Le père Damien photographié en 1873 ; il a 33 ans et vient de débarquer à Molokai pour se consacrer aux damnés de Hawaii, les lépreux.
HAWAII, le 2 décembre 2016. Molokai, aujourd’hui, évoque surtout une course de pirogues de haute mer, dans le chenal qui sépare cette île de Oahu et plus précisément de Waikiki. Il y a plus d’un siècle, la discrète île hawaïenne avait une autre vocation que les joies de la pagaie : elle abritait la plus ancienne léproserie américaine. Dans ce mouroir sordide, le rebus de l’humanité était entassé sans beaucoup de soins (on ne connaissait pas de remèdes à l’effrayante maladie) et surtout sans affection ni attention. Jusqu’à ce que s’y installe un personnage exceptionnel, Jozef de Veuster, plus connu sous son autre nom de Père Damien. L’homme s’est donné corps et âme aux lépreux, au point d’y perdre la vie, devenu lui aussi lépreux…
Peut-on parler de camp de concentration lorsque l’on évoque la léproserie de la péninsule de Kaulaupapa ? La comparaison avec la tragédie de la Shoah nous l’interdit, mais, de fait, à partir de 1865, les autorités américaines, ne sachant que faire des lépreux de l’archipel hawaiien, et constatant que la maladie était aussi contagieuse qu’incurable, décidèrent de recenser et de déporter dans ce coin perdu de l’archipel hawaiien toutes les personnes souffrant de la maladie de Hansen.
Parqués comme des animaux
L’intention était louable, car seul l’isolement permettait d’enrayer le mal alors incurable et horriblement mutilant. C’était surtout les populations indigènes qui souffraient de cette affection (qui était apparue vers 1820, de Chine), et, il faut bien l’avouer, du côté des pouvoirs publics, on ne se bousculait pas au portillon pour aller s’occuper de ces malades ; infirmières et médecins pouvaient à l’extrême limite soulager, mais sûrement pas guérir. C’est pourquoi l’évêque catholique d’Honolulu, face à la détresse des lépreux parqués comme des animaux, finit par lancer un appel aux volontaires chez les missionnaires en poste dans l’archipel. Un homme encore jeune, en pleine force de l’âge (33 ans), fit savoir qu’à défaut de médecine, il était volontaire pour aller porter un réconfort spirituel aux malades de Kaulaupapa.
Avec lui, trois autres missionnaires répondirent présent à l’appel de leur évêque.
Le 10 mai 1873, le Père Damien débarqua à Molokai.
La presse locale acclama le courage de ces missionnaires, qu’elle qualifia de héros. Plus que de l’héroïsme, c’était quasiment une mission suicide que ceux-ci exécutaient…
Saint Damien l’anargyre
Le petit Jozef (Jef) de Veuster avait vu le jour bien loin de Hawaii, le 3 janvier 1840, dans un hameau du Brabant flamand en Belgique, Ninde de Tremelo. Il était d’une famille relativement aisée, le père, Frans de Veuster, étant un négociant en grains, plus spécialement en maïs. Avec sa femme, Anna-Katrien Wouters, il eut sept enfants, Jef étant le petit dernier. Un de ses frères, Auguste, aura la vocation et deviendra prêtre, mais sa santé ne lui permettra jamais de partir en mission loin de son pays. Damien, au contraire, était un garçon robuste. Ses études furent brillantes, en flamand comme en français.
Après l’école de Werchter, puis celle de Braine-le-Comte, il partit à Louvain en 1859 pour entrer chez les Pères des Sacrés-Coeurs de Jésus et de Marie, appelés les Picpus. Son noviciat achevé à Louvain, il se rendit à Paris pour y prononcer ses vœux, au siège de sa congrégation, rue de Picpus. Dès son noviciat, il avait choisi de s’appeler Damien, en référence à Saint Damien l’anargyre, le soigneur qui refusait de se faire payer (et qui fut martyrisé en 310 sous Dioclétien). Il prononça ses vœux le 7 octobre 1860 ; après de solides études de grec, de latin, de philosophie et de théologie, il revint à Louvain pour se préparer au sacerdoce.
