Carnet de voyage - San Francisco, capitale de l’empereur des Etats-Unis


Un portrait de Norton 1er dans son costume de l’armée. Etait-il aussi fou que certains l’affirmèrent ? Etait-il un bon comédien ? Sa mascarade aura duré plus de deux décennies.
ETATS-UNIS, le 20 décembre 2018. S’il est une ville aux Etats-Unis où l’originalité et la tolérance ont droit de cité, c’est bien San Francisco. Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette grande liberté ne date pas des années soixante et des premiers hippies. Pour preuve, le traitement de faveur que « Frisco » accorda durant plus de vingt ans au seul empereur américain jamais reconnu, Norton 1er, à l’état civil Joshua Abraham Norton (1819-1880).

Un empereur aux Etats-Unis ? Avouez que l’affaire n’est pas banale pour qui ne connaît pas l’histoire de la côte ouest de cet immense pays. Et pourtant, Norton 1er, qui s’autoproclama « empereur de ces Etats-Unis » (Emperor of these United States) a bel et bien régné, certes symboliquement, de 1859 à son décès en 1880.

Non seulement il régna, non seulement il rédigea de nombreux décrets, mais en outre, il fut reconnu par tout San Francisco où il avait table ouverte dans les meilleurs restaurants, où il fabriqua sa propre monnaie (très recherchée des collectionneurs aujourd’hui) et où il avait acquis le respect des autorités locales, à commencer par les policiers qui le saluaient tous avec respect.

Fortune et ruine

Les Californiens ont le sens de l’humour. Est-ce de vivre sur une terre tremblant sans cesse qui leur donne du recul sur le quotidien et une ouverture d’esprit particulière, comme s’il fallait profiter de chaque instant sans passer son temps à entraver la liberté de son voisin ?

Joshua Abraham Norton n’était pas tout à fait un Américain comme les autres, puisque citoyen de sa majesté britannique, il avait vu le jour à Londres avant de partir vivre en Afrique du Sud tout jeune enfant. Le « petit » avait la bougeotte ; son père décédé, il réalisa en 1848 ses actifs et s’embarqua pour le Brésil ; mais cette même année-là, la Californie allait connaître un immense bouleversement avec la découverte le 24 janvier, sur la concession d’un Suisse, John Sutter, de pépites d’or. La ruée la plus folle de l’histoire allait se déclencher et depuis le Brésil, Norton se dit qu’il méritait lui aussi sa part du gâteau. Il s’embarqua de suite pour San Francisco Mais plutôt que de se casser le dos à creuser la terre, il se lança dans le négoce puisque les milliers de mineurs qui arrivaient chaque mois devaient bien manger et s’équiper. On dit qu’en 1853, il avait amassé une belle fortune (250 000 dollars à l’époque) ; malheureusement, il avait pris goût à l’argent facile et il misa tout dans une funeste spéculation sur le cours du riz, qui le laissa… sur la paille. Il fit faillite en 1858 et quitta la ville environ un an.

Fou mais lucide

Que se passa-t-il dans ce laps de temps ? Les historiens sont dans le doute, mais il est clair que Norton, alors âgé de 39 ans, ne se remit jamais de ce retour à la case départ et à la pauvreté. Pour beaucoup, l’homme d’affaires s’est métamorphosé en aimable fou, complètement mégalomane, d’autres estimant au contraire qu’il avait gardé sa lucidité et qu’il était revenu pour exercer sur la ville, la Californie, voire les Etats-Unis tout entiers une forme de vengeance.

Les psychiatres, qui aujourd’hui se pencheraient sans doute sur le bonhomme, n’existaient pas vraiment à San Francisco et le fait est que le 17 septembre 1849, Norton inonda les journaux de la ville comme du reste du pays de courriers annonçant qu’il était désormais l’empereur des Etats-Unis. L’affaire aurait pu s’arrêter là sans la réaction du rédacteur en chef du San Francisco Bulletin qui décida de mettre cette info prise avec humour en première page de son journal.

Il est vrai que Norton 1er s’était déplacé tout spécialement au journal, où il avait été reçu, habillé alors d’un vieil uniforme de colonel de l’armée, bleu et or.

Dissolution du Congrès

Norton s’expliqua : il se présentait comme le seul sauveur possible d’un pays à la dérive en proie à la fraude et à la corruption ; il était peut-être fou, mais pas maladroit. Jamais dans les écrits et décrets qui suivirent son auto-proclamation, il ne rédigea des phrases susceptibles de le faire arrêter pour rébellion, trahison ou subversion. Il était prudent, naviguait « border line » comme l’on dit, mais demanda tout de même à l’armée de virer les élus du

Congrès, à Washington, considérant que n’avait de valeur que son édit proclamant la dissolution dudit Congrès.
En août 1869, ses ordres n’étant suivi d’aucun effet, Norton 1er demanda la dissolution des partis politiques (Républicains et Démocrates). Au préalable, il avait également demandé en pleine guerre de Sécession que les églises le couronnent empereur ; soucieux du bien-être de ses voisins et hostile à toute guerre, il se décerna en prime le titre de « Protecteur du Mexique ».

