Le marquis du Breil de Rays, dans sa tenue de “souverain” de la Nouvelle-France océanienne : il n’avait jamais mis un pied dans notre région, mais son grand-oncle, Hilarion du Breil de Rays Port-Briand fit le tour du monde avec Lapérouse, en tant que second sur la Boussole.
Le personnage dont nous allons évoquer la destinée est une énigme encore aujourd’hui : mégalomane, escroc, doux rêveur, fieffé inconscient, il n’a jamais mis, de sa vie, un pied en Océanie ; et pourtant, il était surnommé “Charles 1er d’Océanie”, régnant sur la “Nouvelle France”, une entité géopolitique créée par lui-même depuis sa Bretagne natale. Ce territoire recouvrait une partie de la Nouvelle-Guinée, la Nouvelle-Irlande, la Nouvelle-Bretagne, les îles Salomon, entre autres, soit une part importante de la Mélanésie. L’affaire ne mériterait pas une ligne si la force de conviction de ce marquis n’avait permis d’envoyer 600 colons naïfs sur “ses” terres, où, dans des conditions terribles, près de 150 d’entre eux moururent…
Qui était donc le marquis Charles Bonaventure Marie du Breil de Rays, nobliau breton né le 2 janvier 1832 rue des Fontaines, à Lorient ? Assurément un grand voyageur au début de sa vie d’adulte, puisqu’il est allé en Amérique, mais aussi à La Réunion, à Madagascar, au Sénégal, en Indochine, en Amérique centrale, avant de revenir dans sa Bretagne natale, puis de s’installer, en mars 1880, en Espagne, pour diriger son royaume du bout du monde, baptisé “la Nouvelle France”.
Être à la tête d’un pays
“Au fou !” crieront certains, en apprenant qu’après bien des tentatives de lancement d’ambitieux projets aux colonies et ailleurs, l’entrepreneur raté décida, cette fois-ci en restant dans son fauteuil, de se créer un royaume bien à lui, à l’autre bout du monde. Faute de réussite dans les divers pays où il avait sévi, il jeta son dévolu sur des zones blanches du vaste Pacifique, peu explorées, mal connues, mais pourtant pas inhabitées, que ce soit par des indigènes ou par des colons. Dans ses rêves, il voulait être à la tête d’un pays, il le créa… sur le papier.
Dix ans après son retour d’Indochine, alors qu’il est au conseil municipal de la commune de Bannalec, qu’il est consul de Bolivie à Brest, et qu’il caresse l’idée de créer un tramway entre Quimper et Audierne, Du Breil de Rays juge qu’il est temps pour lui de réaliser ses ambitions. Il fait publier en février 1877, dans deux journaux, la petite annonce suivante : “Colonie libre de Port-Breton, terres à 5 francs l’hectare, fortune rapide et assurée, pour tout renseignement, s’adresser à M. Du Breil de Rays, consul de Bolivie, château de Quimerc’h en Bannalec, Finistère”.
“Colonie libre et catholique”
En 1879, la petite annonce précisera “colonie libre et catholique”. Initialement, le marquis visait la côte ouest de l’Australie, mais il devait se soumettre aux Anglais et cela, il ne le voulait pas. Il chercha donc des terres vierges, en Mélanésie, et les trouva en choisissant d’établir sa capitale en Nouvelle-Irlande ; pour donner des frontières à sa Nouvelle-France, il annexa, de fait, l’actuelle Papouasie Nouvelle-Guinée, la Nouvelle-Irlande et la Nouvelle-Bretagne, la Louisiade, Bougainville, Choiseul et, pour faire bonne mesure, toutes les îles Salomon, Guadalcanal compris. Pour capitale, il choisit, en Nouvelle-Irlande, l’ex Port-Praslin de l’explorateur français Duperrey, qui y avait mouillé en 1823 pendant neuf jours, site rebaptisé Port-Breton. C’est là que la farce se transforma très vite en tragédie pour des centaines d’immigrés…
Le meilleur moyen de faire fortune
A l’époque, fonder des colonies semblait être le meilleur moyen de faire fortune. L’église, de son côté, se démenait également pour envoyer un peu partout des missionnaires. En France, les tensions politiques étaient vives entre républicains anti-cléricaux et légitimistes catholiques. De Rays comprit très vite qu’il pourrait surfer sur les peurs et le mécontentement de ces derniers pour récolter les fonds nécessaires au lancement de son entreprise. En mars 1878, le marquis ouvrit une agence à Paris avec l’aide d’un ancien notaire véreux (dont il se séparera vite). Une autre agence vit le jour à Quimper. Les fonds commencèrent à arriver, le nombre d’adhérents à grimper : soit des investisseurs, soit des candidats au départ, “pour faire fortune” les uns comme les autres.
