Carnet de voyage - Vasco Nuñez de Balboa, décapité après avoir découvert le Pacifique


L’un des rares portraits de Vasco Nuñez de Balboa, tombé en disgrâce dans le Nouveau Monde et lâchement assassiné par son beau-père, sous couvert d’un procès pour trahison.
PACIFIQUE, le 26 mai 2016. La pente n’est pas très raide, certes, mais il fait chaud, très chaud ; la végétation est dense, insectes et serpents sont nombreux : d’autres que l’Espagnol auraient renoncé, mais pas lui ; non seulement il fend la brousse qui lui fait obstacle, mais il marche en tête. Vasco Nuñez de Balboa, 38 ans, sait que devant lui, dès qu’il aura atteint la dernière crête, s’offrira à son regard une nouvelle mer, un nouvel océan...

Lui, le petit -mais ambitieux- conquistador, né en 1475 à Jerez de los Caballeros (bourg d’Estremadure, au sud-ouest de l’Espagne), cadet d’une famille certes noble, mais pauvre, va découvrir un nouveau monde, comme l’avait fait, avant lui, Christophe Colomb.
Nous sommes à la mi-journée du 25 septembre 1513, en pleine saison des pluies. Le ciel va se couvrir, Vasco accélère et c’est soudain le choc. Plus de pente lui barrant la vue, mais des terres qui dégringolent à ses pieds et surtout, par-delà ces terres, une mer, apparemment immense. De Balboa tombe à genoux, lève les bras au ciel, remercie Dieu et nomme sa découverte la ”Mer du Sud”, “Mare Austral”, que jamais un œil européen n’avait vu avant lui.
Il était parti le 1er septembre1513 du petit port de Santa Maria la Antigua del Darien (actuelle côte Caraïbe de la Colombie) à bord d’un brigantin, accompagné de neuf petites embarcations, avec 800 hommes, dont 190 soldats espagnols et de précieux guides indigènes.

Une mer de l’autre côté des terres

Retour en arrière : c’est début 1513 que, pour la première fois, Nuñez de Balboa avait entendu parler d’une mer située de l’autre côté des terres dont il était le gouverneur (Santa Maria et tout le Veragua, sur la façade Caraïbe). S’il était en effet gouverneur, le conquistador était surtout un explorateur dans l’âme, parcourant sans cesse les terres situées au nord-ouest de sa province, désireux de soumettre les tribus indigènes pour les convertir, mais surtout confisquer leur or, cet or que les Indiennes portaient avec insouciance et qui le rendait ivre de bonheur lorsqu’il en récoltait de pleines poignées.

Un peu par hasard, il fit la conquête des terres du cacique Comagre, sans avoir à batailler, puisque celui-ci, au courant des pratiques violentes de l’Espagnol chez ses voisins, le reçut pacifiquement et se convertit immédiatement. Un banquet fut organisé, mais les Espagnols faisaient grise mine ; ils espéraient se battre et récupérer de grandes quantités d’or ; au lieu de cela, ils avaient, en face d’eux, des Indiens pacifiques, qui n’arboraient que très peu de bijoux, rien, en tous les cas, qui justifiait des semaines de crapahutage dans la jungle.

De la vaisselle en or !

Panquiaco, fils de Comagre, n’appréciait guère ces visiteurs impolis ; face à leur cupidité exacerbée, les voyant peser avec une minutie qui le mettait hors de lui le peu d’or dont son peuple disposait, il s’emporta. Dans sa colère, il expliqua aux envahisseurs que de l’or, il y en avait de quoi satisfaire leurs envies les plus folles plus au sud (actuelle Colombie, côté Pacifique), mais que pour cela, il leur fallait aller naviguer sur l’autre mer.

“L’autre mer” ? Nuñez de Balboa sursauta et n’en crut pas ses oreilles. Il y avait donc une autre mer au sud-ouest de sa province ? Et les habitants de cette mer, selon l’Indien Panquiaco, utilisaient de la vaisselle et des ustensiles d’or pour boire et manger ! Sur la côte, mais plus encore à l’intérieur, il y avait des montagnes d’or à récupérer ! L’Espagnol, à cette nouvelle, décida de rentrer au plus vite à Santa Maria. Il lui fallait préparer une expédition, non pas pour aller porter le glaive chez ces peuples riches de métal précieux, mais pour reconnaître les lieux, trouver un accès à cette mer et, à partir de là, mettre sur pied une stratégie pour, plus tard, conquérir ce ou ces royaumes, cette région qui allait très vite devenir “el Dorado”.

Prise de possession officielle

25 septembre 1513 : les genoux à terre, Nuñez de Balboa attend que sa petite troupe le rejoigne. Sur ses 190 soldats, au départ de Santa Maria, seule une poignée a fait l’ascension avec lui au départ du village de Cuarecua (dont il a tué le cacique, Torecha, et massacré une partie de la population avant que les survivants ne se rallient à sa cause). Trop épuisés, blessés, souffrants, la majorité de ses hommes ne l’a pas suivi, préférant goûter un peu de repos. Andres de Vera, le prêtre de l’expédition, voit dans cette mer inconnue un nouveau don de Dieu et entonne un Te Deum, alors que les membres de l’expédition construisent un cairn de pierres pour commémorer ce grand jour.

