Carnet de voyage - Tikal : Sur la piste des Mayas


Vue du sommet du temple II, la place centrale de Tikal, avec le temple I à droite et les palais de l’acropole à gauche.
AMERIQUE CENTRALE, le 25 avril 2019. Sur la mer verte, trois ou quatre vaisseaux de pierre, immobiles. Comme ancrés. En vagues irrégulières, la canopée moutonne jusqu’à l’horizon. Et même au-delà. Tapis infini d’arbres, duquel émergent quelques sentinelles hiératiques au-dessus de Tikal ; on ne voit pour ainsi dire rien de l’ancienne cité royale, sauf ces sommets de temples, cachant, comme les icebergs du grand Sud, les neuf-dixièmes de leur masse. Certaines de ces constructions, parmi les plus belles de la planète, sont encore enfouies dans leur gangue végétale : pour 300 millions Fcfp, un amateur d’art peut pourtant financer une restauration et inscrire son nom dans l’histoire des civilisations amérindiennes... Bienvenue dans la plus grande cité maya.

Il y a, dans le monde, quelques noms magiques, quelques sites extraordinaires, quelques endroits où le génie humain d’hier appelle les hommes d’aujourd’hui à l’humilité : Machu Picchu, Gizeth, Borobudur, Angkor, Teotihuacan sont quelques-uns de ces lieux d’exception, auxquels on peut sans marchander associer Tikal.

La plus grande cité de l’ancien monde maya renferme des joyaux architecturaux exceptionnels dans un angoissant écrin émeraude, couleur de la jungle qui emprisonne en ses rets la cité perdue, jusqu’à l’étouffer.

Mille ans de bâtiments empilés

Au cœur de la grande plaine tropicale et humide du Peten, partie plate et septentrionale du Guatemala, les Mayas bâtirent jadis la plus étonnante ville d’Amérique centrale. Il leur fallut pour cela un millier d’années, passées à empiler les unes sur les autres les structures de pierre, les temples, les palais, les sanctuaires, pour laisser aux archéologues un gigantesque puzzle.

Comme si la lecture du site n’était pas déjà suffisamment compliquée, en presque mille autres années, la forêt a pris possession des ruines, les a enlacées, mélangées, recouvertes, écroulées, déformées, malaxées. Aujourd’hui encore, malgré les fouilles, les plans, les guides, les cartes, il faut bien plus d’une journée au visiteur pour appréhender la tentaculaire cité et en démêler l’écheveau d’avenues et d’allées, tant la jungle complique singulièrement tout. Et grignote les paysages, à commencer par les perspectives.

Jaguars et serpents...

Ne pas perdre le nord : l’expression prend tout son sens là-bas où le seul phare fiable est l’orbe du soleil qui finit toujours par montrer l’ouest au voyageur égaré.

« Mais parfois cela ne suffit pas », explique Incarnacion, guide-surveillant du parc naturel. “Certains touristes sont restés perdus jusqu’à onze jours, passés à errer dans la jungle avant qu’on ne les retrouve“. Ceux-là ont eu de la chance, jaguars et serpents ne les avaient pas repérés avant les gardes. Pour d’autres...

Cette jungle de Tikal est à la fois la meilleure et la pire ennemie de la cité. Lorsque la ville fut redécouverte en 1848, pratiquement aucune pierre n’était visible. D’énormes empilements de racines, d’herbes, de lianes, couverts par une épaisse chape d’arbres, masquaient presque tout. Il fallut beaucoup de courage aux premiers visiteurs de Tikal pour oser défricher cette jungle épaisse. La forêt saignée, les pierres réapparurent, mais elles étaient toutes écroulées les unes sur les autres.

Vertigineuses pyramides parfaites

Les pionniers durent non seulement débroussailler et littéralement déterrer les temples les plus hauts, mais encore, pierre par pierre, remettre en place ce que la nature avait si savamment détruit.

Des collines abruptes surgirent, au terme d’épiques restaurations, puis de vertigineuses pyramides parfaites.

Malheureusement, le Guatemala, dont les errements politiques ont donné naissance à l’expression “république bananière”, n’est pas un pays riche tant s’en faut ! C’est dire que les restaurations à Tikal sont souvent financées par des intervenants étrangers. Hier l’université américaine de Pennsylvanie (de 1956 à 1967, pour le “projet Tikal”), plus récemment l’Espagne : le gouvernement espagnol s’était en effet lancé dans la restauration du temple V, un monumental ouvrage pour lequel ont été dépensés 170 millions Fcfp environ.

Des siècles de restauration

Restent dans la jungle des dizaines et des dizaines d’édifices englués dans l’humus. Parmi eux, le temple III, d’une hauteur vertigineuse, et le temple IV tout aussi majestueux. Sans parler de l’immense pyramide de type Teotihuacan qui est aujourd’hui un simple renflement de la forêt. Au total, des siècles de restauration en perspective...

Pour les 90 % de la cité encore enfouis, aucun financement, aucun espoir à court terme. Le manteau de jungle les recouvre pour une durée encore inconnue. Après le passage du cyclone Mitch (19 325 morts le 22 octobre 1998), il n’y avait plus un sou en caisse du côté guatémaltèque pour d’envisager à court et moyen terme des travaux. Quant à l’UNESCO, ses plans de financement sont réservés à d’autres urgences... plus urgentes.

Avis aux mécènes !

“Et si moi, simple particulier, riche et fou d’art, je vous amène de l’argent, vous êtes capables de restaurer un de ces monuments ?“ avons-nous demandé à un archéologue guatémaltèque.

”Si vous nous fournissez deux à trois millions de dollars, nous aurons à faire accepter le plan de restauration par l’UNESCO, qui a classé le site au patrimoine mondial de l’Humanité. Ce feu vert donné, je peux vous garantir que le travail commencera sans perte de temps sous la férule d’archéologues du Guatemala. Et si c’est votre souhait, vous aurez votre nom pour l’éternité au bas du monument que vous aurez sauvé“.