Le 1er mars 1879, Du Breil annonça la clôture de la première souscription le 30 mars, mais devant l’afflux de capitaux, celle-ci sera reportée au mois de mai. Face à un auditoire captif, à Marseille, le marquis prononça le discours qui servira de référence à son entreprise dont la devise serait “foi, travail et prière”, pour civiliser les barbares en collaborant avec eux, mais sans (trop) les dominer.
L’interdit du ministre
Le 24 juillet 1879, Tirard, ministre de l’Agriculture et du Commerce, interdit tout recrutement vers l’Océanie, alors que le marquis prépare déjà le départ du premier groupe de colons à bord du “Chandernagor”. Si la plainte du ministre se solda par un non-lieu pour De Rays, en revanche, l’interdit demeurait valable et le “Chandernagor”, devenu navire américain par une vente fictive, se retrouva à Anvers, prêt à embarquer les colons volontaires.
Mais les Belges n’étaient pas dupes, et finalement, le bateau dût se rendre à Flessingue, en Hollande, avant de pouvoir charger marchandises et passagers. Mi-septembre 1879, le “Chandernagor” comptait, en plus d’un équipage improvisé, 82 émigrants : 25 Français, 6 Belges, 40 Allemands, 11 Italiens et Suisses. A bord, un ancien commissaire de police, Titeu de la Croix de Villebranche, nommé gouverneur de Port-Breton. Le bateau parti nuitamment le 14 septembre, direction Port-Breton…
Une machine de propagande
Depuis juin 1879, Du Breil avait lancé un journal, baptisé “La Nouvelle-France”, qui se révéla être une extraordinaire machine de propagande, masquant les échecs répétés de l‘installation des colons et enjolivant la réalité pour “plumer les gogos”.
Menacé par les autorités françaises qui voyaient en ce Breton un dangereux escroc, le marquis s’installe à Barcelone, en Espagne, en mars 1880. En janvier, le “Changernagor” arriva à Port Breton, en mars, le “Génil” quittera l’Europe, suivi en juillet de l’“India”, puis du “Nouvelle-Bretagne” en mars 1881. Au total, 600 colons partiront à l’aventure, sans autre garantie que les belles paroles de Du Breil et la prose dithyrambique du journal “La Nouvelle France” (qui n’interrompit sa parution qu’en mai 1885, bien après le naufrage du projet).
En plein enfer vert
Faut-il décrire, en détail, les mésaventures de ces émigrés, arrivés à destination sans aucune préparation, ignorant tout des conditions climatiques très éprouvantes de la région où ils débarquaient, des pluies incessantes, de la boue, des fièvres et maladies, de l’indifférence voire de l’hostilité des indigènes ? A terre, l’espace de vie était très étroit, les pentes des montagnes venant quasiment lécher le rivage. Impossible de défricher sérieusement dans cet enfer vert, impossible aussi d’entretenir des jardins, des plantations, impossible évidemment et à plus forte raison de bâtir un embryon de ville, avec des quais, des rues, des maisons… Sur place, les complices du marquis montrèrent l’étendue de leur incompétence et de leur lâcheté devant les problèmes.
La “terre promise” n’était qu’une anse minuscule encadrée par un marigot funeste, lui-même enserré par des montagnes impénétrables. Très vite, des colons abandonnèrent Port-Breton pour un autre site, Likiliki. Soixante d’entre eux y furent abandonnés par leur piètre gouverneur, qui partit avec une partie des vivres et du matériel.
