Carnet de voyage - Gonzalo de Vigo, premier “Blanc” à avoir vécu en Océanie


Magellan avait embarqué avec lui, depuis le fleuve espagnol Guadalquivir, un jeune marin du nom de Gonzalo de Vigo, premier Blanc à avoir vécu en Océanie.
20 septembre 1519, bouche du Guadalquivir, devant les quais de Sanlucar de Barrameda : obscur marin sans grade, un dénommé Gonzalo Alvarez, fils de Rodrigo Álvarez et d’Isabel Martínez, regarde la terre d’Espagne qu’il pense quitter pour un ou deux ans et qu’en fait, il ne reverra plus jamais. Le Galicien, né dans la ville de Vigo, est à la manœuvre, à bord de l’une des cinq caraques composant la flotte de Ferdinand de Magellan…

But de l’expédition de Magellan : non pas faire le tour du monde, comme on le croit souvent, mais plus simplement, à partir des côtes de l’actuelle Argentine, découvrir une route menant aux îles aux épices, entendez les Moluques.
Avec Magellan, 237 hommes sont à bord des navires, la nef amirale, la Trinidad, étant commandée par Magellan lui-même. Le jeune Gonzalo figure sur le rôle de ce bateau de moins de trente mètres de long, jaugeant 85 tonneaux. A ses côtés, des marins venus de presque toute l’Europe : Espagnols, Portugais, Italiens, Grecs et même Français.

Disparition du Galicien

Le voyage sera long et périlleux. La traversée de la “mer du sud” que Magellan baptise “Pacifique” tant la météo est clémente, s’avère interminable.
Le 27 avril 1521, Magellan lui-même trouve la mort dans une bataille contre des indigènes des Philippines. Le nouveau commandant, Juan Sebastian Elcano, parviendra, sans l’avoir planifié ni cherché, en partant des Moluques, à boucler le premier tour du monde à bord de la Victoria, avec 18 hommes seulement (sur 237 au départ).

Quatre mois après le départ de la Victoria, qui fait route vers l’ouest, le seul autre bateau encore à flot de l’expédition de Magellan, la Trinidad, quitte à son tour les Moluques, avec 50 hommes à bord, commandés par João Lopes de Carvalho. Cap plein est, pour tenter d’atteindre le Mexique et Panama. La Trinidad n’ira, en fait, pas bien loin : elle est arraisonnée par les Portugais qui ne trouvent à bord que vingt marins très affaiblis, les autres étant morts des fièvres et du scorbut.

Gonzalo Alvarez ne fait pas partie des survivants, pas plus qu’il ne fait partie de la liste des morts. Où est donc passé le Galicien ?

Un “Indien” parlant castillan

Cinq ans plus tard… 15 septembre 1526, île de Guam, archipel des Mariannes : Alonso de Salazar, capitaine d’un bateau d’une nouvelle expédition espagnole conduite par Jofre de Loaysa, la Santa María de la Victoria (360 tonneaux), parvient en terre inconnue. Une urgence pour lui, faire de l’eau et trouver des vivres frais. Mais pour cela, il va falloir faire du troc, des échanges et se faire comprendre en évitant tout conflit. Au milieu des indigènes dont il redoute à juste titre l’agressivité, dans un petite pirogue, un homme le hèle : “tu arrives à la bonne heure…”.
Salazar est interloqué ; il examine le bonhomme, qui, bavard, s’explique bien volontiers. Il est certes vêtu, ou plutôt dévêtu comme un Indien, et rien ne le distingue des autres, mais le fait est qu’il parle castillan.

