Cellule d'espionnage de la Présidence : Gaston Flosse renvoyé en correctionnelle


Le 26 juillet 2003 à la Présidence du gouvernement, lors de la visite officielle de Jacques Chirac en Polynésie française.
PAPEETE, samedi 24 août 2013 - Le juge Philippe Stelmach vient de prononcer une Ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel (ORTC) dans l'affaire du SED. Cette cellule "secrète" d'espionnage de la Présidence, structure emblématique du climat polynésien des années 1990-2000, y apparaît comme l'une des incarnations de la dérive du "système Flosse" en ce temps-là.

Gaston Flosse, Jean Prunet, André Yhuel, Félicien Micheloni et quatre anciens agents du "Service d’étude et de documentation de la présidence du gouvernement", le SED, sont sous le coup de l'ORTC pour délit d’atteinte à la vie privée, suite à la plainte déposée par le journaliste Alexandre du Prel en 2005.

L’acte de procédure pénale a été motivé le 13 août dernier par le juge Stelmach, mettant un terme à huit ans d’instruction et en dépit du réquisitoire définitif de non-lieu prononcé en mars 2013 par le procureur de la République.

José Thorel avait alors justifié sa demande d’abandon des poursuites par le retrait des plaintes d’Oscar Temaru et Stanley Cross, le 5 janvier 2011, et par la prescription des faits dénoncés par le journaliste Alex du Prel, auteur d’une plainte en 2005 pour des faits commis de 1997 à 2004, soit pour certains actes plus de trois ans avant sa constitution de partie civile.

Mais, sur cette question de la prescription triennale, le juge d’instruction ne se range pas à l’avis du parquet et rappelle que "La Chambre criminelle considère que le délit d'atteinte à la vie privée est un délit commis dans la clandestinité et que le point de départ de la prescription de l'action publique ne commence à courir que lorsque tous les éléments de l'infraction ont été portés à la connaissance des victimes. En l'espèce, il est possible de considérer que le point de départ du délai de prescription pourrait commencer en 2004 lorsqu'un premier article de presse (Tahiti-Pacifique n° 162, oct.2004, NDLR) a évoqué l'existence du SED sans pour autant que les personnes concernées par les activités de ce service aient pu être précisément informées de ces faits", développe-t-il.

Le parquet annonce samedi 24 août qu'il ne fera pas appel de cette décision du juge instructeur. Le procès pourrait avoir lieu au cours du deuxième semestre 2014, compte tenu du calendrier judiciaire du Palais de justice de Papeete. (NDLR : la date du procès correctionnel est arrêtée le 23 mars 2015)

"Tout ceci est un non-sens juridique", a clamé l'avocat de Gaston Flosse, Me François Quinquis évoquant des anachronismes de procédure.

"Les yeux et les oreilles du président"

Oscar Temaru et Stanley Cross avaient été les premiers à dénoncer des faits d’espionnage les concernant, fin mars 2005. Ont très rapidement rejoint ce dossier les constitutions de parties civiles de Joinville Pomare puis d’Alexandre du Prel et de la juriste Annie Rousseau, qui ont fait l'objet d'un réquisitoire supplétif.

En ce qui concerne la dernière partie civile constituée dans ce dossier, l’instruction a établi qu’Alex du Prel a fait l'objet de surveillances et que des films ont été réalisés lors de ses déplacements à Papeete de 1997 à mai 2004. A deux reprises, les agents du SED ont fait des films à l'intérieur du Snack Roger et de la pizzeria Lou Pescadou en 1997 et en 1998.

Officiellement créé le 13 mai 1997 avec le chaste objet de "réaliser toute étude prospective dans les domaines économiques, scientifiques et culturels" le SED contrôlait en réalité une cellule de renseignements, le "bureau du manifeste", placée sous la direction d’un ancien de la DGSE André Yhuel, assisté d’un autre vétéran des services secrets français, Félicien Micheloni. Tous deux recrutés à Paris sur recommandation du ministère de l'Outre-mer et de proches du réseau Foccart.

Toutes les archives du SED ont été détruites en mai 2004 lors du changement de majorité du "Taui". Mais l'instruction a révélé que cette cellule d’espionnage est allée jusqu’à employer 19 personnes sous contrat cabinet, avec la fausse qualité "d'agent administratif ou de technicien". La mission première de ce service était de surveiller les opposants politiques de Gaston Flosse, certains de ses collaborateurs –dont Edouard Fritch–, mais aussi les maîtresses et l’ex-épouse du président, Tonita.

"Le SED était les yeux et les oreilles du président Flosse", a confessé au juge Redonnet son ancienne fidèle secrétaire, Melba Ortas, le 15 mars 2010.

L’instruction a établi que "Les agents prenaient des photographies et réalisaient des films et des enregistrements de conversations (...) dans des lieux publics ou privés. Ces éléments servaient à l'établissement de rapports quotidiens, rédigés sur les informations communiquées par Félicien Micheloni à André Yhuel puis remis par celui-ci à Gaston Flosse ou à son directeur de cabinet Jean Prunet", précise l’ORTC.

Aussi Gaston Flosse, Jean Prunet, André Yhuel et Félicien Micheloni, sont-ils renvoyés devant le tribunal correctionnel pour complicité par fournitures d'instructions du délit d'atteintes à la vie privée. Et en l’espèce pour avoir donné des instructions ayant conduit à la filature et l’espionnage du rédacteur en chef du magazine Tahiti Pacifique, entre autres victimes.

"L’Etat n’y a jamais fait objection"

Quatre "petites mains" du SED sont également visés par cette ordonnance de renvoi : Donata Tanetoa épouse Guignet, Tatiana Faua épouse Chan, David Anania et Clémentine Tauraa épouse Lenice sont présumés avoir en Polynésie française entre le 13 mai 1997 et le mois de mai 2004 commis le délit d'atteintes à la vie privée.

Félicien Micheloni a reconnu lors de l’instruction qu’Alex du Prel avait été l’une des proies du SED. Les filatures étaient organisées pour découvrir l’identité des informateurs du journaliste.

A Papeete, il se trouvait ainsi pris en chasse par un binôme, du matin jusqu’au soir, de sa descente du ferry jusqu’à son retour pour Moorea : discrètement filmé, ses discussions enregistrées, photographié en compagnie de ses rencontres.

Le soir de retour dans les locaux du SED, chaque binôme faisait un point à Félicien Micheloni et lui remettait les enregistrements.

Les informations étaient ensuite communiquées à André Yhuel qui en faisait une note d'information adressée à Jean Prunet, directeur de cabinet du président Flosse.

Gaston Flosse a été entendu puis confronté le 19 mai 2010 et le 1 mars 2011 au sujet de ces notes d’information et de l’activité du SED. "Nous avons cru bon avoir notre propre service", a-t-il expliqué aux enquêteurs, estimant avoir eu "besoin de renseignements pour mieux cerner la vie politique locale, les activités politiques de nos adversaires".

Il a aussi constaté : "l’Etat n’y a fait aucune objection".

L’enquête a en effet révélé que si à Tahiti l’activité de cette officine de renseignements était pour le moins tolérée par les représentants de l’Etat, à Paris son existence était connue depuis l’origine, rue Oudinot et sans doute au RPR.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Samedi 24 Aout 2013 à 09:45 | Lu 6069 fois