Des sociétés fictives…
En Europe, le marquis poursuivait ses chimères ; il créa notamment, en France, la Société des Fermiers Généraux, destinée à gérer les terres achetées par les investisseurs et que Du Breil disait faire exploiter par des Chinois et des Indiens. Un deuxième non-lieu pour émigration clandestine le conforta dans son délire et il créa, dans la foulée, la Société des Sucreries et Distilleries de la Nouvelle France, pour exploiter les plantations (inexistantes) de cannes à sucre, puis la Société franco-océanienne des mines de Nouvelle-France pour l'exploitation des supposés gisements de cuivre.
La presse était, bien entendu, très divisée sur cette entreprise plus que louche.
Concrètement les deux premières expéditions, celle du “Chandernagor” et celle du “Génil”, se soldèrent par 27 morts et 21 disparus ; une trentaine s’était réfugiée en Australie, d’autres en Nouvelle-Calédonie et enfin certains s’étaient éparpillés dans les îles pour y tenter leur chance, faute de moyens pour rentrer chez eux.
Le sort du convoi de l’“India”, parti de Barcelone le 6 juillet 1880 et arrivé non sans mal à Likiliki le 14 octobre 1880 ne fut pas meilleur, les colons survivants (51 morts), des Italiens pour nombre d’entre eux, en grande détresse, étant évacués en Nouvelle-Calédonie en février 1881, avant d’être conduits à Sydney en avril de la même année.
De désastre en désastre
Pendant ce temps en France, malgré le retour de quelque survivants du “Chandernagor” qui racontèrent leur tragique voyage, un quatrième bateau, le “Nouvelle-Bretagne” parvint à quitter Barcelone le 7 mars 1881. Lui aussi transportait son lot de colons naïfs et pour lui aussi, l’odyssée fut rocambolesque.
Finalement, de désastre en désastre, la colonie de Port-Breton fut définitivement abandonnée le 13 février 1882, deux navires procédant à l’évacuation. Les survivants croisèrent la route d’Emma Coe et de son époux (voir Tahiti Infos du 17-12-2005) ; après un mois de dures négociations, ils acceptèrent de rapatrier les rescapés en Australie où ils se dispersèrent. Au passage, le couple Coe-Farrell procéda à un véritable pillage de ce qui restait de la colonie, navires compris.
En une phrase, le Maryborough Chronicle, résuma l’état des rescapés en Australie : “ce sont, pour plus de la moitié, des femmes et des enfants tous plus semblables à des squelettes qu’à des êtres humains”.
Sans avoir jamais mis un pied en Océanie, le marquis de Rays, depuis sa lointaine Espagne, avait réussi à expédier 600 personnes dans cette folle aventure et près de 150 y trouvèrent la mort. Le rapatriement en Europe, des survivants, ne fut, bien entendu, jamais payé. La plupart restèrent en Australie, contraints et forcés…
Daniel Pardon
Qui était donc le marquis Charles Bonaventure Marie du Breil de Rays, nobliau breton né le 2 janvier 1832 rue des Fontaines, à Lorient ? Assurément un grand voyageur au début de sa vie d’adulte, puisqu’il est allé en Amérique, mais aussi à La Réunion, à Madagascar, au Sénégal, en Indochine, en Amérique centrale, avant de revenir dans sa Bretagne natale, puis de s’installer, en mars 1880, en Espagne, pour diriger son royaume du bout du monde, baptisé “la Nouvelle France”.
Être à la tête d’un pays
“Au fou !” crieront certains, en apprenant qu’après bien des tentatives de lancement d’ambitieux projets aux colonies et ailleurs, l’entrepreneur raté décida, cette fois-ci en restant dans son fauteuil, de se créer un royaume bien à lui, à l’autre bout du monde. Faute de réussite dans les divers pays où il avait sévi, il jeta son dévolu sur des zones blanches du vaste Pacifique, peu explorées, mal connues, mais pourtant pas inhabitées, que ce soit par des indigènes ou par des colons. Dans ses rêves, il voulait être à la tête d’un pays, il le créa… sur le papier.
Dix ans après son retour d’Indochine, alors qu’il est au conseil municipal de la commune de Bannalec, qu’il est consul de Bolivie à Brest, et qu’il caresse l’idée de créer un tramway entre Quimper et Audierne, Du Breil de Rays juge qu’il est temps pour lui de réaliser ses ambitions. Il fait publier en février 1877, dans deux journaux, la petite annonce suivante : “Colonie libre de Port-Breton, terres à 5 francs l’hectare, fortune rapide et assurée, pour tout renseignement, s’adresser à M. Du Breil de Rays, consul de Bolivie, château de Quimerc’h en Bannalec, Finistère”.