Laissons la plume à Gonzalo Fernández de Oviedo, chroniqueur de cette rencontre : “sur une île appelée Botaha, ils virent un chrétien dans une pirogue qui, en castillan leur dit : “tu arrives à la bonne heure, capitaine, maître et la compagnie”. Ceux du bateau lui répondirent avec beaucoup de plaisir qu’il était le bienvenu et ils l’interrogèrent pour savoir qui il était et d’où il venait ; il répondit ceci : Messieurs, je suis un marin de l’armada de Magellan et je viens du bateau du capitaine Gonçalo Gómez de Espinosa quand il est revenu aux Moluques On ne pouvait plus rentrer à la Nouvelle Espagne, et pour cette raison beaucoup de marins mourraient à bord. Avec deux compagnons portugais, nous avons quitté le bateau pour éviter de mourir, dans une île plus au nord de celle-ci ; là, mes deux compagnons ont été tués par des Indiens, pour ce qu’ils avaient commis, et après, ils m’ont amenés ici, dans cette île de Botaha avec quelques Indiens ; je suis Galicien, je m’appelle Gonzalo de Vigo et je connais bien la langue de ces îles”.

Le déserteur adopté par les Chamorros

Salazar n’est pas un imbécile ; l’expédition dont il est membre n’est pas en position de refuser une aide, fut-ce celle d’un déserteur. Car, on l’apprendra plus tard, en réalité, Gonzalo de Vigo est bien un déserteur, qui avait fui, en août 1522, le scorbut, la faim et le béribéri décimant l’équipage de la Trinidad. Son sort aurait pu être aussi sombre que celui des deux marins portugais avec lesquels il prit la poudre d’escampette : eux furent très rapidement tués par les Chamorros, mais ils épargnèrent pourtant de Vigo, qui, pendant quatre ans, s’intégra parfaitement à la vie tribale qui était devenue la sienne, apprenant la langue locale, les coutumes de ses hôtes et leur apportant sans doute des outils (couteau, sabre) et des savoir-faire nouveaux.

Quatre années après sa désertion, la prudence voulait qu’il demeure caché à la vue d’un navire espagnol. De Vigo paria que, compte tenu des difficultés qu’il avait connues à bord de la Trinidad, difficultés que devaient affronter l’équipage de ce navire, son capitaine ne ferait pas la fine bouche à l’idée de trouver un interprète capable de rassurer les Chamorros et de faire du troc ; vivres et eau contre verroterie.

Exploration des“îles des Voleurs”

C’est d’ailleurs la première des compétences qu’il mit en avant, le fait de connaître la langue de cet archipel. Pour autant, les présentations faites, de Vigo ne se précipita pas à bord de l’embarcation de Salazar ; il ne s’y risqua que lorsqu’il eut la certitude de ne réellement rien avoir à craindre. Salazar était bien conscient d’avoir trouvé en de Vigo la perle rare et une sorte d’assurance-vie. Il lui offrit le gîte et le couvert, à condition qu’il reste sur le navire le temps de l’exploration des Mariannes (qui ne furent baptisées ainsi qu’en 1688, en l’honneur de Marie-Anne d’Autriche, veuve du roi Philippe IV d’Espagne).

A cette époque, le seul nom de cet archipel était autrement plus évocateur : Magellan avait surnommé ces terres “Las Islas de los Ladrones” (Les îles des Voleurs), eu égard aux habitudes détestables des insulaires vis-à-vis de ses équipages. Autre atout de l’interprète, sa relative connaissance de la langue malaise, des commerçants venus de Malaisie sillonnant régulièrement cette partie du Pacifique.

De fait, à peine de Vigo à bord, les indigènes rassurés quant aux intentions des Espagnols envers celui qui était devenu l’un des leurs, noix de coco, calebasses pleines d’eau fraîche, poissons, bananes, patates douces, riz, sel, fruits tropicaux inondèrent rapidement le pont du bateau ; en quelques jours, l’équipage moribond de Salazar reprit des forces et le capitaine décida de poursuivre son exploration de l’archipel, où, partout, grâce à de Vigo, l’accueil fut le même.

En plus de parler la langue, le déserteur connaissait plutôt bien la région sur le plan géographique, ce qui était sans prix pour les Espagnols avançant, avant cela, au petit bonheur la chance.

