Carnet de voyage - Île de Pâques : une langouste signa la fin des moai !


ÎLES DE PÂQUES, le 23 février 2017. Vous connaissez tous, au moins de nom, la carrière de moai du Rano Raraku, à l’île de Pâques. Des dizaines de statues sont encore en chantier, inachevées. Qui a fait cesser les travaux des sculpteurs ? Un ancien Rapa Nui l’a révélé à Tahiti Infos : une langouste…

Toki en mains, ils frappaient en cadence, du matin au soir, ne prenant leur repos qu’un bref moment à la mi-journée. Les sculpteurs du Rano Raraku étaient respectés dans les temps anciens, car c’étaient eux qui donnaient naissance aux statues géantes que chaque clan voulait toujours plus grosses sur les autels érigés devant les villages, les “ahu”.
Oui, mais voilà : la sculpture de gigantesques moai demandait de la force, de l’énergie, du temps. Et d’autres Pascuans devaient amener à leurs sculpteurs de quoi s’alimenter. Un clan, vivant en bord de mer, non loin de la carrière, était en charge, notamment, de cette mission.
Une vue du cratère du Rano Raraku ; le lac est un lieu de baignade. Sur la pente, on distingue des têtes de moai, émergeant de l’herbe haute.

La pente externe du Rano Raraku est couverte de statues aux trois-quarts enterrées.

Une langouste tueuse

Un jour, les pêcheurs partirent chercher poissons et langoustes pour rassasier les hommes qui taillaient la montagne. Ils plongèrent à maintes reprises dans l’océan toujours agité sur cette partie de la côte, mais à un moment, l’un des plongeurs ne remonta pas. Une énorme langouste l’avait attrapé et noyé au fond.

Six pêcheurs partirent à sa recherche. Les six moururent. Six autres les suivirent. Eux aussi disparurent…
Les pêcheurs n’avaient jamais entendu parler de langoustes dévoreuses d’hommes, assez grandes pour les attraper. L’un des jeunes du village imagina alors de confectionner un grand filet en forme de poche. Il descendit sous l’eau en ayant demandé, au préalable, aux autres de refermer la poche derrière la langouste lorsqu’elle sortirait de son trou pour l’attraper. Ce qui fut fait. Empêtrée dans le rets, la bête furieuse ne put résister à ceux qui la remontaient à la surface alors qu’elle gigotait maladroitement.

Ramenée à la côte, elle fut tuée, non sans mal, et les pêcheurs, en deuil de leurs treize camarades, décidèrent de la donner, avec leurs autres prises, aux tailleurs de moai.


“Laissez-m’en un morceau”

Une vieille femme fit la livraison du monstre. “Lorsqu’elle sera prête, mangez-la en m’en laissant un morceau”, leur indiqua-t-elle avant de partir. Les sculpteurs lâchèrent leur toki et creusèrent un grand four dans lequel ils jetèrent la bête énorme.

Sous la chaleur, elle devint rouge vif et lorsqu’elle fut bien cuite, ils la sortirent du fossé brûlant pour la dévorer. Ce qu’ils firent dans la plus grande bonne humeur. Jamais encore ils n’avaient eu à souper d’une si gigantesque bestiole sortie de la mer. Repus, fatigués, ils ne tardèrent pas à s’endormir, heureux de leur festin.


Une terrible punition

La vieille femme repassa à la carrière à la nuit, comme elle l’avait dit. Elle les trouva tous endormis et chercha sa part du festin, en vain. Ils avaient tout mangé, ils n’avaient pas tenu leur promesse. Furieuse, la sorcière, car la vieille femme avait un puissant mana, réveilla les gloutons et leur annonça qu’ils avaient commis une faute impardonnable. Elle était bien plus qu’une vieille femme, elle était un esprit venu les tester et ils avaient failli.

Leur punition serait terrible : l’île perdrait son mana, Rapa Nui n’aurait plus jamais de statues d’ancêtres, le Rano Raraku serait figé pour l’éternité. Terrorisés, les sculpteurs disparurent et personne n’osa plus venir tailler la roche. Les statues ne pouvaient plus être achevées ; elles étaient figées pour toujours ; les hommes avaient perdu tous leurs pouvoirs sur la pierre du Rano Raraku.

C’est ainsi qu’on n’entendit plus que le bruit du vent dans la carrière désertée. “Mata ki te Rangi” (”les yeux qui regardent le ciel“, nom polynésien de l’île de Pâques) était maudite et plus rien ne serait jamais comme avant.