“Colonie libre et catholique”
En 1879, la petite annonce précisera “colonie libre et catholique”. Initialement, le marquis visait la côte ouest de l’Australie, mais il devait se soumettre aux Anglais et cela, il ne le voulait pas. Il chercha donc des terres vierges, en Mélanésie, et les trouva en choisissant d’établir sa capitale en Nouvelle-Irlande ; pour donner des frontières à sa Nouvelle-France, il annexa, de fait, l’actuelle Papouasie Nouvelle-Guinée, la Nouvelle-Irlande et la Nouvelle-Bretagne, la Louisiade, Bougainville, Choiseul et, pour faire bonne mesure, toutes les îles Salomon, Guadalcanal compris. Pour capitale, il choisit, en Nouvelle-Irlande, l’ex Port-Praslin de l’explorateur français Duperrey, qui y avait mouillé en 1823 pendant neuf jours, site rebaptisé Port-Breton. C’est là que la farce se transforma très vite en tragédie pour des centaines d’immigrés…
Le meilleur moyen de faire fortune
A l’époque, fonder des colonies semblait être le meilleur moyen de faire fortune. L’église, de son côté, se démenait également pour envoyer un peu partout des missionnaires. En France, les tensions politiques étaient vives entre républicains anti-cléricaux et légitimistes catholiques. De Rays comprit très vite qu’il pourrait surfer sur les peurs et le mécontentement de ces derniers pour récolter les fonds nécessaires au lancement de son entreprise. En mars 1878, le marquis ouvrit une agence à Paris avec l’aide d’un ancien notaire véreux (dont il se séparera vite). Une autre agence vit le jour à Quimper. Les fonds commencèrent à arriver, le nombre d’adhérents à grimper : soit des investisseurs, soit des candidats au départ, “pour faire fortune” les uns comme les autres.
Le 1er mars 1879, Du Breil annonça la clôture de la première souscription le 30 mars, mais devant l’afflux de capitaux, celle-ci sera reportée au mois de mai. Face à un auditoire captif, à Marseille, le marquis prononça le discours qui servira de référence à son entreprise dont la devise serait “foi, travail et prière”, pour civiliser les barbares en collaborant avec eux, mais sans (trop) les dominer.
L’interdit du ministre
Le 24 juillet 1879, Tirard, ministre de l’Agriculture et du Commerce, interdit tout recrutement vers l’Océanie, alors que le marquis prépare déjà le départ du premier groupe de colons à bord du “Chandernagor”. Si la plainte du ministre se solda par un non-lieu pour De Rays, en revanche, l’interdit demeurait valable et le “Chandernagor”, devenu navire américain par une vente fictive, se retrouva à Anvers, prêt à embarquer les colons volontaires.
Mais les Belges n’étaient pas dupes, et finalement, le bateau dût se rendre à Flessingue, en Hollande, avant de pouvoir charger marchandises et passagers. Mi-septembre 1879, le “Chandernagor” comptait, en plus d’un équipage improvisé, 82 émigrants : 25 Français, 6 Belges, 40 Allemands, 11 Italiens et Suisses. A bord, un ancien commissaire de police, Titeu de la Croix de Villebranche, nommé gouverneur de Port-Breton. Le bateau parti nuitamment le 14 septembre, direction Port-Breton…
Une machine de propagande
Depuis juin 1879, Du Breil avait lancé un journal, baptisé “La Nouvelle-France”, qui se révéla être une extraordinaire machine de propagande, masquant les échecs répétés de l‘installation des colons et enjolivant la réalité pour “plumer les gogos”.
Menacé par les autorités françaises qui voyaient en ce Breton un dangereux escroc, le marquis s’installe à Barcelone, en Espagne, en mars 1880. En janvier, le “Changernagor” arriva à Port Breton, en mars, le “Génil” quittera l’Europe, suivi en juillet de l’“India”, puis du “Nouvelle-Bretagne” en mars 1881. Au total, 600 colons partiront à l’aventure, sans autre garantie que les belles paroles de Du Breil et la prose dithyrambique du journal “La Nouvelle France” (qui n’interrompit sa parution qu’en mai 1885, bien après le naufrage du projet).
