Carnet de voyage - Les 40 plantes des grands va’a


Aleurites moluccana. Le bancoulier (ti’a’iri) servait notamment à éclairer les fare, grâce à ses fruits enfilés sur une nervure de palme de cocotier.
PAPEETE, le 28 septembre 2018. Nous allons vous offrir aujourd’hui un voyage à la fois dans le temps et dans l’espace, avec les plantes que les premiers Polynésiens ayant colonisé nos îles ont amené avec eux depuis la lointaine Asie (et parfois aussi d’Amérique latine). On mesure mal la préparation qu’exigeaient les anciennes migrations à bord des grandes pirogues doubles. Pour survivre, nos tupuna emmenaient dans leurs bagages bien des choses, dont les plantes indispensables à leur mode de vie. Dans le triangle polynésien, on considère qu’ils en ont introduit plusieurs dizaines et rien qu’à Tahiti une quarantaine !

Plantes introduites par les Polynésiens dans l’archipel de la Société

Aleurites moluccana. Bancoulier (ti’a’iri)
Alocasia macrorrhizos. Taro géant, oreille d’éléphant (‘ape)
Amorphophallus paeoniifolius. Arum géant (teve)
Artocarpus altilis. Arbre à pain (‘uru, maiore)
Benincasa hispida. Melon d’hiver (mautini tinito)
Boerhavia acutifolia. Boerhavia (nunanuna)
Broussonetia papyrifera. Murier à papier (aute, puri)
Casuarina equisetifolia. Bois de fer (‘aito, toa)
Cocos nucifera. Cocotier (ha’ari)
Colocasia esculenta. Taro (taro)
Cordyline fruticosa. Cordyline (‘auti, ti)
Cucumis melo. Melon (katiu, mereni popa’a)
Curcuma longa. Curcuma (re’a, re’a maohi)
Cyrtosperma merkusii. Taro géant des marais (‘ape)
Dioscorea alata. Igname (ufi)
Dioscorea bulbifera. Igname sauvage (hoi)
Dioscorea nummularia. Igname sauvage (pirita)
Dioscorea pentaphylla. Igname sauvage (parata)
Gardenia taitensis. Gardénia (tiare Tahiti)
Hibiscus rosa-sinensis. Hibiscus rouge (aute)
Inocarpus fagiter. Châtaigne tahitienne (mape)
Ipomoea batatas. Patate douce (‘umara)
Lagenaria siceraria. Calebasse (hue)
Morinda citrifolia. Pomme-chien (nono, noni)
Musa (hybrids). Banane (mei’a)
Musa troglodytarum. Plantain de montagne (fe’i)
Pandanus tectorius. Pandanus (fara)
Piper methysticum. Kava (‘ava, kava).
Saccahrum maximum. Canne à sucre sauvage (to’a’eho)
Saccharum officinarum. Canne à sucre (to)
Schizostachyum glaucifolium. Bambou d’Océanie (‘ofe)
Solanum americanum. Morelle d’Amérique (‘oporo, ‘oupo’o)
Solanum ferox. Morelle féroce (pua, poro)
Solanum viride (porohiti)
Spondias dulcis. Prune de Cythère (vi Tahiti)
Syzygium malaccense. Jambose (‘ahi’a)
Tacca leontopetaloides. Arrow-root de Tahiti (pia Tahiti)
Tephrosia purpurea. Indigo rouge (hora)
Urena lobata. Aguaxima (piripiri)
Zingiber zerumbet. Gingembre shampoing (re’a moeruru, re’a moruru)

Cette liste appelle quelques commentaires relatifs à certaines espèces : le cocotier par exemple était sans doute présent, donc indigène, bien avant l’arrivée des premiers colons polynésiens, mais ceux-ci ont introduit de nouvelles variétés. Idem pour le pandanus. En revanche, le aito est bien une introduction polynésienne, arbre aujourd’hui naturalisé

Des questions se posent toutefois pour trois autres espèces : Solanum americanum, Solanum viride et Tacca leonpetaloides dont on ignore précisément l’origine dans nos archipels, même si la probabilité d’une introduction par les Polynésiens est forte.

Autre remarque, le melon (Cucumis melo), dont le nom polynésien d’origine, katiu a été complètement oublié aujourd’hui. Et pour cause, ce petit melon, même s’il est génétiquement identique aux melons modernes de nos étals (introduits par les Européens) n’existe pour ainsi dire plus. Il a bien été amené d’Asie du Sud-Est, mais son intérêt n’a cessé de diminuer au point qu’il a quasiment disparu au profit des variétés modernes de melons.