A Cuarecua, la troupe est prévenue de la découverte ; Vasco décide, bien entendu, de gagner le rivage au plus vite. Il forme trois groupes pour trouver une piste permettant d’atteindre une plage. C’est son lieutenant, Alonso Martin, qui y parvient le premier, en deux jours seulement. Dans une pirogue indienne, il s’offre le luxe de naviguer sur cette mer qui en est bien une, car elle est salée. Nuñez de Balboa, prévenu, le rejoint deux jours plus tard avec 26 hommes. Sur la plage, de Balboa a prévu une mise en scène pour fixer cet instant : un drapeau dédié à la Vierge Marie à la main, son glaive dans l’autre, sans se soucier le moins du monde des Indiens qui l’observent, il entre dans l’eau jusqu’aux genoux et prend possession, pour le compte de l’Espagne, de cet océan appelé “Mare Austral” (ce n’est qu’en 1520 que Magellan le baptisera “océan Pacifique”).

Des perles en abondance

Nuñez de Balboa sait qu’avec cette découverte, son nom va entrer dans l’histoire à jamais. Il sait aussi que cette mer n’est pas une fin en soi. Ce n’est pas sur cette plage qu’il entend demeurer et savourer sa découverte ; ce qu’il veut, c’est se donner les moyens d’y revenir, d’y établir une solide base, un port, des fortifications, un chantier naval, installations à partir desquelles il pourra entreprendre la conquête des royaumes où l’or est aussi abondant que le fer en Europe. Il a parcouru 110 kilomètres à travers l’isthme de Panama, et, dopé par sa réussite, il décide de rentrer par une autre route, plus au nord, allongeant ainsi son voyage. Tant qu’à faire, autant rentrer la besace remplie de métal précieux.

De fait, le découvreur n’est pas déçu. Il a vite fait de soumettre deux chefs, Tumaco et Coquera et, surprise, non seulement ils ont de l’or, mais en plus des perles à l’orient sublime. Les vaincus lui parlent des îles au large du golfe qu’il vient de baptiser “baie de San Miguel”. Ils lui expliquent que c’est de ces îles que viennent les perles. L’Espagnol les reconnaît en pirogue ; l’archipel est baptisé “îles des Perles” (qui est encore son nom). La plus grande des îles devient “île Riche” (devenue l’île du Roi).

Un butin de 450 kilos d‘or pur !

Les eaux de cette région regorgent d’une variété de nacres, Pinctada mazatlanica, généreuses en perles. Plus tard, l’Espagne décidera que la récolte des bivalves sera le droit exclusif de la couronne, jusqu’à épuisement des stocks ; Balboa, pour sa part, se contente de piller les tribus indiennes qu’il soumet par la force. De fin septembre 1513 à novembre de la même année, le conquistador fait donc son “marché” auprès des indigènes, avant de s’en retourner à Santa Maria par un chemin plus au nord, qui lui permet de compléter son butin estimé à 100 000 castillans d’or (soit plus de 450 000 grammes de métal pur, c’est-à-dire 450 kilos d’or !), auxquels il convient d’ajouter une quantité phénoménale de perles fines.

Nuñez de Balboa est comblé, toujours aussi avide, mais lucide : sagement, il envoie sa part au roi d’Espagne, le fameux cinquième des richesses, appelé le “quint” (qui donnera son surnom à Charles Quint).

Un fabuleux empire au sud

A son retour à Santa Maria, Nuñez de Balboa doit affronter des règlements de comptes de la part de conquistadores jaloux ; fièvre de l’or et cupidité détruisent les rapports entre Espagnols.

Sauvé de ses ennemis par une intervention de la Couronne, Nuñez de Balboa est nommé “adelantado” de la mer du Sud et gouverneur de Coiba et de Panama. En 1517, il peut enfin naviguer sur sa mer, et explore alors les îles aux Perles et la côte Pacifique du Panama. Il entend parler d’un fabuleux empire au sud (celui des Incas très probablement) et décide de muscler sa flotte et ses troupes pour le conquérir. Malheureusement, son beau-père, qui complote contre lui depuis des années sur la côte Caraïbe, l’invite à lui rendre visite. Ne se méfiant pas, Nuñez de Balboa accepte l’invitation ; il est arrêté, en cours de route, par un certain Francisco Pizarro, qui le livre prisonnier à son beau-père. Accusé de traîtrise et de complot en vue de se constituer un gouvernement autonome, de Balboa demande à ce que son procès ait lieu en Espagne, ou, au pire, à Saint-Domingue (sur l’île d’Hispañola). Ses accusateurs ne prennent pas ce risque. Ils décident de le juger sur place, montent un procès de toute pièce et le condamnent à mort, avec quatre de ses lieutenants.

“Mensonge !”

Le “traître et usurpateur de la Couronne”, comme il est déclaré sur l’échafaud, hurle à la foule, avant de mourir la tête tranchée d’un coup d’épée : “Mensonge, ce n’est qu’un mensonge ! Je n’ai jamais songé à pareil crime. J’ai servi loyalement le roi, sans penser à rien d’autre que d’accroître ses territoires”.