En plein enfer vert
Faut-il décrire, en détail, les mésaventures de ces émigrés, arrivés à destination sans aucune préparation, ignorant tout des conditions climatiques très éprouvantes de la région où ils débarquaient, des pluies incessantes, de la boue, des fièvres et maladies, de l’indifférence voire de l’hostilité des indigènes ? A terre, l’espace de vie était très étroit, les pentes des montagnes venant quasiment lécher le rivage. Impossible de défricher sérieusement dans cet enfer vert, impossible aussi d’entretenir des jardins, des plantations, impossible évidemment et à plus forte raison de bâtir un embryon de ville, avec des quais, des rues, des maisons… Sur place, les complices du marquis montrèrent l’étendue de leur incompétence et de leur lâcheté devant les problèmes.
La “terre promise” n’était qu’une anse minuscule encadrée par un marigot funeste, lui-même enserré par des montagnes impénétrables. Très vite, des colons abandonnèrent Port-Breton pour un autre site, Likiliki. Soixante d’entre eux y furent abandonnés par leur piètre gouverneur, qui partit avec une partie des vivres et du matériel.
Des sociétés fictives…
En Europe, le marquis poursuivait ses chimères ; il créa notamment, en France, la Société des Fermiers Généraux, destinée à gérer les terres achetées par les investisseurs et que Du Breil disait faire exploiter par des Chinois et des Indiens. Un deuxième non-lieu pour émigration clandestine le conforta dans son délire et il créa, dans la foulée, la Société des Sucreries et Distilleries de la Nouvelle France, pour exploiter les plantations (inexistantes) de cannes à sucre, puis la Société franco-océanienne des mines de Nouvelle-France pour l'exploitation des supposés gisements de cuivre.
La presse était, bien entendu, très divisée sur cette entreprise plus que louche.
Concrètement les deux premières expéditions, celle du “Chandernagor” et celle du “Génil”, se soldèrent par 27 morts et 21 disparus ; une trentaine s’était réfugiée en Australie, d’autres en Nouvelle-Calédonie et enfin certains s’étaient éparpillés dans les îles pour y tenter leur chance, faute de moyens pour rentrer chez eux.
Le sort du convoi de l’“India”, parti de Barcelone le 6 juillet 1880 et arrivé non sans mal à Likiliki le 14 octobre 1880 ne fut pas meilleur, les colons survivants (51 morts), des Italiens pour nombre d’entre eux, en grande détresse, étant évacués en Nouvelle-Calédonie en février 1881, avant d’être conduits à Sydney en avril de la même année.
De désastre en désastre
Pendant ce temps en France, malgré le retour de quelque survivants du “Chandernagor” qui racontèrent leur tragique voyage, un quatrième bateau, le “Nouvelle-Bretagne” parvint à quitter Barcelone le 7 mars 1881. Lui aussi transportait son lot de colons naïfs et pour lui aussi, l’odyssée fut rocambolesque.
Finalement, de désastre en désastre, la colonie de Port-Breton fut définitivement abandonnée le 13 février 1882, deux navires procédant à l’évacuation. Les survivants croisèrent la route d’Emma Coe et de son époux (voir Tahiti Infos du 17-12-2005) ; après un mois de dures négociations, ils acceptèrent de rapatrier les rescapés en Australie où ils se dispersèrent. Au passage, le couple Coe-Farrell procéda à un véritable pillage de ce qui restait de la colonie, navires compris.
En une phrase, le Maryborough Chronicle, résuma l’état des rescapés en Australie : “ce sont, pour plus de la moitié, des femmes et des enfants tous plus semblables à des squelettes qu’à des êtres humains”.
Sans avoir jamais mis un pied en Océanie, le marquis de Rays, depuis sa lointaine Espagne, avait réussi à expédier 600 personnes dans cette folle aventure et près de 150 y trouvèrent la mort. Le rapatriement en Europe, des survivants, ne fut, bien entendu, jamais payé. La plupart restèrent en Australie, contraints et forcés…
Daniel Pardon
Sur cette carte de la Nouvelle-France, on mesure le ambitions de Du Breil : faire main basse sur quasiment les trois-quarts de la Mélanésie.