Cap sur les Moluques, à l’est

Fernández de Navarrete explique ainsi, dans sa chronique de l’expédition, que grâce à de Vigo, ils apprirent que trois îles principales formaient l’archipel, que ces îles s’étendaient du nord au sud entre 12 et 19° de latitude nord, et qu’ils n’y trouveront ni bétail, ni volaille et autres animaux domestiques, mais qu’en revanche, elles regorgent de riz, de poissons, de cocos, d’huile de coco et de sel.

Les remarques de Gonzalo de Vigo, si elles sont bien rapportées par le chroniqueur, sont étonnantes, car l’Espagnol devenu “Indien” avait déserté aux îles de Maug et avait été amené sur l’île principale de Guam, au sud, à plus de 2 500 km de son point de départ. Il ne pouvait pas ignorer que les Mariannes, sur cette distance, formaient un chapelet de très nombreuses îles et que ses habitants, bien entendu, connaissaient les coqs et les poules, comme les chiens.

L’embauche de Gonzalo de Vigo formalisée, Salazar remonta ses ancres et décida de filer en direction des Moluques, les fameuses îles aux épices. Un mois plus tard, en octobre, le navire faisait escale à Mindanao (Philippines). Là encore, les connaissances de Gonzalo s’avérèrent essentielles pour permettre aux Espagnols de faire du troc et d’obtenir tous les vivres dont ils avaient besoin. L’expédition sympathisa même avec le roi, mais l’arrivée d’un homme de Malacca, qui prit ces Européens pour des Portugais, gâcha quelque peu l’ambiance.

Le nouvel arrivant mit en garde le roi, en lui expliquant qu’il savait comment ils finissaient par traiter les indigènes, la plupart du temps en les tuant. Le lendemain, la donne avait changé, les insulaires refusèrent tout troc et tentèrent même de capturer de Vigo, qui parvint à regagner la chaloupe avec laquelle il avait débarqué. Le contact amical ne fut jamais rétabli à Mindanao…

Mauvaise surprise pour les Portugais

Après cette île, le bateau parvint à Cebu puis, le 22 octobre, à l’île de Talao, aux Célèbes (Sulawesi aujourd’hui). Là encore, les Espagnols pactisèrent avec le roi grâce à l’entremise de l’incontournable Gonzalo, dont le rôle finit par perdre de son intérêt quand les Espagnols, naviguant sur une mer portugaise, établirent des contacts avec ces derniers. Les conquistadores entraient là dans une autre dimension : les Portugais étaient présents en Extrême-Orient depuis 1505 et tenaient le détroit de Malacca sous leur contrôle depuis 1511. De même, ils avaient fait main basse sur les Moluques, contrôlant et commerçant : Bacan, Jailolo (Gilolo), Ternate et Tidore étaient les quatre piliers de cet archipel. Mieux même, dans la foulée, les Lusitaniens multiplièrent les échanges commerciaux avec les Célèbes, et jusqu’à l’extrémité ouest de la Nouvelle-Guinée. Ils étaient donc dans leurs eaux, avec des troupes, des bateaux, des armes, des contacts, des forts, des ports, des alliés. L’arrivée inopinée, par l’est, d’Espagnols ne pouvait que très désagréablement les surprendre.

Les Espagnols sans espoir

Le conflit armé était inévitable et les Espagnols, encore au nombre de 120 sur la Victoria ne manquèrent ni de hardiesse ni de bravoure pour tenter de s’imposer sur mer comme sur terre. Mais face à la puissance portugaise dans cet archipel (dont les épices commençaient à leur rapporter une fortune), il était clair que les chances espagnoles étaient minces.

La suite de l’expédition des Ibères sonna le glas de leurs espoirs. Ils eurent beau faire état d’instructions de leur empereur pour justifier leur présence dans ces contrées, la réplique portugaise fut très ferme : alors que la Victoria faisait une descente sur Tidore (entre les Célèbes et la Nouvelle-Guinée) le 1er janvier 1927, les Lusitaniens répliquèrent par une attaque avec plusieurs bâtiments armés.