Après, il y eut les guerres entre clans et les moai furent renversés. C’était la fin d’un monde ; pour éviter ce drame, il suffisait de partager la langouste…

Textes et photos : Daniel Pardon

Emblématiques sentinelles de la grande carrière abandonnée. Eux savent, mais ils ne parlent pas…

Emblématiques sentinelles de la grande carrière abandonnée. Eux savent, mais ils ne parlent pas…

Le Rano Raraku pratique

La vraie histoire

La vraie raison de la fin de la taille des moai et les conditions dans lesquelles la carrière du Rano Raraku cessa d’être exploitée sont inconnues, mais on sait que les Pascuans déboisèrent totalement leur île (modifiant son climat devenu plus aride), détruisirent leurs ressources naturelles et s’entre-tuèrent lorsqu’ils eurent fini de croire au mana de leurs moai. Moins d’un sur trois fut érigé sur les ahu : formidable gaspillage d’énergie par péché d’orgueil. On sait juste que c’est aux alentours de 1680 que la carrière fut abandonnée. Un culte abâtardi des moai se poursuivit artisanalement pendant au moins un siècle, pâle souvenir de la période de pleine activité du Rano Raraku (on voit quelques ébauches tardives de statues sur la partie supérieure du cratère). La légende de la langouste n’est qu’une métaphore de la réalité : tout manger, tout gaspiller sans prévoir le lendemain, sans se projeter dans le futur, c’est ce que firent les Pascuans avec leur environnement.

Pour y aller

Un vol hebdomadaire Latam, dans la nuit de lundi à mardi, sur Rapa Nui. Essayez d’organiser avec votre agent de voyages à Tahiti votre séjour “clés en mains” pour bénéficier de prix attractifs et ne pas avoir à trouver hébergement ou voiture de location sur place.

Pour découvrir l’île

Offrez-vous au moins une journée de tour en étant guidé par un professionnel. Vous verrez l’essentiel et vous pourrez alors revenir tranquillement, à pied, à cheval, ou en voiture sur les plus beaux sites.

Au Rano Raraku

Lorsque vous aurez visité la pente externe du volcan, n’oubliez pas de suivre les chemins sur la gauche qui vous mèneront à la lèvre du cratère. Il y a de nombreuses autres statues côté intérieur.

Le lac “baignable” ?

Des Pascuans, le week-end, durant la saison chaude, viennent parfois pique-niquer sur la rive opposée du volcan, de l’autre côté de son lac aux trois-quarts remplis de roseaux (les totoras). On peut s’y baigner ; avec un masque, on voit même de nombreux petits poissons argentés.

À éviter

- Ne déplacez pas les toki, ces haches de pierre rudimentaires qui servaient à sculpter les moai. On en trouve encore beaucoup autour des statues. Ne vous avisez pas d’essayer d’en ramener un (de toki), ça vous coûterait très cher…
- Ne montez jamais sur les moai couchés à terre et respectez les chemins et les indications. Les gardes veillent.
- Choisissez les heures creuses de la journée (le matin de bonne heure, ou en fin d’après-midi) pour voir les statues avec leurs ombres et tout leur relief, dans des ambiances tranquilles et des conditions de lumière satisfaisantes.

Ce moai est intéressant ; les Pascuans, tardivement, y ont gravé une silhouette de navire européen. Un “cargo cult” façon Rapa Nui ?

Le moai le plus atypique : Tuku Turi passait pour être très ancien ; il a, en fait, sans doute été sculpté au XIXe siècle par des marins d’origine marquisienne.

Le plus grand moai en chantier dans la carrière, Te Tokanga, mesurait 21,6 mètres pour un poids estimé à 180 tonnes. Devait-il vraiment être déplacé ?

Une ébauche maladroite de moai, sculptée après le renversement des statues, à une époque plus récente (XVIII ou XIXe siècle, probablement).

N’oubliez pas de vous rendre au sommet du Raro Raraku ; les Pascuans y ont creusé dans la roche de très étranges trous parfaitement ronds dont on ignore le véritable usage aujourd’hui encore. À l’arrière-plan, le Poike.

Un moai sculpté à l’intérieur du cratère ; sa mine est boudeuse…

Rédigé par Daniel PARDON le Jeudi 23 Février 2017 à 14:38 | Lu 7745 fois