À défaut d’acheter un Van Gogh, et pour finalement bien moins cher, un amateur éclairé et passionné peut donc “s’offrir” un des plus beaux temples de la planète, une pyramide de Tikal.

Avouez que, parfois, on laisserait facilement son imagination courir et que l’on se verrait bien dans le rôle du mécène, chapeau d’Indiana Jones sur la tête...

Texte et photos : Daniel Pardon

Sur les stèles de l’ancienne capitale (ici la stèle 16, dédicacée en l’an 711 de notre ère), grâce aux glyphes aujourd’hui déchiffrés, on peut lire et reconstituer l’histoire passée de cet ensemble urbain exceptionnel.

Sanguinaires sacrifices humains

Les Mayas pratiquaient les sacrifices humains, mais aussi -et plus couramment- les sacrifices d’animaux (chiens, dindons et jaguars, l’animal sacré par excellence).

Sans parler de véritable boucherie, ces rites expliquent peut-être l’affaiblissement de cette civilisation, dont les caciques, vivant entourés de privilèges et de pouvoirs exorbitants, finirent par se couper de leur peuple.

Il est donc prouvé que les Mayas sacrifiaient des hommes à leurs dieux ; les occasions étaient multiples, comme le jeu de balle (variété de pelote) qui voyait les vainqueurs égorger les vaincus, les prises de guerre et également les automutilations suivies de mort. Les prêtres et certains nobles, sous l’emprise de drogues hallucinogènes, se mutilaient pour verser leur sang en guise d’offrande et parfois même se faisaient décapiter en place publique dans les grandes cérémonies.

Dans tous les cas, semble-t-il, le sacrifié était placé sur une pierre ronde, visage tourné vers le ciel, et était égorgé-décapité avec un couteau de pierre.
Plus tard, les Aztèques, qui régnèrent sur l’actuel Mexique au moment où arrivèrent les premiers Européens, systématisèrent à une échelle jamais vue dans l’histoire de l’humanité ces sacrifices. Les prêtres de Tenochtitlan, devenue Mexico, ouvraient la poitrine du supplicié avec un couteau de pierre et lui arrachait le cœur encore palpitant.

3 000 édifices, 200 monuments…

Tikal et ses 16 kilomètres carrés, ses 3000 édifices différents, ses 10 000 plates-formes d’anciennes constructions, ses 200 monuments de pierre dans la seule enceinte centrale, dépasse l’imagination... Si l’on a peine à imaginer ce que fut la splendeur passée de cette capitale, on peut la mesurer... en l’arpentant.

Il faudrait des siècles, des milliers d’hommes et des centaines de millions de dollars pour restaurer toute la ville. Ce n’est donc pas en quelques images que nous allons “résumer” la cité. Du moins souhaitons-nous, à travers ces photos, montrer que l’on peut mettre en valeur un site culturel sans déprécier son environnement, puisque le parc qui entoure les ruines est une réserve de la biosphère totalement protégée.

Grâce au tourisme, la restauration, même très partielle de Tikal, a procuré du travail et des devises à des milliers de personnes autour de la ville de Florès.

Le sublime temple I au cœur de la grande cité maya ; la végétation tout autour rappelle que la jungle ne demande pas mieux que de recouvrir les ruines si elles étaient à nouveau abandonnées.

Ensemble de stèles et de sculptures sur l’acropole nord, où avaient lieu de nombreux sacrifices humains. Sur les pierres rondes, on couchait sur le dos la victime du sacrifice ; pieds maintenus sur le sol, bras tendus en arrière, elle offrait alors sa gorge au couteau d’obsidienne du grand prêtre qui la décapitait lors de cérémonies publiques sanguinaires.

C’est le tourisme qui fait vivre toute la région autour de Tikal ; chaque jour, plusieurs liaisons aériennes amènent les visiteurs de fort loin pour découvrir la cité ; un minimum de trois jours sur place est nécessaire pour à peu près tout voir.

Les ruines de Tikal sont encore vivantes ; la preuve, ce petit coati omnivore, qui n’hésite pas à venir griffer les sacs des touristes transportant leur casse-croûte.

Protégée des intempéries, cette stèle montre à la fois le savoir-faire des sculpteurs mayas et en même temps la fragilité de la pierre taillée sur place, un grès crayeux. La stèle est appelée Kalompe Balam « Ruler Jaguar » et a été dédicacée en l’an 527.

Sur la grande place de la ville maya, le temple II fait face au grand temple I.

Tikal sera-t-elle un jour “dissoute” par le temps ? Le grès crayeux qui constitue certains édifices se délite sous l’action de l’érosion et nécessite de permanentes restaurations. Ici une stèle ronde sur l’autel V.

La grande pyramide restaurée (structure 5C) ; il y a quelques décennies, ce n’était qu’un monticule de végétation informe...

Dans une mer verte, apparaissent quelques vaisseaux de pierre, qui, comme des icebergs, ne dévoilent qu’une petite partie de leur structure... En mille ans, la jungle a littéralement englouti la capitale des Mayas.

Un “temple” de Tikal attendant une restauration ; c’est de cette manière que se présentaient les ruines de la cité au moment de leur découverte. Des dizaines et des dizaines d’ouvrages sont encore dans cet état, dans l’attente de mécènes.

Le temple I, au cœur de Tikal, est la plus belle pyramide maya restaurée. On ne peut malheureusement plus l’escalader, l’ascension ayant entraîné la mort de plusieurs touristes.

Rédigé par Daniel PARDON le Jeudi 25 Avril 2019 à 10:52 | Lu 1192 fois