Tahiti, le 10 avril 2021 – Que cachait Paul Gauguin derrière la scène du Repas, son tout premier tableau à son arrivée en Polynésie ? Si 130 ans après sa composition, sa signification échappe encore au Musée d’Orsay, Christine Duchateau, une passionnée de la culture polynésienne, y voit, références à l'appuie, la cérémonie du Tehe. Soit, le rituel de la supercision.
Et si Le Repas de Gauguin n’en était pas un ? Si le Musée d’Orsay, où l’œuvre s'expose, reconnaît lui-même dans son descriptif que “cette nature morte savamment composée ne correspond à aucun repas réel”, il admet également que la signification de la scène lui “échappe encore” 130 ans après sa composition. Alors que cachait l’artiste phare du postimpressionnisme derrière cette œuvre ? Passionnée de culture et de langue polynésienne, Christine Duchateau est convaincue d’avoir percée le mystère : il s’agit de “la cérémonie de la supercision, appelée Tehe, en langue tahitienne”.
Réservé aux garçons âgés de 10 à 12 ans, le rituel marque le passage de l’enfance dans le monde des hommes (lire encadré). “Les Tahitiens étaient tous supercisés. C’était une condition indispensable, à l’époque, pour entrer dans la vie adulte et avoir des rapports sexuels. Ils se rendaient chez un spécialiste de la supercision par petits groupes”, note cette ancienne radiologue qui a exercé plus de 30 ans en Polynésie.
Pour en arriver à cette déduction, elle aligne une liste d'observations très précises. Il y a bien-sûr “la table et la nappe" qui "évoquent un autel et un rituel comme certains critiques d’art l’avaient déjà dit. La nappe blanche dans les rituels chrétiens aurait pour origine le linceul du Christ”. Or, les Polynésiens n’utilisaient pas de nappe blanche à l’époque et encore moins pour un repas d’enfant.
“Une tâche rouge à la base de la lame”
A gauche au premier plan, les bananes plantains symboliseraient des pénis. “Trois ont des extrémités jaune clair, en faveur d’une modification de l’extrémité car ils viennent d’être supercisés”. Mais il y a surtout la présence “d’une tâche rouge à la base de la lame du couteau” qui aurait servi à l’opération. Ainsi, chaque objet a une fonction bien précise. “Le ‘umete servait à rincer le sexe (…), la callebasse à transporter l’eau de source”, tandis que la présence de goyaves, évoque l’utilisation de “jeunes pousses” de l’arbre, jadis “utilisées en pâte sur la partie coupée et l’hémorragie cessait rapidement”.
La direction des ombres portées n'ont rien d'anodin non plus. “Protections divines qui président la cérémonie”, elles se dirigent toutes vers les enfants. Y compris celle du personnage en haut à droite. “L’ombre, dans la religion mā’ohi, est la projection sur la terre des pouvoirs divins, c’est pourquoi on plantait des arbres autour des marae, chaque dieu ayant son arbre (…) pour bénéficier de leur ombre”, rappelle Christine, voyant dans ce personnage “un esprit” qui “surveille de loin cette cérémonie”.
Plus discret, la frise de cerises au niveau du sommet des têtes des enfants attire son attention. Car le fruit qui n’existe pas en Polynésie. “La cerise, dans le dictionnaire des symboles de J. Chevalier et A. Gheerbrant, représente la vocation guerrière du samouraï japonais et du destin auquel il doit se préparer : rompre la pulpe rouge pour atteindre le dur noyau, en d’autres termes faire le sacrifice du sang et de la chair pour arriver à la pierre angulaire de la personne humaine”. C’est en l’occurrence “ce qu’il se passe dans la tête des enfants qui viennent de se faire superciser : ils quittent l’enfance et entrent dans le monde des adultes”.
Et si Le Repas de Gauguin n’en était pas un ? Si le Musée d’Orsay, où l’œuvre s'expose, reconnaît lui-même dans son descriptif que “cette nature morte savamment composée ne correspond à aucun repas réel”, il admet également que la signification de la scène lui “échappe encore” 130 ans après sa composition. Alors que cachait l’artiste phare du postimpressionnisme derrière cette œuvre ? Passionnée de culture et de langue polynésienne, Christine Duchateau est convaincue d’avoir percée le mystère : il s’agit de “la cérémonie de la supercision, appelée Tehe, en langue tahitienne”.
Réservé aux garçons âgés de 10 à 12 ans, le rituel marque le passage de l’enfance dans le monde des hommes (lire encadré). “Les Tahitiens étaient tous supercisés. C’était une condition indispensable, à l’époque, pour entrer dans la vie adulte et avoir des rapports sexuels. Ils se rendaient chez un spécialiste de la supercision par petits groupes”, note cette ancienne radiologue qui a exercé plus de 30 ans en Polynésie.
