Carnet de voyage - John Horrocks, «tué» par le premier dromadaire d’Australie !


Le portrait de l’intrépide John Horrocks au départ de l’expédition qui lui fut fatale.
AUSTRALIE, le 6 juillet 2017. C’est une histoire à peine croyable que celle de Harry et de Horrocks, deux personnages dont les noms font partie intégrante de l’histoire de l’Australie. Notre duo avait une particularité, et non des moindres : Harry était un dromadaire et Horrocks un éleveur explorateur. La rencontre du premier camélidé importé sur l’île continent et de cet aventurier ne serait sans doute pas passée à la postérité si le chameau n’avait pas, malencontreusement, tué l’explorateur et si celui-ci, avant de mourir, n’avait pas eu le temps d’exiger que l’on abatte l’animal, ce qui fut fait !

Ce pourrait être une mauvaise blague, digne d’un scénario de Max Linder ou de Buster Keaton, façon l’arroseur arrosé, tant l’épopée de John Ainsworth Horrocks et de son dromadaire pourrait prêter à rire. La réalité n’a rien d’une farce, puisqu’un homme perdit la vie dans cette tragique aventure, qui coûta la sienne au pauvre animal, meurtrier bien malgré lui.

Des dromadaires des îles Canaries

C’est au géographe franco-danois Conrad Malte Brun que l’on doit la première mention de dromadaires en Australie. Il ne s’agit alors que d’une idée lancée par Malte Brun dans son traité intitulé Géographie universelle. Il y explique que pour explorer de vastes étendues désertiques dans des pays dépourvus de bêtes de somme fiables comme l’intérieur de l’Australie, la seule solution est d’importer des dromadaires d’Afrique ou d’Arabie. Il ajoute que des chiens, capables de détecter des sources d’eau et même des cochons, pour dénicher des racines et autres tubercules, seraient des accompagnateurs excellents pour l’intérieur de l’île continent.

L’idée était lancée, les Anglais régnaient sur un empire colonial immense où, dans certaines régions, les dromadaires ne manquaient pas, il ne restait plus qu’à passer des écrits aux actes.

Curieusement, on pouvait penser que la décision d’introduire des dromadaires en Australie viendrait d’une source officielle, du gouverneur par exemple ou de son administration. De fait, en 1839, le lieutenant colonel Georges Gawler suggéra à sa hiérarchie d’avoir recours à ces animaux infatigables pour entamer sérieusement l’exploration de l’intérieur du pays. En réalité, ce sont trois frères, représentant des intérêts privés, qui prirent l’initiative, en 1840, d’importer le premier couple de camélidés ; Henry Weston Phillips, Georges Phillips et G.M. Phillips passèrent commande aux îles Canaries, province alors espagnole, d’un couple de dromadaires.

Harry débarque seul en Australie

Ces animaux originaires du Sahara avaient été introduits avec succès aux Canaries en 1405 par un éleveur français originaire de Normandie. La race avait évolué dans cet environnement différent du sien pour donner naissance à une variété locale baptisée Majorero, plus destinée à la monte qu’à servir de viande de boucherie.

Deux « Majoreros » embarquèrent donc sur le navire « The Apolline », commandé par le capitaine William Deane, pour un très long voyage qui devait mener les deux animaux aux quais de Port Adelaïde le 12 octobre 1840. Malheureusement pour les frères Phillips, l’un des dromadaires était mort en cours de route. Un seul fut donc débarqué, en suscitant une très grande curiosité auprès de la population locale n’ayant jamais vu de « vaisseau du désert ». Immédiatement, il fut baptisé Harry et aurait pu avoir devant lui de belles années si un éleveur de la région n’avait pas eu l’idée, en 1846, de l’embarquer dans une exploration qui leur fut fatale à tous deux.