Tout ce qu’il reste de la colonisation de Port-Breton ; quelques pièces de fonte, des débris épars que la jungle a avalés.
Ces bons de propriété (un hectare) ont rapporté une fortune au marquis. Il les vendait d’abord 5 Francs, puis 10, puis 20 … Il aurait récolté environ 9 millions de Francs de l’époque.
Condamnation et oubli…
Après ce désastre humain -et financier-, le marquis de Rays eut à répondre de ses actes devant la Justice. Il tenta d’abord d’obtenir un certificat de résidence permanente en Espagne pour échapper aux poursuites en France, car dans l’Hexagone, les plaintes se multipliaient au fur et à mesure de la déconfiture de cette colonisation ratée. Début juillet 1882, malgré ses appuis, Charles est arrêté à Madrid et remis au consul de France. On rapporte que de Rays tenta de se jeter sous un train à Bayonne. Il arriva bien vivant à Paris en juillet 1882 ; pour lui commençait une longue instruction menée en France certes, mais aussi en Australie auprès des survivants et en Espagne, où le marquis avait œuvré. Sur 20 800 souscripteurs ayant confié leurs économies à Charles de Rays, 200 environ avaient porté plainte : contravention aux lois de l’émigration, escroquerie, homicides par imprudence, le dossier du marquis pesait lourd. Le 12 juin 1883, après une instruction controversée, notamment entre Espagnols et Français, le procès s’ouvrit, onze complices de Charles de Rays, dont trois en fuite, étant également jugés. Le verdict tomba finalement le 2 janvier 1884 devant une foule considérable, l’affaire ayant été très largement médiatisée : de Rays écopait de quatre années de prison ferme et d’une amende de 3 000 francs pour escroquerie (il avait encaissé 9 millions !), les charges d’homicide étant abandonnées. Le 22 avril, devant la cour d’appel, le marquis et ses complices retrouvaient les juges. Le 14 mai, la cour confirma les condamnations, de Rays ayant vendu tous ses biens pour dédommager ses créanciers, et se retrouvant ruiné. Le 15 juillet, le journal du marquis, La Nouvelle France, faute de moyens, annonça la cessation de sa publication, l’ultime numéro étant daté d’octobre 1885.
Une fois sa peine purgée, de Rays revint sur ses terres, à Bannalec, en Bretagne. Sa famille était surendettée et il dut vendre sa propriété de Quimer’ch (cent hectares tout de même, avec un manoir) le 4 janvier 1888. Restait une propriété à Kermadoué, qui fut, elle aussi, mise aux enchères et vendue le 29 août 1888.
Le marquis se retira alors à Rosporden, dans une maison louée et se fit oublier. Pas longtemps, puisqu’il se lança dans la commercialisation d’une poudre de granit destinée à permettre aux femmes d’avorter ! Toujours aussi créatif, le nobliau ruiné eut encore quelques soucis avec police et justice à cause de son élixir abortif rapidement interdit à la vente.
Nostalgique de sa Nouvelle France océanienne, il conserva, chez lui, une couronne royale sous verre. L’ex-Charles 1er d’Océanie, le 28 juillet 1893, fut victime d’un malaise et décéda le lendemain, à 61 ans. Il fut enterré au cimetière de Bannalec, dans l’indifférence et l’anonymat.
