Cécile Gaspar, la bonne fée des tortues


Crédit : Te Mana o te moana.
TAHITI, le 21 septembre 2022 - Formée en métropole, Cécile Gaspar, vétérinaire, a plus d’une corde à son arc puisqu'elle a obtenu aussi un master en gestion d’entreprise et écrit une thèse. Elle vise, depuis toujours, les mêmes objectifs : sensibiliser aux problématiques environnementales et agir pour la planète. Elle est à l'origine, il y a très exactement 18 ans, de la création de l’association Te Mana o te moana.

Le 23 septembre 2004, Cécile Gaspar a fondé avec Richard Bailey Te Mana o te moana, ce qui signifie l’esprit de l’océan. Elle en est devenue depuis directrice de la stratégie et des programmes de conservation. Elle n’avait pas d’objectif précis, elle a d’abord envisagé de s’investir pour une association internationale de protection de l’environnement. Elle a finalement décidé de monter une structure en Polynésie.

Te Mana o te moana vise trois axes : l’éducation des scolaires et du grand public, la recherche et la conservation des tortues. Si elle vient au secours des tortues, c’est en raison d’un concours de circonstances. Cécile Gaspar a eu la possibilité de créer un centre d’accueil pour tortues blessées à la demande de la Direction de l’environnement en février 2004. Le centre devait être temporaire. Finalement il a grandi et l’initiative s’est inscrite dans le temps. Il répondait à un besoin. Il a été comme un point de départ.

Le petit centre d’accueil de tortues blessées construit à l’hôtel Intercontinental a rapidement grandi. Un bâtiment a été construit, une salle de classe a vu le jour, le lagon a été aménagé. “Nous soignons les tortues que nous gardons le temps qu’elles retrouvent leurs pleines capacités, puis nous les relâchons”, explique Cécile Gaspar. En 18 ans, pas moins de 600 individus ont pu bénéficier de ces soins. La moitié a été trouvée par des résidents, riverains… Parmi cette moitié, 70% a été impactée par l’humain (harponnage, ingestion de sac plastique, blessure…). L’association récupère par ailleurs des bébés tortues tout juste sortis du nid pour leur donner plus de chances de survie. Trois cents bébés ont pu être récupérés, ils ont été relâchés entre six mois et un an en fonction de leur état.

Crédit : te mana o te moana.
Depuis 2007, Te Mana o te moana travaille par ailleurs sur Tetiaroa. Elle réalise un suivi des tortues à la saison de la ponte entre septembre et avril. Une équipe composée de biologistes et bénévoles écume les plages de trois motu en permanence. De plus, dans le cadre de ses missions, l’association reçoit des classes (120 000 enfants en 18 ans), le grand public (30 000 résidents et touristes).

Donner la parole aux témoins

Pour souffler ses 18 bougies, Te Mana o te moana va mettre en valeur celles et ceux qui ont participé à sa construction, celles et ceux qui ont écrit une partie de son histoire. Ce sont les stagiaires, les bénévoles, les patentés et salariés qui continuent encore aujourd’hui à s’impliquer dans la protection de l’environnement. Leur passage au sein de l’association, quelle qu'en soit la durée, a renforcé leur décision de s’engager. “On leur a demandé un témoignage pour expliquer ce qu’ils faisaient, pour décrire leur motivation”, rapporte Cécile Gaspar. Les textes seront illustrés par des photos, l’une prise au moment de leur passage, l’autre aujourd’hui. L’ensemble sera mis en valeur sur les réseaux sociaux.

Crédit : Te Mana o te moana.
Cette idée a germé ces derniers mois. “Nous constatons depuis cinq ans, une augmentation significative d’engagement en faveur de l’environnement”, remarque Cécile Gaspar. Ces engagements sont associatifs mais peuvent aussi être créateurs d’entreprises. La dynamique, internationale, est en lien avec une prise de conscience grandissante. En 2009, Cécile Gaspar se rappelle avoir organisé un symposium à la mairie de Papeete sur le réchauffement climatique. L’organisation non gouvernementale (ONG) Alofa Tuvalu avait été invitée pour parler de son engagement et de la situation dans l’archipel. Alofa Tuvalu est née de la volonté de sauvegarder les îles de cette nation, l’une des premières menacées de submersion en raison des changements climatiques. L’archipel de neuf îles isolées dans le Pacifique Sud est le symbole de ce qui attend une partie du monde si rien ne change. Les représentants de Alofa Tuvalu, à Papeete, disaient que leur sol était détrempé, qu’ils ne pouvaient plus utiliser leur piste d’aéroport. Ils parlaient de réfugiés climatiques. “En Polynésie les réactions des élus ont été à l’époque : si l’eau monte, nous irons dans la montagne”, rapporte Cécile Gaspar en résumant grossièrement certains propos entendus. “Aujourd’hui, même les plus sceptiques admettent la situation, il y a une évolution.”

