Célestine Hitiura Vaite replonge dans l’écriture


Au salon du livre 2022, à Tahiti.
TAHITI, le 25 janvier 2023 - Elle est installée à Rangiroa, sur les terres de sa grand-mère maternelle. Après avoir vécu des années en Australie où elle a donné naissance à quatre enfants qui font sa fierté, Célestine Hitura Vaite rédige son 4e livre, un recueil de témoignages des siens.

Elle est de retour au fenua. Célestine Hitiura Vaite, l’auteure de la trilogie L’Arbre à pain, Frangipanier et Tiare qui a connu un très grand succès, s’est installée à Rangiroa. “Je suis sur les terres de ma grand-mère”, explique-t-elle. Une femme de caractère, la mère de sa mère. Une femme d’affaires “indépendante” et “forte”. Elle sillonnait le lagon à bord de son kau, son bateau, pour son activité de coprah. “Je ne l’ai jamais connue, mais j’ai baigné dans l’histoire de cette femme extraordinaire qui repose en paix désormais sous un frangipanier au cimetière de Faa’a.”

Ses enfants sont en Australie où elle a fait sa vie. “Ils ont toujours su qu’un jour je rentrerais. Je ne voulais pas vieillir dans ce pays.” Elle ne voulait pas non plus s’installer dans le Faa’a de son enfance. “Il n’existe plus. Et je ne tiens pas passer mon temps à me plaindre.” Elle est aux Tuamotu pour une durée indéterminée. Elle écrit un nouvel ouvrage qui ne sera pas une fiction mais un recueil de témoignages des siens. En écrivant, Célestine Hitiura Vaite se reconnecte. “Je suis dans mon cœur, j’ai quitté le confort pour le déconfort, une petite voix m’a dit de venir ici.”



Souvenirs d’enfance

Célestine Hitiura Vaite est née à Papeete en 1966. De son enfance, elle garde des souvenirs variés comme les grandes réunions de famille, les tāmāra'a, les baptêmes, les communions, les confirmations, “quelque chose de très religieux”. Elle se rappelle que tout le monde parlait tahitien et qu’elle a été très jeune “accrochée à la lecture”. Elle avait huit ans quand sa marraine lui a mis entre les mains le livre de Charles Dickens, Olivier Twist. “Ce n’était pas joyeux”, admet-elle, “mais il m’a ouvert le cœur. Je ne savais pas avant de le lire qu’il existait des endroits pour accueillir les enfants sans parents et qu’on pouvait avoir si faim.” L’histoire lui a “fait pitié”, elle a formé sa relation aux autres, à ceux qui sont dans le besoin. “Je suis d’une famille on est tous comme ça, on s’entraide.”

Avec Genji et Turia.
Elle est allée à l’école à Sainte-Thérèse, au collège Anne-Marie Javouhey puis au lycée La Mennais. Elle n’a pas le souvenir d’avoir ou non apprécié l’école, “c’était quelque chose qu’on devait faire, voilà tout”. En revanche, elle sait avoir aimé tout de suite la philosophie. Elle a d’ailleurs obtenu un baccalauréat littérature et philosophie. Encore aujourd’hui, c’est une discipline qu’elle affectionne. Ses amis, pour la décrire à cette époque, disent qu’elle était “studieuse et marrante”. Elle a grandi avec le devoir de “ne pas faire honte aux autres”. Ce qu’elle a respecté au sein de sa famille puis, une fois en Australie, auprès de tout son entourage. “Je n’ai jamais fait honte, ni aux miens, ni à Tahiti, au contraire !

“J’avais un livre à finir”

Elle était en terminale lorsqu’elle a rencontré celui qui allait devenir son mari et le père de ses enfants. Une cousine, un soir, est venue la voir pour lui demander de l’accompagner à une soirée organisée par un surfeur australien. Célestine Hitiura Vaite a refusé l’invitation. “Je n’avais aucune envie d’y aller, j’avais un livre à finir, j’étais plongée dans le roman de Tolstoï, Anna Karenine.” La cousine est tombée amoureuse. “Elle m’a redemandé peu après de l’accompagner à une nouvelle soirée pour faire la traduction.” C’est alors que Célestine Hitiura Vaite a fait la connaissance de Michael Pitt. “Le fameux, un beau garçon de 26 ans.” Un Australien qui faisait du surf. Il était toutefois ce jour-là “un peu ridicule”. Il portrait un pareo “pour faire comme les Tahitiens”. Elle est malgré tout tombée sous le charme. “C’est bizarre les histoires d’amour.” Le couple a vécu ensemble dans “la maison en haut de la colline”. Cette même maison dont il est question dans le 2e opus de sa trilogie. “Je dis beaucoup de moi dans mes romans.”

Michael Pitt n’a pas eu l’autorisation de rester vivre en Polynésie, faute de visa. En 1984, à 18 ans, le couple est parti en Australie. “J’avais dans l’idée de me marier avec lui, dans son pays, puis de le ramener à Tahiti.” Ils ont réussi, non sans mal, à se marier. “Tout le monde pensait là-bas que je me mariais pour rester. Un magistrat hippy a accepté. Il était contre le gouvernement français. Après nous avoir écouté raconter que Michael n’avait pu obtenir de papiers à Tahiti, il accepté de nous unir”, s’amuse-t-elle.