Après ce désastre humain -et financier-, le marquis de Rays eut à répondre de ses actes devant la Justice. Il tenta d’abord d’obtenir un certificat de résidence permanente en Espagne pour échapper aux poursuites en France, car dans l’Hexagone, les plaintes se multipliaient au fur et à mesure de la déconfiture de cette colonisation ratée. Début juillet 1882, malgré ses appuis, Charles est arrêté à Madrid et remis au consul de France. On rapporte que de Rays tenta de se jeter sous un train à Bayonne. Il arriva bien vivant à Paris en juillet 1882 ; pour lui commençait une longue instruction menée en France certes, mais aussi en Australie auprès des survivants et en Espagne, où le marquis avait œuvré. Sur 20 800 souscripteurs ayant confié leurs économies à Charles de Rays, 200 environ avaient porté plainte : contravention aux lois de l’émigration, escroquerie, homicides par imprudence, le dossier du marquis pesait lourd. Le 12 juin 1883, après une instruction controversée, notamment entre Espagnols et Français, le procès s’ouvrit, onze complices de Charles de Rays, dont trois en fuite, étant également jugés. Le verdict tomba finalement le 2 janvier 1884 devant une foule considérable, l’affaire ayant été très largement médiatisée : de Rays écopait de quatre années de prison ferme et d’une amende de 3 000 francs pour escroquerie (il avait encaissé 9 millions !), les charges d’homicide étant abandonnées. Le 22 avril, devant la cour d’appel, le marquis et ses complices retrouvaient les juges. Le 14 mai, la cour confirma les condamnations, de Rays ayant vendu tous ses biens pour dédommager ses créanciers, et se retrouvant ruiné. Le 15 juillet, le journal du marquis, La Nouvelle France, faute de moyens, annonça la cessation de sa publication, l’ultime numéro étant daté d’octobre 1885.
Une fois sa peine purgée, de Rays revint sur ses terres, à Bannalec, en Bretagne. Sa famille était surendettée et il dut vendre sa propriété de Quimer’ch (cent hectares tout de même, avec un manoir) le 4 janvier 1888. Restait une propriété à Kermadoué, qui fut, elle aussi, mise aux enchères et vendue le 29 août 1888.
Le marquis se retira alors à Rosporden, dans une maison louée et se fit oublier. Pas longtemps, puisqu’il se lança dans la commercialisation d’une poudre de granit destinée à permettre aux femmes d’avorter ! Toujours aussi créatif, le nobliau ruiné eut encore quelques soucis avec police et justice à cause de son élixir abortif rapidement interdit à la vente.
Nostalgique de sa Nouvelle France océanienne, il conserva, chez lui, une couronne royale sous verre. L’ex-Charles 1er d’Océanie, le 28 juillet 1893, fut victime d’un malaise et décéda le lendemain, à 61 ans. Il fut enterré au cimetière de Bannalec, dans l’indifférence et l’anonymat.
Voici ce que l’on peut lire sur la tombe du marquis : FAMILLE du BREIL de RAYS. ICI REPOSENT Monsieur Charles Bonnaventure Marie DUBREIL Marquis de RAYS Né le 2 janvier 1832 Décédé le 29 juillet 1893. Priez pour lui (ndlr : et sa fille Emelie Marie, morte à un an). Aucune allusion à Port-Breton…
Une des rares photos des 60 colons arrivés à Likiliki après avoir quitté Port-Breton ; ils ne résisteront pas au climat et à l’environnement hostile.
Cette gravure montre le “Chandernagor” quittant Le Havre et Anvers, pour l’improbable aventure de Port-Breton.
A Likiliki aussi, de restes de la tragique tentative de colonisation rouillèrent de nombreuses années sur la plage et dans la forêt avoisinante.
A lire
- L’odyssée de Port-Breton (biographie)
Le rêve océanien du marquis de Rays
Par Daniel Raphalen
Ed : Les Portes du Large (1986)
- L'Eden du Pacifique (histoire)
Par Jean Lucas-Dubreton
Ed. NRF Gallimard (1929)
- Port-Tarascon (roman)
Alphonse Daudet (1890)
- Port Eden (roman)
Jean-Michel Barrault
Arthaud (2013)
- La colonie libre de Port-Breton. Nouvelle-France en Océanie
(Conférence faite par le marquis Du Breil de Rays en 1879)
Hachette-BNF (2013)
- L’odyssée de Port-Breton (biographie)
Le rêve océanien du marquis de Rays
Par Daniel Raphalen
Ed : Les Portes du Large (1986)
- L'Eden du Pacifique (histoire)
Par Jean Lucas-Dubreton
Ed. NRF Gallimard (1929)
- Port-Tarascon (roman)
Alphonse Daudet (1890)
- Port Eden (roman)
Jean-Michel Barrault
Arthaud (2013)
- La colonie libre de Port-Breton. Nouvelle-France en Océanie
(Conférence faite par le marquis Du Breil de Rays en 1879)
Hachette-BNF (2013)
Le livre référence pour connaître tous les détails de cette funeste épopée.