On remarquera que toutes ces plantes ont également été introduites aux Marquises par les anciens, sauf le tiare Tahiti (introduction moderne) et le taro géant des marais (‘ape), Cyrtosperma merkusii, qui a peut-être, lui aussi, été introduit plus tardivement.

En revanche, seules 23 de ces plantes ont pu et ont su s’adapter au sol corallien et salé des Tuamotu.

Pour conclure, il est également intéressant de noter que plus les migrations amenaient les Polynésiens vers l’est, moins ils avaient de plantes avec eux, l’île de Pâques, par exemple, étant bien plus pauvre, de même que l’archipel hawaiien (avec 26 espèces -et encore l’incertitude à Hawaii est-elle grande pour une demi-douzaine d’entre elles). A ce titre, les Fidji et les Samoa sont les archipels les plus gâtés.

Ces plantes sont-elles bien toutes là, nommées, désignées, classées ? Nous ne prétendons pas, bien entendu, à une absolue exhaustivité, mais du moins pensons-nous avoir balayé au mieux la richesse botanique des plantes embarquées à bord des grands « va’a » ancestraux. Tout ne s’est pas fait en un seul voyage, c’est évident, mais du moins ce petit tour d’horizon nous semblait s’imposer.

Textes et photos : Daniel Pardon

Américaines

Dans notre liste de plantes introduites par les anciens Polynésiens, 38 sont originaires d’Asie et deux ont clairement des origines américaines ; il s’agit de la patate douce (Ipomoea batatas) et de la gourde (Lagenaria siceraria).

Indubitablement, elles viennent d’Amérique du Sud (voire de Méso-Amérique) ; elles posent donc la question de savoir comment les Polynésiens ont pu se les accaparer, d’autant qu’elles avaient toutes les deux une grande utilité (la patate douce fut même essentielle à l’île de Pâques).

Bien entendu, la déduction la plus logique est que les peuples du continent américain ont bien été en contact avec les Polynésiens, soit que les premiers sont venus chez les seconds, soit l’inverse. La dissémination par les courants marins (hydrochorie) semble exclue pour ces deux plantes, il a donc bien fallu que quelqu’un les amène jusqu’ici…

Compte tenu de leurs qualités de navigateurs, les Polynésiens ont notre faveur, grâce à un ou des voyages vers l’est jusqu’aux côtes américaines, avec retour réussi d’est en ouest.

A lire

- Pardon Daniel : Guide des fruits de Tahiti et ses îles (2017, 3e édition, Au Vent des Îles, Tahiti)

- Pétard Paul : Plantes utiles de Polynésie, Raau Tahiti (1986, Editions Haere Po No Tahiti, Tahiti)

- Whistler W. Arthur : Tropical Ornamentals, a guide (2 000, Timber Press, Portland, Oregon)

- Whistler W. Arthur : Plants of the Canoe People (2 009, National Tropical Botanical Garden Lawai, Kau’i, Hawaii)



Artocarpus altilis. L’arbre à pain (‘uru, maiore) a été domestiqué par les Polynésiens qui ont su multiplier les variétés sans graines.

Casuarina equisetifolia. Le bois de fer (‘aito, toa) était un fournisseur d’outils et notamment d’armes pour les anciens.

Curcuma longa. Le curcuma (re’a Tahiti, re’a ma’ohi) est une plante médicinale et tinctoriale ainsi qu’un condiment apprécié.

Colocasia esculenta. Le taro (taro) est une plante de premier plan dans l’archipel des Australes où il fournit la base de la nourriture.

Morinda citrifolia. La pomme-chien (nono, noni) est une plante tinctoriale, mais aussi médicinale qui était indispensable aux tradipraticiens.

Musa troglodytarum. Le plantain de montagne (fe’i) a été amené sur les grands va’a des premières migrations et s’est adapté aux îles hautes.

Pandanus tectorius. Le pandanus (fara) est devenu une plante indispensable pour le tressage ; son fruit était également consommé dans les périodes de disette.

Spondias dulcis. La prune de Cythère (vi Tahiti) a été largement remplacée en tant que fruit par la mangue lors de son introduction par les Européens.

Ipomoea batatas. L’origine sud-américaine de la patate douce (‘umara en tahitien, kumara en quechua) ne fait plus aucun doute. Mais qui l’a introduite dans nos îles ?

Lagenaria siceraria. La calebasse (hue) aux multiples usages et, elle aussi, une plante d’origine américaine. Là encore, sont-ce les Polynésiens qui sont allés la chercher, ou est-ce une expédition « indienne » qui l’a amenée chez nous ?

Rédigé par Daniel PARDON le Vendredi 28 Septembre 2018 à 09:28 | Lu 3627 fois