel sont stables, la chambre estime qu'une suppression de postes équivalente devra se poursuivre d'ici 2018 "si elle souhaite stabiliser sa masse salariale".

La commune de Papeete est également pointée du doigt par la CTC pour sa très faible implication dans la mise en œuvre de la fonction publique communale. Il faut dire que les conditions de cette intégration pour les agents non titulaires (Anfa) sont particulièrement peu avantageuses pour les personnels concernés. Les employés communaux de Papeete bénéficient d'acquis sociaux et d'une ancienneté "qui ont amené nombre d'agents à percevoir une rémunération sensiblement plus élevée que celle à laquelle il pourrait prétendre une fois positionné sur le même emploi dans le cadre de la fonction publique communale" admet le rapport de la CTC.

Dans les faits, les agents qui seraient intégrés auraient droit à une indemnité compensatrice qui diminuerait progressivement en fonction de l'avancement des agents sur la grille de rémunération de la fonction publique communale "conduisant de facto à un gel de la rémunération perçue". Or, à la mairie de Papeete, 40% de l'effectif communal est âgé de plus de 50 ans et se retrouverait avec une rémunération gelée jusqu'au départ en retraite. La Chambre territoriale des comptes écrit même "les agents avec une ancienneté moyenne de 27 ans et un salaire mensuel moyen proche de 400.000 francs n’ont aucun intérêt financier à intégrer la fonction publique communale". On comprend mieux avec cette illustration concrète le fiasco de la création d'une fonction publique communale en Polynésie.

Pour lire le rapport d'observations définitives sur la commune de Papeete de la Chambre territoriale des comptes, CLIQUER ICI

INTERVIEW DE MICHEL BUILLARD "Il y a eu un appauvrissement de la commune"

Interrogé, mardi soir, à l'issue du Conseil municipal où une présentation rapide du rapport de la chambre territoriale des comptes a été effectuée, le maire de Papeete Michel Buillard a tenu à rappeler quelques-unes des réponses qu'il avait transmises à la chambre. Au sujet de la masse salariale de la commune qui reste importante, il précise : "nous avons pris le parti d'une utilisation sociale des crédits publics, pour assurer la promotion sociale de nos enfants de quartier, c'est une volonté de l'ancien maire que j'ai poursuivie. Ils nous disent que nous n'avons pas suffisamment maîtrisé l'évolution des charges de fonctionnement. Les charges de centralité de la commune ne sont pas prises en compte, on doit s'occuper de 100 000 personnes la journée alors que nous avons des recettes qui sont assumées par 26 500 personnes".

Il indique aussi le poids de la crise économique. "On a eu une baisse de recettes de plus de 900 millions de 2010 à 2014 avec un non reversement des charges du FIP (fonds intercommunal de péréquation). Il y a quand même eu une crise qui est passée par là. On ne peut pas rester sur des critères normatifs sans tenir compte de la crise qui est intervenue. Techniquement, dans cette période-là, la masse salariale a baissé de 1,83% de 580 à 531 personnes. Par contre, il y a eu l'augmentation des cotisations de la CPS, des charges qui ne dépendent pas de nous. Aussi avec moins de salariés, on est juste arrivés à les stabiliser".

Au sujet de la mise en place fonction publique communale très peu engagée à Papeete, les responsables de la commune remarquent que les textes ne sont pas encore stabilisés (ainsi l'intégration obligatoire prévue à l'origine en juillet 2015 a été repoussée in extremis à juillet 2018). Par ailleurs, les personnels sont peu enclins à opérer cette intégration en raison de manques à gagner considérables sur les salaires à venir. "Je ne veux pas contrer ce que dit la Chambre, explique Michel Buillard, elle est dans son rôle, mais sur le plan social et politique j'avais déjà pris position à l'assemblée nationale sur ce sujet. J'avais demandé à Marie-Luce Penchard de reporter la réforme après les élections, on ne m'a pas écouté (…) Ce statut de la Fonction publique communale va devoir évoluer. Pour moi, ce qui m'avait interpellé c'est que ce statut repose sur des principes inconciliables : en droit du travail on a la garantie de la validation des acquis, et là dans cette intégration des personnels communaux on nous dit non, on va obliger ces gens à remettre tout à plat".

Charges de "centralité" mais intercommunalité inexistante

Papeete est une commune atypique, moins peuplée que ses voisines Faa’a ( 29 687 habitants) et Punaauia (27 613 habitants) mais devant assumer de nombreuses charges de centralité en raison de sa position de capitale d Polynésie française et de "poumon économique" du Pays. Sa place centrale l’oblige ainsi à dimensionner certains de ses équipements pour les quelques 130.000 personnes qui y passent chaque jour alors que la population communale n’était que de 25 769 habitants au recensement de 2012.

Dans son précédent rapport sur la gestion de la commune, la chambre relevait déjà cette situation centrale et indiquait que "Des surcoûts en résultent cependant, notamment pour certains services (sécurité incendie, police municipale, propreté de la ville, transports urbains…), mais ceux-ci, pour être justement appréciés, doivent être mis en relation avec l’insuffisante mutualisation des moyens qui peut être observée à l’échelle de l’agglomération".

Malgré cela, la chambre observe dans le rapport qui vient d'être publié l’absence d’établissement public de coopération intercommunale qui aurait permis de mutualiser avec d’autres communes les charges de centralité issue de cette situation. En 2015, la commune n’avait toujours pas menée de réflexion particulière sur la nature et le niveau de ces charges de centralité. La réflexion sur l’intercommunalité, qui permettrait de partager certaines de ces charges n’a pas non plus avancée.

La gestion des déchets trop subventionnée


En ce qui concerne le service public de gestion des déchets (ordures ménagères, déchets verts et encombrants) géré dans le cadre d’un marché public passé avec un sous-traitant, la Chambre territoriale des comptes a noté "un dysfonctionnement dans le processus de facturation / recouvrement en 2013". A peine 92 millions de francs de recettes enregistrés contre 323 millions sur chacun des deux exercices précédents. En 2014, la situation se stabilise néanmoins puisque le produit de la redevance pour les ordures ménagère s’est élevé à 410 millions de francs. "La chambre souligne toutefois que le niveau de la subvention d’équilibre versée par le budget principal au budget annexe pour les déchets reste stable mais à un niveau très élevé". Le besoin en subvention s’élève à 912 millions de francs sur quatre ans, soit 228 millions de francs par an en moyenne.

Les cinq recommandations de la CTC

• La commune de Papeete doit fiabiliser la qualité de son information comptable, notamment en ce qui concerne le principe d’annualité budgétaire.

• Afin de pouvoir continuer à rembourser ses dettes, à payer ses agents et ses fournisseurs dans les meilleures conditions possibles, la commune de Papeete doit prendre la mesure de sa situation financière générale et définir un plan de retour à l’équilibre réel des sections de fonctionnement de son budget principal et de son budget annexe.

• La commune de Papeete doit accentuer la réduction de ses effectifs et diminuer sa masse salariale notamment en réorganisant ses services et en respectant les principes de "cristallisation" des salaires des agents du cadre.

• La commune de Papeete doit entrer dans une démarche active de migration de ses personnels vers la Fonction Publique Communale (FPC). Ce processus devrait notamment passer par des campagnes d’explication, notamment en s’appuyant sur la disponibilité du centre de gestion et de formation (CGF).

• La commune de Papeete doit formaliser et mettre en œuvre des règles de contrôle interne lui permettant de s’assurer de la maitrise des risques associés aux régies.

Rédigé par Mireille Loubet le Mercredi 23 Septembre 2015 à 17:51 | Lu 1988 fois