La tête du découvreur du Pacifique restera exposée plusieurs jours sur la place d’Acla ; quant à son corps, nul ne sait ce que le bourreau en fit.
Non seulement l’explorateur avait découvert le plus vaste océan de la planète, mais il aurait pu conquérir le Pérou. A sa place, c’est Francisco Pizarro, l’infâme capitaine qui le livra à son beau-père, qui reçut, en guise de remerciements, mission de conquérir la grande nation dominée par l’Inca Atahualpa… Ce qu’il fit en 1533.

Daniel Pardon

Au nom de l’Espagne et de son roi, le conquistador entre dans l’eau et prend possession du Pacifique en septembre 1513.

Trompé même pour son mariage !

Vasco Nuñez de Balboa était un grand naïf. Obsédé par son désir de conquêtes (et de richesses), il ne comprit jamais rien aux luttes d’influence qui se jouaient par-dessus son casque. Ainsi son pire ennemi, Pedro Arias de Avila, connu sous le nom de Pedrarias, après avoir tenté de le discréditer auprès de la Couronne et après avoir tout fait pour l’empêcher de retourner dans la mer du Sud (et après être devenu gouverneur à sa place, à Santa Maria) joua-t-il un jeu hypocrite extraordinaire en proposant à Balboa une réconciliation totale ; pour cela, il lui offrit une de ses filles en mariage, Maria de Penalosa.

Pendant deux ans, Pedrarias multiplia les flatteries, se faisant passer pour le plus gentil des beaux-pères. Devenu, dès juillet 1514, le gouverneur de la région, Pedrarias ne cessa, pourtant, de mettre des bâtons dans les roues du jeune Vasco, qui ne trouva la tranquillité et la liberté d’agir que lorsqu’il fut nommé gouverneur de la province faisant face au Pacifique, le Panama. Et son projet de conquérir le Pérou aurait sans doute réussi, s’il n’avait eu la naïveté de croire au courrier envoyé par Pedrarias pour l’inviter, en 1518, à lui rendre visite.

A aucun moment, Nuñez de Balboa ne comprit qu’il s’agissait d’un piège, et quand, en cours de route, il tomba sur la troupe de Pizarro, il ne parvint pas à croire qu’il était arrêté pour trahison. Son beau-père n’apparaîtra pas au procès conduit par l’alcade Gaspar de Espinosa. Pour sa mise à mort, Balboa sera ramené dans sa province, à Acla, là même où il faisait construire ses bateaux pour se rendre au Pérou.

Le beau-père indigne, assure un chroniqueur de l’époque, assista à la décapitation de son gendre caché derrière une estrade.
Pour ses bons et loyaux services, Gaspar de Espinosa, le juge, recevra mission d’explorer la mer du Sud avec les bateaux de Vasco Nuñez de Balboa, tandis que Pizarro sera chargé de conquérir le Pérou… Vasco, lui, avait fini la tête fichée au bout d’une pique…

Au terme d’une parodie de procès, et bien qu’il fut très apprécié en Espagne, le découvreur du Pacifique a été décapité à l’épée en public.

Un “inventeur” avant la découverte

Si Nuñez de Balboa a découvert l’océan Pacifique en 1513, un autre homme l’avait imaginé : pour le cartographe allemand Martin Waldseemüller (1470-1520), il était évident que ni Christophe Colomb, ni Amerigo Vespucci n’avaient atteint l’Asie. Pour lui, le Nouveau Monde était un continent à part, séparé de l’Europe par l’Atlantique et de l’Asie par une autre mer qu’il ne nomma pas. Sa carte dessinée en 1507 (publiée le 25 avril de cette même année) fit l’objet de bien des questions, mais dès 1513, grâce à Vasco Nuñez de Balboa, le scepticisme fit place à la certitude que son intuition avait été la bonne. Notons que c’est sur cette carte qu’apparut, pour la première fois, le mot “America” (formé à partir du prénom Amerigo).
Waldseemüller peut donc, en quelque sorte, être classé comme le concepteur, “l’inventeur” de l’océan Pacifique…

Gravure ancienne montrant Vasco Nuñez de Balboa pénétrant dans les eaux de la “Mare austral” pour en prendre possession au nom de la couronne d’Espagne.

Au cœur de la ville de Panama, sur l’avenida Balboa, entre les gratte-ciel de la cité financière et le Pacifique, une statue est érigée en hommage au premier homme à avoir traversé l’isthme sud-américain.

Au Panama, l’ordre réservé aux citoyens méritants est celui de Balboa. La légion d’honneur locale…

Une pièce d’or frappée en mémoire du découvreur du Pacifique. Au Panama, la monnaie est justement le balboa (rien à voir avec Rocky Balboa, pour les fans de Sylvester Stallone…).

Un billet de banque de 1 balboa, émis par la République du Panama. Le balboa vaut aujourd’hui 105 Fcfp.

Rédigé par Daniel PARDON le Jeudi 26 Mai 2016 à 09:41 | Lu 3167 fois