A Honolulu à 24 ans
Son frère Auguste est appelé en octobre 1863 à partir pour le Pacifique Sud. Mais le Père Pamphyle (son nom de religieux), tout juste ordonné prêtre, est gravement malade ; le typhus le cloue au lit et son frère, Damien, saisit l’occasion pour demander à le remplacer. Il s’embarque le 30 octobre 1863, alors âge de 23 ans seulement. Son destin est scellé, il sera prêtre missionnaire.
Mais pour cela, il lui faut d’abord parvenir à bon port, en l’occurrence celui d’Honolulu qu’il atteint le 19 mars 1864, tout juste âgé de 24 ans. Le 21 mai de la même année, il est ordonné prêtre dans la cathédrale alors modeste d’Honolulu, pour enfin pouvoir se consacrer à sa mission : évangéliser, soulager, soigner.
Il fait ses premières armes sur la grande île d’Hawaii, à Puna, au pied du volcan Kilauea. Quand il ne prêche pas, quand il ne convertit pas, il bâtit des chapelles et, bien vite, il est surnommé le prêtre menuisier.
En 1866, il est transféré dans les districts de Kohala et de Hamakua. Il est alors seul prêtre en poste et souffre de cette solitude spirituelle. Un frère l’aide tout de même pour la construction des chapelles, une croisade que Damien mène contre l’ennemi déclaré, le protestant.
Les adversaires de Damien voient, évidemment, d’un très mauvais œil ce missionnaire zélé et bâtisseur. L’époque est loin de l’oecuménisme d’aujourd’hui… Malgré les conflits, fréquents, Damien ne baisse jamais les bras, jusqu’à cette annonce de son évêque, à la recherche de volontaires pour les lépreux de Molokai.
Une “marchandise” à hauts risques
Dans la péninsule de Kaulaupapa, les lépreux arrivent par dizaines, par centaines même, au rythme des bateaux qui acceptent de transporter cette “marchandise” à hauts risques pour en débarrasser les îles.
Damien, en débarquant, trouve sur place des condamnés à mort sans aucun secours spirituel : Les pauvres chrétiens à moitié mourant criaient à grands cris pour avoir un prêtre avec eux. Pendant sept ans, bien des malheureux sont morts sans recevoir soit le baptême, soit les sacrements des mourants.”
L’ampleur de la tache est énorme. Damien se retrouve avec quelques 800 lépreux à gérer. Détail, il n’y a aucun médecin sur l’île. Dans un tel incubateur, la maladie fait des ravages et les services funèbres se suivent à une cadence élevée. La léproserie n’a de léproserie que le nom. C’est tout juste un camp, rien de plus.
Damien, on l’a vu, est un bâtisseur. Pour ses malades, il veut plus et mieux. Partageant la vie de chacun, sans se soucier de la contagion, il construit une école, une église, il fait tracer des chemins, il bâtit un dispensaire, il regroupe les orphelins, si nombreux, il structure sa petite communauté en marge du reste du monde.
Un dévouement sans borne
Un médecin visite de temps à autre la léproserie ; entre 1833 et 1888, Arthur Mouritz, sans religion, assure une tournée régulière. Il est médusé par le dévouement sans borne de Damien ; même ses ennemis de toujours, les protestants, ne cachent pas leur admiration pour cet homme infatigable qui, pour sa part, continue à ne pas les aimer. D’ailleurs, la léproserie est officiellement administrée par un fonctionnaire, un protestant luthérien allemand, qui s’assure que les lépreux arrivent et ne repartent pas. Lui aussi ne cache pas son admiration pour ce prêtre catholique présent sur tous les fronts.
A Honolulu, comme dans tout le reste de l’archipel, personne n’ignore le travail extraordinaire du Père Damien et d’ailleurs, en 1881, il est fait chevalier commandeur dans l’ordre royal de Kalakaua par la princesse Liliuokalani, régente du Royaume de Hawaii. C’est la plus haute distinction que l’on puisse accorder à un homme et Damien, malgré son humilité, est très touché par cette reconnaissance officielle.