Gonzalo de Vigo, à son échelle, tentera de jouer parfois les intermédiaires entre les deux pays, Espagne et Portugal.
Mais les jeux étaient faits, les Espagnols ne reviendraient pas aux Moluques (ce n’est qu’en 1565 qu’ils réapparurent en Asie pour ajouter un archipel de plus à leur empire colonial, les Philippines, où ils ne trouvèrent pas d’or ni d’épices, mais où ils évangélisèrent à tour de bras).

Daniel Pardon

C’est sur l’île de Maug, au nord des Mariannes, que débarqua de Vigo, avant, finalement, d’être amené sur l’île principale de Guam.

Voici la toute première carte, des plus imprécises, établie après le tour du monde de quelques hommes partis avec Magellan. Les Mariannes étaient déjà appelées les “îles des Voleurs” (isole de li ladroni).

Ce n’est pas Magellan, mais un de ses lieutenants, Juan Sebastian Elcano, qui bouclé le premier tour du monde, en ramenant 18 hommes sur 237. De Vigo avait préféré déserté aux Mariannes…

Gonzalo : retour aux Mariannes ?

Que devint Gonzalo de Vigo ? En 1533, il fait encore parler de lui à Jailolo (Gilolo). Dix-sept malheureux Espagnols, dont l’interprète, sont en garnison sur l’île. Une flotte portugaise arrive, les tensions entre indigènes qui ne savent quel camp choisir, Espagnols ou Portugais, sont à leur comble quand le capitaine de la petite garnison envoie de Vigo parlementer. L’affaire se termine par une fraternisation surréaliste, avec embrassades, entre les ennemis de toujours et les “Gilolanos”.
Après 1533, c’est le grand vide : Gonzalo de Vigo disparaît de la carte.
En 1536, soit onze ans après le départ de leur expédition, les rares Espagnols survivants rentrent en Europe, ramenés par des Portugais. Ils sont alors commandés par Andres de Urdaneta. Le roi du Portugal récupéra toutes les riches informations détenues par les Espagnols au terme de leur interminable périple. Une liste des survivants est établie, mais Gonzalo de Vigo n’en fait pas partie.
Selon les historiens espagnols, il ne fait pas de doute que le premier Espagnol à avoir vécu à la mode indigène aux îles Mariannes, est tout simplement rentré chez lui, à Guam, pour y finir sa vie auprès de ceux qui étaient devenus les siens.
C’est la thèse que soutien le professeur Oscar Ferreiro, de l’Université de Vigo, qui a étudié avec minutie le parcours exceptionnel du premier “homme blanc” à s’être installé en Océanie.

Les premières gravures de l’époque montrent que les contacts avec les indigènes n’étaient pas forcément faciles, loin de là !

Les premières gravures de l’époque montrent que les contacts avec les indigènes n’étaient pas forcément faciles, loin de là !

Les premières gravures de l’époque montrent que les contacts avec les indigènes n’étaient pas forcément faciles, loin de là !

De Vigo décrit les Chamorros

(Les Chamoros)… étaient des hommes très bien bâtis, se déplaçant nus. Même les femmes montraient leurs parties intimes. Les villages se faisaient la guerre entre eux… Il y avait un roi par village et le peuple adorait ses morts. Quand ils avaient enterré un de leurs chefs, et quand ils avaient pu constater que son corps était décomposé, ils récupéraient les os et les vénéraient.
Les Chamorros, apparemment, adoptèrent Gonzalo de Vigo, alors qu’ils avaient tué les deux compagnons avec lesquels il avait déserté.

Une très belle collection de bijoux chamorros, datant de la période pré européenne, un ensemble qui donne une idée du goût des habitants de Guam pour les ornements corporels.

Les Chamorros ne sculptaient ni tiki ni moai, mais ils édifiaient de spectaculaires constructions de pierres surmontées d’un chapeau, les “Latte stones”. Celles-ci auraient servi de fondations à de vastes maisons de bois.

Rédigé par Daniel PARDON le Vendredi 23 Septembre 2016 à 09:32 | Lu 1696 fois