Pour en arriver à cette déduction, elle aligne une liste d'observations très précises. Il y a bien-sûr “la table et la nappe" qui "évoquent un autel et un rituel comme certains critiques d’art l’avaient déjà dit. La nappe blanche dans les rituels chrétiens aurait pour origine le linceul du Christ”. Or, les Polynésiens n’utilisaient pas de nappe blanche à l’époque et encore moins pour un repas d’enfant.
“Une tâche rouge à la base de la lame”
A gauche au premier plan, les bananes plantains symboliseraient des pénis. “Trois ont des extrémités jaune clair, en faveur d’une modification de l’extrémité car ils viennent d’être supercisés”. Mais il y a surtout la présence “d’une tâche rouge à la base de la lame du couteau” qui aurait servi à l’opération. Ainsi, chaque objet a une fonction bien précise. “Le ‘umete servait à rincer le sexe (…), la callebasse à transporter l’eau de source”, tandis que la présence de goyaves, évoque l’utilisation de “jeunes pousses” de l’arbre, jadis “utilisées en pâte sur la partie coupée et l’hémorragie cessait rapidement”.
La direction des ombres portées n'ont rien d'anodin non plus. “Protections divines qui président la cérémonie”, elles se dirigent toutes vers les enfants. Y compris celle du personnage en haut à droite. “L’ombre, dans la religion mā’ohi, est la projection sur la terre des pouvoirs divins, c’est pourquoi on plantait des arbres autour des marae, chaque dieu ayant son arbre (…) pour bénéficier de leur ombre”, rappelle Christine, voyant dans ce personnage “un esprit” qui “surveille de loin cette cérémonie”.
Plus discret, la frise de cerises au niveau du sommet des têtes des enfants attire son attention. Car le fruit qui n’existe pas en Polynésie. “La cerise, dans le dictionnaire des symboles de J. Chevalier et A. Gheerbrant, représente la vocation guerrière du samouraï japonais et du destin auquel il doit se préparer : rompre la pulpe rouge pour atteindre le dur noyau, en d’autres termes faire le sacrifice du sang et de la chair pour arriver à la pierre angulaire de la personne humaine”. C’est en l’occurrence “ce qu’il se passe dans la tête des enfants qui viennent de se faire superciser : ils quittent l’enfance et entrent dans le monde des adultes”.
Du fāfaru dans le ‘umete ?
Intrigué depuis toujours par le sens caché du tableau, c’est le collectionneur amateur et spécialiste de Paul Gauguin, Fabrice Fourmanoir, qui a piqué la curiosité de Christine Duchateau lorsqu’il la sollicite sur la présence éventuelle de fāfaru dans le ‘umete. “Il n’y a pas un seul morceau de poisson visible”, lui indique son amie de longue date. Idem pour l’eau de coco que les Polynésiens n’avaient pas l’habitude de mettre dans un ‘umete. Quant au lait de coco, il est bien trop blanc pour être associé au liquide en question.
Et que dire de la présence d’une jeune fille au milieu ? Pourrait-il s’agir d’un “mahu” ? interroge encore le collectionneur depuis sa résidence au Mexique. Au regard des dessins préparatoires (voire ci-contre), visibles dans Paul Gauguin, Génies et réalités aux éditions Chêne, il pourrait très bien s’agir tout simplement de trois garçons, juge Christine.
Le goût du mystère
Bien qu’aucune trace écrite ne puisse authentifier cette interprétation, Fabrice Fourmanoir, connu pour avoir débusqué de nombreux “faux Gauguin”, est convaincu que son amie et fidèle correspondante depuis plus de 20 ans, a vu juste. Il salue ainsi cette nouvelle interprétation, notamment pour des questions de cohérence. “C’est le premier tableau que Gauguin a peint à son arrivée en Polynésie et l’une des premières choses qui l’intrigue c’est bien la sexualité très libérée des Polynésiens, raconte le spécialiste. Et on le sait, “il a eu beaucoup de maîtresses polynésiennes, qui lui ont forcément parlé du Tehe, ce qui l’a marqué”. Le collectionneur souligne d’ailleurs que le tableau suivant de l’artiste, Iaorana Maria, s’inscrit dans une suite logique, présentant le même régime de fei. “Dans sa démarche artistique, il s’est dit qu’il allait entrer dans l’univers polynésien par l’initiation du Tehe”.
L’artiste “aimant et cultivant le mystère”, “aucun de ces objets ne se trouve là par hasard”, insiste Christine. Sa fascination pour la Polynésie, sa culture, ses anciens dieux et le sexe, on la retrouve d’ailleurs dans tous ses tableaux. “On comprend qu’il se soit intéressé au rite de la supercision qui allie toutes ces fascinations, conclut Christine Duchateau. Dès son arrivée en Polynésie en 1891, il a peint ce tableau qui illustre le Tehe, un rite exclusivement polynésien et comment le peindre dans toute sa force mais avec pudeur si ce n’est de manière symbolique ?”