1884 : le couperet tombe
En décembre 1884 pourtant, le couperet tombe. Damien a constaté depuis quelque temps que sa peau a changé. Le docteur Arning lui confirme ce qu’il pressentait : Damien est lépreux, diagnostic qui sera ensuite confirmé en janvier. Mycobacterium leprae a envahi son organisme, il est trop tard pour faire quoi que ce soit, le prêtre n’est plus maître de son destin. Il est parfaitement lucide quand il confie à un de ses amis, Charles Stoddard : “Je suis réputé moi-même attaqué de la terrible maladie. Les microbes de la lèpre se sont finalement nichés dans ma jambe gauche et dans mon oreille. Ma paupière commence à tomber”.
L’évêque rend la nouvelle publique, et l’affaire devient très vite internationale ; le martyr est salué partout, les dons se multiplient pour aider la léproserie, le journal anglais The Times ouvre même une souscription via un ecclésiastique anglican, le docteur Chapman : Damien et sa léproserie deviennent tout d’un coup un centre d’intérêt dépassant largement les frontières de l’archipel hawaiien, à tel point que des volontaires viennent le rejoindre ; l’abbé Condardy dès le mois de mai 1888, suivi de trois religieuses de l’ordre de Saint François en novembre de la même année.
Au travail jusqu’au bout
Malgré les progrès d’une maladie invalidante, Damien poursuit ses efforts ; il gère désormais deux villages de lépreux, Kalaupapa, mais aussi Kalawao. Le prêtre bâtisseur n’a rien perdu de son énergie, s’efforçant de reconstruire l’église, de tracer une route entre les deux villages et même d’installer des conduites d’eau. Financièrement, il en a les moyens, grâce au soutien financier qu’il reçoit de l’extérieur.
En revanche, sa hiérarchie apprécie peu la “starisation” du prêtre dont la renommée est désormais internationale. Et de cela, il souffrira, confessera-t-il, autant que de la lèpre. Finalement, à bout de forces, il cesse son travail au tout début du mois d’avril 1889 et rend son dernier souffle le 15 de ce même mois à Kalaupapa bien sûr, au milieu de ses lépreux. Il a alors 49 ans seulement…
Il sera canonisé le 11 octobre 209 par Benoît XVI, après avoir été béatifié le 4 juin 1995 par Jean-Paul II. “Damien de Molokai” est fêté chaque année le 10 mai.
Daniel Pardon
Peut-on parler de camp de concentration lorsque l’on évoque la léproserie de la péninsule de Kaulaupapa ? La comparaison avec la tragédie de la Shoah nous l’interdit, mais, de fait, à partir de 1865, les autorités américaines, ne sachant que faire des lépreux de l’archipel hawaiien, et constatant que la maladie était aussi contagieuse qu’incurable, décidèrent de recenser et de déporter dans ce coin perdu de l’archipel hawaiien toutes les personnes souffrant de la maladie de Hansen.
Parqués comme des animaux
L’intention était louable, car seul l’isolement permettait d’enrayer le mal alors incurable et horriblement mutilant. C’était surtout les populations indigènes qui souffraient de cette affection (qui était apparue vers 1820, de Chine), et, il faut bien l’avouer, du côté des pouvoirs publics, on ne se bousculait pas au portillon pour aller s’occuper de ces malades ; infirmières et médecins pouvaient à l’extrême limite soulager, mais sûrement pas guérir. C’est pourquoi l’évêque catholique d’Honolulu, face à la détresse des lépreux parqués comme des animaux, finit par lancer un appel aux volontaires chez les missionnaires en poste dans l’archipel. Un homme encore jeune, en pleine force de l’âge (33 ans), fit savoir qu’à défaut de médecine, il était volontaire pour aller porter un réconfort spirituel aux malades de Kaulaupapa.
Avec lui, trois autres missionnaires répondirent présent à l’appel de leur évêque.
Le 10 mai 1873, le Père Damien débarqua à Molokai.