Horrocks, pionnier de la Clare Valley

La maison que les frères Horrocks firent construire en 1842 a été conservée. Elle est aujourd’hui classée monument historique dans ce coin de l’Australie méridionale.
John Ainsworth Horrocks était un citoyen britannique ayant vu le jour le 22 mars 1818 à Penwortham Lodge, près de Preston, dans le Lancashire. Il était arrivé en Australie en mars 1836 et à la suite de la découverte, à une centaine de kilomètres au nord-ouest d’Adélaïde, de Clare Valley, il fut le premier colon à venir s’y installer pour y fonder, le 16 janvier 1840, le village de Penwortham avec son frère Eustace, de cinq ans son cadet. Ils s’installèrent sur 960 acres de bonne terre. La Clare Valley est une région plaisante, fertile, peu arrosée et très propice à la culture de la vigne (on parle aujourd’hui, en Australie, de la « Clare Valley wine region »).

En 1842, les frères Horrocks posaient la première pierre de leur ferme, la Hope Farm ; ils disposaient déjà de 3500 moutons, de bétail et employaient vingt personnes.

Notre agriculteur éleveur aurait pu se contenter de mettre en valeur les terres qu’il avait acquises et qui lui permettaient d’ailleurs de plutôt bien vivre, d’autres colons de Grande-Bretagne, mais aussi de Silésie et de Pologne étant venus à leur tour développer ce petit coin de paradis. Mais voilà, Horrocks avait la bougeotte ; il était curieux, intrépide, explorateur dans l’âme et était loin d’être un simple paysan : son père, en effet, Peter Horrocks, était un riche investisseur qui avait un credo ; créer et développer des villes moyennes dans la prometteuse Australie.

Harry, l’atout de John Horrocks

John Horrocks n’avait pas le sou au moment où il décida de monter une expédition destinée à explorer les zones encore vierges du sud de l’île continent. En 1842-1843, il dut effectuer un aller-retour en Angleterre, à la mort de son père et à son retour, confronté à des problèmes financiers, il décida, malgré sa situation précaire (ou à cause d’elle), de tenter sa chance en repoussant son horizon. But de ce projet, découvrir de nouvelles terres propices à l’agriculture, les revendiquer pour pouvoir ensuite les revendre. Seul problème, une telle affaire ne s’improvisait pas car la résistance des hommes et des bêtes serait mise à rude épreuve dans l’intérieur des terres.

Horrocks avait pourtant dans sa manche un atout : il connaissait l’existence d’Harry, notre fameux dromadaire des îles Canaries, qui s’ennuyait ferme depuis son arrivée en Australie. Horrocks n’ignorait pas le potentiel de résistance de cet animal, capable de survivre et d’effectuer un portage en restant plusieurs jours sans boire.

Une expédition de 40 jours seulement

John Horrocks en pourparlers avec des Aborigènes, à proximité du lac Torrens.
Faute de moyens financiers adaptés à ses ambitions, John Horrocks décida de faire appel à des mécènes, en réalité des investisseurs désireux, comme lui, de découvrir de nouvelles terres susceptibles d’être mises en valeur et donc d’être revendiquées et exploitées ou revendues. Autre espoir pour les investisseurs, le repérage de possibles gisements d’or, de précédentes découvertes ayant enrichi les premiers prospecteurs à s’être installés sur les bons spots. Horrocks embaucha un garçon de talent, expérimenté, John Henry Theakston, qui était revenu vivant de l’expédition de John Charles Darke en 1844. Ce dernier avait trouvé la mort lors d’un périple, tué par des Aborigènes. Autre recrue bénévole de Horrocks, le peintre Samuel Tomas Gill (qui signait STG), un photographe et aquarelliste qui fut le témoin privilégié de la colonisation du sud de l’Australie. Quelques autres embauches complétèrent l’expédition renforcée par un jeune Aborigène, Jimmy Moorhouse.

Le départ fut donné au cœur de l’hiver austral, le 29 juillet 1846, depuis la propriété de Horrocks à Penwortham. Cap plein nord ! Malheureusement, l’escapade fut de courte durée. Le 8 septembre 1846, Horrocks, mal en point, dictait une lettre à E. Platt, honorable secrétaire de la Northern Expedition pour l’informer que les espoirs des investisseurs seraient déçus. Laissons la parole à John Horrocks lui-même, puisque nous avons retrouvé sa missive :

« Le chameau chargé à 356 livres »