Et que dire de la présence d’une jeune fille au milieu ? Pourrait-il s’agir d’un “mahu” ? interroge encore le collectionneur depuis sa résidence au Mexique. Au regard des dessins préparatoires (voire ci-contre), visibles dans Paul Gauguin, Génies et réalités aux éditions Chêne, il pourrait très bien s’agir tout simplement de trois garçons, juge Christine.
Le goût du mystère
Bien qu’aucune trace écrite ne puisse authentifier cette interprétation, Fabrice Fourmanoir, connu pour avoir débusqué de nombreux “faux Gauguin”, est convaincu que son amie et fidèle correspondante depuis plus de 20 ans, a vu juste. Il salue ainsi cette nouvelle interprétation, notamment pour des questions de cohérence. “C’est le premier tableau que Gauguin a peint à son arrivée en Polynésie et l’une des premières choses qui l’intrigue c’est bien la sexualité très libérée des Polynésiens, raconte le spécialiste. Et on le sait, “il a eu beaucoup de maîtresses polynésiennes, qui lui ont forcément parlé du Tehe, ce qui l’a marqué”. Le collectionneur souligne d’ailleurs que le tableau suivant de l’artiste, Iaorana Maria, s’inscrit dans une suite logique, présentant le même régime de fei. “Dans sa démarche artistique, il s’est dit qu’il allait entrer dans l’univers polynésien par l’initiation du Tehe”.
L’artiste “aimant et cultivant le mystère”, “aucun de ces objets ne se trouve là par hasard”, insiste Christine. Sa fascination pour la Polynésie, sa culture, ses anciens dieux et le sexe, on la retrouve d’ailleurs dans tous ses tableaux. “On comprend qu’il se soit intéressé au rite de la supercision qui allie toutes ces fascinations, conclut Christine Duchateau. Dès son arrivée en Polynésie en 1891, il a peint ce tableau qui illustre le Tehe, un rite exclusivement polynésien et comment le peindre dans toute sa force mais avec pudeur si ce n’est de manière symbolique ?”
Le Musée d’Orsay dans la boucle
Forte de ce faisceau d’indices et d’observations référencées, Christine Duchateau a d’ores et déjà soumis son interprétation au Musée d’Orsay. Dans un retour de mail, la conservatrice honoraire, Anne Pingeot, lui a indiqué que la lettre “fort intéressante” avait été confiée à Ophélie Ferlier-Bouat et Claire Bernardi, deux conservatrices spécialistes du peintre français.
Mais de l’avis de Fabrice Fourmanoir, pour qui “tout a commencé par des interrogations sur le sens caché de ce tableaux”, “une nouvelle interprétation du “Repas” nécessite un travail d'équipe de longue haleine. Il va falloir convaincre”. Ce qui peut prendre de longues années selon lui, avant d’espérer voir une modification du cartel (ou panonceau) sur laquelle apparaît la légende de l'œuvre.
Mais de l’avis de Fabrice Fourmanoir, pour qui “tout a commencé par des interrogations sur le sens caché de ce tableaux”, “une nouvelle interprétation du “Repas” nécessite un travail d'équipe de longue haleine. Il va falloir convaincre”. Ce qui peut prendre de longues années selon lui, avant d’espérer voir une modification du cartel (ou panonceau) sur laquelle apparaît la légende de l'œuvre.
La supercision, à ne pas confondre avec la circoncision
Tradition ancestrale, le tehe en tahitien désigne précisément la supercision traditionnelle polynésienne. Une pratique typiquement locale, à ne pas confondre avec la circoncision dite “à l'américaine”. Précisément parce que le geste traditionnel polynésien ne correspond pas à une circoncision puisqu'il n'y a pas d'ablation du prépuce. On parle donc de “supercision”, c’est-à-dire d'une simple incision du prépuce, souligne sur son blog le docteur Pierre Follin, lui-même connu pour en avoir pratiqué quelques milliers en Polynésie. Preuve que l’opération est encore très largement pratiquée, “rares sont les garçons non supercisés ou circoncisés”, note le médecin. “Ce n'est pas un sujet tabu, les jeunes en parlent entre eux, c'est même un sujet de fierté si la circoncision a été réalisée, ou de moquerie dans le cas contraire”. Autrefois réalisée par des “tahu'a tehe”, experts dans l’organisation de ce rituel, puis par des “anciens plus ou moins expérimentés, de manière rudimentaire et sans anesthésie”, elle est désormais pratiquée le plus souvent dans les structures de santé du Pays.