Heimanu et Toriki.
Le couple est rentré en Polynésie, Célestine Hitiura Vaite avait à passer son baccalauréat. “Appelez-moi madame”, plaisantait-elle sur les bancs de l’école. Elle avait dans l’idée de se lancer dans des études de droit en France après le lycée. Elle visait le métier d’avocate. “Il y avait tant d’histoires dans ma famille, des histoires de terre notamment.” Mais elle est tombée enceinte. Ses plans ont changé. Elle a intégré l’École normale pour enseigner. “Mon fils Genji est né alors que j’avais 19 ans”. Sa fille Turia est arrivée deux ans plus tard. Quatre ans plus tard, son mari ne parvenant pas à monter un business, la petite famille est allée s’installer en Australie, dans le sud. “Je n’ai pas aimé Sydney, j’ai adoré Mollymook, la campagne, les plages. Il y avait peu de voitures mais plein d’oiseaux.” Là-bas, elle a eu deux autres enfants, Heimanu et Toriki.

Pendant huit ans, Célestine Hitiura Vaite s’est occupée de femmes ayant échappé à la violence domestique. “J’étais déjà féministe, cette expérience n’a fait qu’accroître mes principes à ce niveau.” Elle prenait soin de celles qui cherchaient de l’aide. “Je les accompagnais, une fois qu’elles étaient psychologiquement cicatrisées, je les aidais à trouver du travail.” Cette activité lui a permis de s’intégrer complètement dans sa ville d’adoption. “Là-bas, on m’appelle mama !” Elle aurait sans doute poursuivi cette activité si ses textes n’avaient pas connu tant de succès.

l’écriture à 29 ans

Célestine Hitiura Vaite dévore les livres depuis toujours, mais avant d’avoir 29 ans elle n’avait jamais pensé à l’écriture. Tout est parti de ce qu’elle nomme le “coup d’État” en Polynésie en 1995. Un soir, sa mère l’a appelée. En sanglot, celle-ci lui a raconté les émeutes. “Ils brûlent la ville”, disait-elle, “regarde la télévision”. Sauf que Célestine Hitiura Vaite n’avait pas la télévision. Elle a lu attentivement les journaux australiens, certains avaient envoyé des journalistes à Tahiti pour suivre les événements. “Je suis tombée sur cette phrase : ‘Tahitian’s have lost their culture'”, rapporte-t-elle encore indignée. Elle a pris la plume, couché 1 000 mots sur une feuille de papier qu’elle a envoyée au journal qui avait publié la phrase provoquant son indignation. “Ils l’ont diffusée dans son intégralité alors qu’ils avaient pour habitude de présenter seulement 250 mots de leurs lecteurs.”

Peu de temps après, “on m’a contactée pour savoir si je n’avais pas écrit de livre. C’est ainsi que tout est parti”. Au début, elle voulait juste “écrire quelques histoires, raconter”. Il y a eu un livre (2000), puis deux (2004), puis trois (2006). “On peut dire qu’ils viennent de nulle part.” La trilogie rédigée en anglais a trouvé son public. Elle a été publiée dans dix-sept pays. Elle a été traduite en français par Henri Theureau et éditée par Au Vent des îles. À propos de son écriture elle précise qu’elle aime la traduction littérale : “En français par exemple on dit ‘occupe-toi de tes oignons’, j’ai repris l’expression tel quelle. C’est peut-être ce qui a plu ?

Célestine Hitura Vaite a été amenée à voyager dans de nombreux pays pour présenter ses ouvrages. Elle a été sollicitée partout et par tous. Elle a animé de nombreux ateliers d’écriture en Australie, en particulier auprès de jeunes natifs “pour leur donner confiance”, pour qu’ils aient “leur voix”. Selon elle, c’est à eux de dire qui ils sont et ce qu’ils sont. “J’aurais toute la matière pour le faire, mais je refuse de prendre leur place.” Récemment, elle a en plus écrit un opéra intitulé Ihitai’Avei’a, star navigator. Elle vient de signer un livre avec Turia. “J’aime ce que je fais, je travaille tout le temps, je suis une workaholic.

Le temps a passé. Ses enfants ont grandi. Genji est plongeur démineur dans la marine nationale, “il est très médaillé”, Turia est ingénieure des mines, athlète, conférencière. Elle est très connue en Australie suite au grave accident qu’elle a subi en 2011. Elle a été prise par les flammes lors d’une course et a été brûlée sur presque 70 % de son corps. Une épreuve pour toute la famille. Heimanu “mon bad boys donne du bonheur aux gens”, il est producteur et ingénieur du son. Toriki, ingénieur électricien, est spécialisé dans le solaire. Ils grandissent encore, certains ont eux-mêmes donné naissance à des enfants.

Célestine Hitiura Vaite, elle, n’a pas dit ses derniers mots. Un jour, elle écrira ou fera écrire sa biographie, “car je crois beaucoup en ce genre littéraire, c’est toujours très inspirant”. Elle y racontera sa vie, ses réussites, mais aussi ses combats. “Je ne suis pas une princesse, la vie n’a pas toujours été rose.” Elle aimerait également écrire un recueil de poèmes en tahitien, une langue qu’elle étudie depuis cinq ans “et qui me sert bien ici à Rangiroa”. Sur son atoll, Célestine Hitiura Vaite poursuit le récit de sa vie. Libre et heureuse, elle se lance tout entière dans un nouveau chapitre.

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 25 Janvier 2023 à 17:30 | Lu 2129 fois