Horrocks découvrant le panorama depuis une hauteur au-dessus de Depot Creek où il avait établi son campement.
« C’est avec le plus grand regret que je dois informer le comité et mes camarades colons qui ont souscrit ensemble aux frais de cette expédition de sa fin prématurée et malheureuse. Ayant fait une excursion, accompagné par M. Gill sur le haut plateau à l’ouest du lac Torrens afin de vérifier s’il était opportun de pratiquer dans les environs un dépôt (ndlr : une escale), mais n’ayant réussi à trouver ni eau ni herbe verte, je suis retourné à Depot Creek, décidé à entreprendre une excursion avec le chameau tant il était impossible d’envisager prendre des chevaux pour aller si loin dans cette région désolée et stérile.
Ayant observé au matin, la veille de mon départ, depuis le sommet de la chaîne de collines derrière Depot Creek, les paliers de la haute terre aperçue par MM. Eyre et Darke, et la distance que j’estimais à huit miles, je décidais de couper tout droit. Dans cette idée, je partis le 8 août, accompagné par MM. Gill et Kilroy, avec suffisamment de provisions pour trois semaines et dix gallons d’eau, le chameau ayant été chargé de 356 livres. Le premier jour de notre voyage nous amena à l’un des ruisseaux coulant depuis le lac Torrens vers le golfe, distant d’environ dix miles. Les quatre derniers miles se firent sur des collines de sable rouge couvertes d’avoine. »

Près du lac Torrens, tandis que John Horrocks surveille la cafetière, le dromadaire Harry broute tranquillement à deux pas du campement.

Doigts, joue et dents arrachés

« Au cinquième jour, après avoir couvert cinq miles, nous atteignîmes un grand lac salé d’environ dix miles de long et cinq de large. Du lieu où nous étions, nous pouvions voir le pays sur une distance d’au moins vingt-cinq miles. En contournant le lac, que je baptisais « Lac Gill », Bernard Kilroy, qui marchait en tête du groupe, stoppa, me disant qu’il voyait un bel oiseau, qu’il me suggéra de tuer pour l’ajouter à la collection. Mon fusil étant chargé avec une amorce dans un canon et une balle dans l’autre, j’arrêtais le chameau pour atteindre ma ceinture (ndlr : de munitions) à laquelle je ne pouvais pas accéder s’il n’était pas allongé. Tandis que M. Gill la débloquait, j’étais en train de tasser les plombs avec ma baguette me tenant le long du chameau. A ce moment-là, le chameau fit une embardée sur un côté et attrapa avec son chargement la détente de mon fusil, ce qui déchargea le canon que j’étais en train de charger ; son contenu m’arracha le doigt du milieu de ma main droite, entra dans ma joue gauche par la mâchoire du bas, arrachant une rangée de dents de ma mâchoire supérieure. »
Une des aquarelles de Gill montrant Harry, le dromadaire et Horrocks avec le fusil qui lui arracha un doigt, la joue gauche et des dents de la mâchoire supérieure.

« Abattez le chameau ! »

La cause était entendue ; gravement blessé, saignant abondamment, risquant une infection rapide, Horrocks fut ramené à son point de départ. L’apprenti-explorateur en voulait terriblement au destin et au dromadaire, et il demanda à ce que celui-ci, si lui-même venait à décéder, soit abattu.
Avant la fin du mois, le 23 septembre exactement, John Horrocks rendait son dernier soupir et ses compagnons, pour respecter les dernières volontés du défunt, abattirent le malheureux dromadaire qui ne comprit jamais qu’un simple faux mouvement de sa part lui avait coûté la vie. Une petite église fut bâtie à Penwortham et une plaque fut fixée à la mémoire de l’intrépide Horrocks, « l’explorateur tué par son chameau » comme la presse le surnomma bien vite.

Texte : Daniel Pardon

John Horrocks fut enterré dans le petit cimetière anglican de Penwortham et sa tombe s’y trouve toujours.

Pour marquer le 150e anniversaire de la mort du jeune explorateur, une plaque a été fixée à Penwortham en 1996.

Samuel Tomas Gill, qui signait STG, fut le peintre officiel, volontaire et bénévole de la tragique expédition.

Rédigé par Daniel PARDON le Jeudi 6 Juillet 2017 à 11:20 | Lu 1759 fois