Comprendre la vie

Cécile Gaspar est née en 1966 en France. Elle est originaire de Bordeaux. Passionnée de chevaux depuis ses dix printemps, elle a toujours voulu travailler dans la biologie. “Je cherche à mieux comprendre la vie, à savoir comment cette vie s’est créée, comment les animaux et végétaux cohabitent.” Elle a trouvé le moyen de se “sentir utile”. Elle a opté pour un métier “de réparateur”. Elle voulait “trouver des solutions pour le vivant”. Elle s’est lancée dans des études vétérinaires sans véritable objectif. “Je voulais comprendre, je me suis : ‘je verrai plus tard quoi faire de toute cela’." Ses études ont duré de 1985 à 1989. Il n’y avait pas, alors, de spécialisation. Elle a effectué divers stages dont deux en parcs animaliers aux États-Unis. Il s’agissait de parcs aquatiques abritant des dauphins. Se demandant ce que les poissons et mammifères faisaient la nuit dans l’océan, elle a choisi comme sujet de thèse de comparer physiologiquement le dauphin et l’homme lors de plongée. Ce travail, bibliographique, l’a confortée dans son envie de travailler avec la faune sauvage et non de s’installer dans une clinique pour opérer des animaux de compagnie.

Cécile Gaspar est passionnée par les chevaux. Ici à Opunohu.
Acquérir des notions de chef d’entreprise

En parallèle à sa thèse vétérinaire qui a duré deux ans, elle a décidé de suivre un master en gestion d’entreprise. “Je trouvais qu’il me manquait des notions de chef d’entreprise. Or cela me paraissait indispensable pour entrer dans le monde professionnel.” Puis, “il a bien fallu que je travaille”. Elle a effectué des remplacements en clinique dans le Sud de la France. En 1991, elle est partie à la Réunion. “Cela m’a tellement plu que j’y serais bien restée si je n’avais pas eu d’opportunités en Polynésie.

En 1993, elle a rendu visite à son père installé à Moorea. Pour payer son billet d’avion, elle a travaillé à Tahiti. Le week-end, elle retournait à Moorea. Sur l’île sœur, à ce moment-là, le Dolphin Center créé par une association de vétérinaires américains se mettait en place. “J’aurais pu continuer à faire des remplacements, j’avais un bon salaire assuré, j’ai préféré m’impliquer à leurs côtés. J’ai appris énormément et rapidement”, résume Cécile Gaspar qui a eu alors l’envie de reprendre ses études.

Crédit : Alexis Rosenfeld.
Elle a démarré une thèse avec le Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (Criobe) en lien avec le centre national de la recherche scientifique (CNRS), en co-tutelle avec l’Université de Polynésie française (UPF). Elle a cherché à comprendre l’impact du nourrissage des raies par les excursionnistes de son île adoptive. Pour ce faire elle a réalisé un suivi acoustique des animaux. La question, posée dans le cadre de la construction du PGEM (2004), revenait à savoir si le nourrissage créait un déséquilibre alimentaire mais aussi social. “Car les raies ne sont pas des animaux qui vivent en groupe normalement.” L’étude de Cécile Gaspar a mis en évidence que les impacts constatés étaient réversibles. Le nourrissage a pu se poursuivre dans des zones limitées et choisies sur la base de ses travaux. Les recherches de Cécile Gaspar sur le sujet se sont arrêtées en 2008. En 2020, après le confinement, elle a pu se rendre en kayak sur le site des raies et requins. Il était déserté. Peu après, les bateaux sont revenus, raies et requins ont répondu présent. “Ils sont conditionnés par le bruit des moteurs.” Les animaux n’avaient pas été nourris depuis trois mois, ils étaient en bonne santé. Ils avaient donc repris leurs habitudes de chasse en l’absence de nourrissage.

Déménagement à Tahiti

Depuis la fermeture de l’hôtel à Moorea en 2020, des visites guidées sont proposées aux visiteurs. “Mais il s’agit, là, d’une phase de transition, nous déménageons à l’intercontinental Tahiti”, annonce Cécile Gaspar. Cela permettra de toucher un nouveau public et de réceptionner plus facilement les tortues blessées. “En effet, toutes ne viennent pas de Moorea. Elles arrivent par avion ou bateau des îles et transitent souvent à Tahiti.” Cécile Gaspar espère un nouveau lieu convivial pour le début de l’année 2023. Les objectifs de Te Mana o te moana et ses activités resteront inchangés malgré le déménagement.

En parallèle, Cécile Gaspar s’implique dans un autre secteur qui la touche : la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). “L’idée est d’aider les entreprises à accélérer leur transition”, précise-t-elle, ajoutant à cette occasion une nouvelle corde à son arc. Consultante, elle a travaillé avec la Chambre de commerce, d’industrie, des services et des métiers (CCISM) et le club Eper au développement d’un label Eco Fenua Engagé, gage de qualité environnemental.

Contacts :

FB : Te mana o te moana
Tél. : 40 56 40 11
Site internet de Te Mana o te moana

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 21 Septembre 2022 à 19:58 | Lu 1837 fois