Ce que le dernier recensement nous dit de la pauvreté


Tahiti, le 14 juillet 2024 – L’analyse, sous l’angle de l’équipement des ménages, des données du recensement général de la population de 2022 met en lumière une pauvreté résiduelle qui s’observe dans un foyer sur six en Polynésie. Mais les chiffres sont en légère amélioration sur dix ans.
 
C’est une étude qui mérite le détour. L’Institut de la statistique (ISPF) s’est intéressé aux données réputées exhaustives du dernier recensement général de la population de Polynésie française, pour jauger la situation de pauvreté des ménages polynésiens au regard du type de logement et des conditions de vie. Les données ont ainsi été scrutées à l’aune d’une méthode prônée par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc). Cette méthode s’attache à définir les caractéristiques d’un niveau de vie indigent en fonction du niveau d’équipement des foyers.
 
Pour son étude, l’ISPF a choisi de s’intéresser à huit critères, sur la base des données recueillies lors du dernier recensement général de la population : habitat précaire ; pas d’électricité ; pas d’eau courante ; pas de système d’évacuation des eaux usées ; pas de WC intérieur ; pas de baignoire ou de douche intérieure ; pas de cuisine ; pas de machine à laver. L’archipel des Tuamotu-Gambier n’a pas été pris en compte pour ne pas fausser les résultats, notamment en matière d’eau courante.
 
11 500 foyers sous-équipés
 
L’étude révèle que 1 100 ménages polynésiens cumulent cinq manques ou plus. Cela concerne au Fenua près de 4.500 individus qui résident probablement dans ce qui pourrait être un logement précaire sans WC intérieur, sans système d’évacuation des eaux usées, ni électricité, ni machine à laver et parfois sans cuisine. “Nos dernières enquêtes le montrent : il y a autour de 15% des ménages qui sont pauvres”, note Julien Vucher-Visin, le chef du département études et synthèses économiques à l’ISPF. “Cela représente 20% de la population et on sait qu’il y a autour de 1.000 à 2.000 ménages qui vivent dans des conditions très difficiles avec des seuils de pauvreté qui sont très bas. Cette approche-là nous conforte dans la perception qu’il y a une frange de la population – 1 à 2% des ménages – qui rencontre de très grandes difficultés dans sa vie quotidienne. Personne ne sera surpris que l’on observe des inégalités. Mais cette étude-là montre les inégalités les plus prononcées : celles que l’on ne voit jamais ; les petits effectifs ; celles que nos enquêtes par sondage ne nous permettent pas d’aborder aussi franchement.”
 
Cette analyse méthodique des données du recensement de 2022 constate en outre que 3% des ménages (autour de 9.200 Polynésiens) présentent deux manques et que 9% des ménages (près de 27.500 individus) en déplorent un. Selon les huit critères de cette étude sur l’indigence dans les foyers polynésiens, l’ISPF dénombre ainsi dans la collectivité (hors Tuamotu-Gambier) 38.500 individus qui vivent dans un logement (près de 11.500 foyers, soit 15%) où au moins un des huit items d’équipement est manquant.
 
En 2012, à méthode comparable, cette situation concernait 19% des foyers polynésiens (4 points de plus qu’en 2022), avec une part des ménages présentant au moins un manque qui s’est réduite en dix ans. L’Institut de la statistique note d’ailleurs que ce taux de 19% peut être rapproché du taux de pauvreté monétaire mesuré par l’enquête Budget des familles conduite en 2015. Cette autre étude statistique avait en effet établi que 18% des ménages polynésiens avaient des revenus les plaçant en-dessous du seuil de pauvreté monétaire.
 
“Les chiffres n’ont pas dérapé”
 
“On voit que les chiffres n’ont pas dérapé”, observe Julien Vucher-Visin. “Ils se sont même améliorés, en réalité. On peut donc imaginer que cette pauvreté ne s’est pas dégradée en dix ans. La situation de pauvreté en 2022 n’est ni plus marquée, ni plus intense qu’en 2012. Et cela n’est pas surprenant après sept années de croissance de PIB, entre 2013 et 2020.”
 
Mais les résultats de cette analyse semblent montrer, en dépit d’une croissance du PIB sur la période, une part résiduelle de la population qui peine à s’extraire de la pauvreté. Pour affiner cette photographie de la situation des ménages polynésiens, l’ISPF prévoit de conduire en 2025 une nouvelle enquête Budget des familles, après celle de 2015, en s’intéressant aux mêmes indicateurs statistiques qu’il y a dix ans. “Cela va nous permettre d’avoir des données monétaires. Et de voir quelle est l’échelle des revenus dans la population”, explique Nadine Jordan, la directrice de l’Institut de la statistique de la Polynésie française. “Et à partir de là, de mesurer le revenu moyen, le niveau de vie des personnes, de calculer le seuil de pauvreté et d’établir combien de personnes vivent en-deçà.”
 
Une auto-saisine au Cesec
 
Dans un tout autre domaine, le Conseil économique, social, environnemental et culturel (Cesec) a décidé en février dernier de se pencher, avec une vision transversale, sur les inégalités et la pauvreté en Polynésie. En 17 séances, l’institution a prévu d’auditionner divers organismes : l'ISPF, la Direction des solidarités (DSFE), l'Office polynésien de l’habitat (OPH), le service de l’emploi (Sefi) ou encore la Caisse de prévoyance sociale (CPS) ainsi que plusieurs associations de lutte contre les inégalités. Les conclusions de cette auto-saisine ont pris un peu de retard puisqu’elles étaient annoncées pour juin dernier. Mais, par ce biais, la quatrième institution entend défendre, comme l’expliquait la conseillère Maiana Bambridge en février dernier, “des recommandations et des préconisations, qui seront, je l'espère, soutenues et portées par les pouvoirs publics. Tout cela dans l'optique d'une future prise en charge de toute notre population. Celle qui ne s'exprime pas, celle qui reçoit des coups, celle qui n'a pas la chance des autres”.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Dimanche 14 Juillet 2024 à 12:16 | Lu 2930 fois