Norton, souvent en avance sur son temps, voyait loin : il tenta d’obtenir la construction d’un gigantesque pont entre Oakland et San Francisco (son désir sera réalisé, le pont ouvrira le 12 novembre 1936, six mois avant le Golden Gate). Visionnaire, épris de paix, l’empereur appela également de ses vœux la création d’une sorte d’ONU avant la lettre, la Société des Nations voyant finalement le jour le 10 janvier 1920.

Adopté par toute la ville

Hors ses éclairs de lucidité et son travail épistolaire (il « légiféra » toute sa vie à coup de décrets), Norton passait le plus clair de son temps à inspecter les rues de sa capitale. Il aimait bien déambuler dans San Francisco où toute la population jouait le jeu et le saluait.

Beaucoup de restaurants l’accueillaient sans le faire payer, affichant à leurs portes qu’ils travaillaient grâce à un décret impérial. Aux spectacles, il avait sa loge ; on se cotisa même à la mairie pour lui offrir un nouvel uniforme et lorsqu’un matin de 1867, un policier nouveau venu et zélé l’arrêta, on se confondit en excuses et on lui demanda son impérial pardon, qu’il accorda ; après cet incident qui permit à l’empereur de faire montre de sa magnanimité, tous les policiers eurent pour consigne de systématiquement le saluer.

Plus fort encore, ceci montrant le sens de l’humour de l’administration d’alors, lors du recensement de 1870, Joshua Abraham Norton fut identifié comme domicilié au 624 Commercial Street où il occupait un modeste logis et fut enregistré sous la profession d’empereur !

Un malaise fatal

Norton, malgré son impuissance totale sur le cours de la vie politique locale, nationale ou internationale, mais fier de sa reconnaissance, aimait bien les bonnes tables de San Francisco. Trop sans doute… Le 8 janvier 1880, dans la soirée, il fut victime d’un malaise à l’intersection de Dupont Street et de California Street. Il décéda sur place à 61 ans, et la presse de la ville comme une partie de la population rendirent hommage à leur « empereur » qui ne laissa derrière lui ni descendance ni fortune ; son impériale majesté était très pauvre et ne s’était jamais remise, financièrement, de sa faillite de 1858.
Aujourd’hui, la dépouille de Joshua Abraham Norton repose dans l’un des nombreux cimetières de Colma (au Woodlawn Cemetery). Sur sa tombe, une épitaphe sobre : « Norton 1er, Empereur des Etats-Unis, Protecteur du Mexique ». RIP…

Daniel Pardon

« Moi, Empereur… »

« À la demande d’une large majorité des citoyens de ces États-Unis, moi, Joshua Norton, anciennement de la baie d’Algoa, Cap de Bonne Espérance, et maintenant pour les derniers neuf ans et dix mois de San Francisco, Californie, me déclare et me proclame moi-même Empereur de ces États-Unis ; et par la vertu et l’autorité qui me sont ainsi conférés, ordonne par le présent acte et impose aux représentants des différents États de l’Union de se réunir au Music Hall de cette ville, ce au 1er jour de février prochain, et d’y amender les lois actuelles de l’Union afin qu’elles améliorent le mal dans lequel la nation se trouve, et qu’ainsi la confiance soit rétablie, autant dans le pays qu’au-delà, pour notre stabilité et notre intégrité.

Norton 1er, Empereur des États Unis. »

C’est la ruée vers l’or (sur notre photo un bronze du centre administratif de San Francisco commémorant ce moment de l’histoire californienne) qui amena Joshua Abraham Norton à San Francisco pour tenter sa chance dans les affaires.

Les premier « Cable Cars » mis en service à San Francisco le furent en 1873, durant le « règne » de Norton 1er.

C’est sur un trafic de riz par bateau que Joshua Norton tenta de se constituer une immense fortune, mais cette spéculation manquée eut pour conclusion sa faillite personnelle en 1858.

Lorsque Norton réapparut en 1859, San Francisco, grâce à la ruée vers l’or, était une cité florissante, mais où la corruption et les trafics étaient monnaie courante.

Le temps a passé à San Francisco depuis la mort de l’empereur, mais il est encore très présent dans les mémoires.

L’empereur des Etats-Unis vit arriver en 1848 les trois premiers Chinois à San Francisco. Comme lui, ils étaient attirés par ce qu’ils surnommaient « la montagne d’or » découverte par hasard le 24 janvier 1848.

Rédigé par Daniel PARDON le Jeudi 20 Décembre 2018 à 08:18 | Lu 1248 fois