La presse locale acclama le courage de ces missionnaires, qu’elle qualifia de héros. Plus que de l’héroïsme, c’était quasiment une mission suicide que ceux-ci exécutaient…
Saint Damien l’anargyre
Le petit Jozef (Jef) de Veuster avait vu le jour bien loin de Hawaii, le 3 janvier 1840, dans un hameau du Brabant flamand en Belgique, Ninde de Tremelo. Il était d’une famille relativement aisée, le père, Frans de Veuster, étant un négociant en grains, plus spécialement en maïs. Avec sa femme, Anna-Katrien Wouters, il eut sept enfants, Jef étant le petit dernier. Un de ses frères, Auguste, aura la vocation et deviendra prêtre, mais sa santé ne lui permettra jamais de partir en mission loin de son pays. Damien, au contraire, était un garçon robuste. Ses études furent brillantes, en flamand comme en français.
Après l’école de Werchter, puis celle de Braine-le-Comte, il partit à Louvain en 1859 pour entrer chez les Pères des Sacrés-Coeurs de Jésus et de Marie, appelés les Picpus. Son noviciat achevé à Louvain, il se rendit à Paris pour y prononcer ses vœux, au siège de sa congrégation, rue de Picpus. Dès son noviciat, il avait choisi de s’appeler Damien, en référence à Saint Damien l’anargyre, le soigneur qui refusait de se faire payer (et qui fut martyrisé en 310 sous Dioclétien). Il prononça ses vœux le 7 octobre 1860 ; après de solides études de grec, de latin, de philosophie et de théologie, il revint à Louvain pour se préparer au sacerdoce.
A Honolulu à 24 ans
Son frère Auguste est appelé en octobre 1863 à partir pour le Pacifique Sud. Mais le Père Pamphyle (son nom de religieux), tout juste ordonné prêtre, est gravement malade ; le typhus le cloue au lit et son frère, Damien, saisit l’occasion pour demander à le remplacer. Il s’embarque le 30 octobre 1863, alors âge de 23 ans seulement. Son destin est scellé, il sera prêtre missionnaire.
Mais pour cela, il lui faut d’abord parvenir à bon port, en l’occurrence celui d’Honolulu qu’il atteint le 19 mars 1864, tout juste âgé de 24 ans. Le 21 mai de la même année, il est ordonné prêtre dans la cathédrale alors modeste d’Honolulu, pour enfin pouvoir se consacrer à sa mission : évangéliser, soulager, soigner.
Il fait ses premières armes sur la grande île d’Hawaii, à Puna, au pied du volcan Kilauea. Quand il ne prêche pas, quand il ne convertit pas, il bâtit des chapelles et, bien vite, il est surnommé le prêtre menuisier.
En 1866, il est transféré dans les districts de Kohala et de Hamakua. Il est alors seul prêtre en poste et souffre de cette solitude spirituelle. Un frère l’aide tout de même pour la construction des chapelles, une croisade que Damien mène contre l’ennemi déclaré, le protestant.
Les adversaires de Damien voient, évidemment, d’un très mauvais œil ce missionnaire zélé et bâtisseur. L’époque est loin de l’oecuménisme d’aujourd’hui… Malgré les conflits, fréquents, Damien ne baisse jamais les bras, jusqu’à cette annonce de son évêque, à la recherche de volontaires pour les lépreux de Molokai.
Une “marchandise” à hauts risques
Dans la péninsule de Kaulaupapa, les lépreux arrivent par dizaines, par centaines même, au rythme des bateaux qui acceptent de transporter cette “marchandise” à hauts risques pour en débarrasser les îles.
Damien, en débarquant, trouve sur place des condamnés à mort sans aucun secours spirituel : Les pauvres chrétiens à moitié mourant criaient à grands cris pour avoir un prêtre avec eux. Pendant sept ans, bien des malheureux sont morts sans recevoir soit le baptême, soit les sacrements des mourants.”
L’ampleur de la tache est énorme. Damien se retrouve avec quelques 800 lépreux à gérer. Détail, il n’y a aucun médecin sur l’île. Dans un tel incubateur, la maladie fait des ravages et les services funèbres se suivent à une cadence élevée. La léproserie n’a de léproserie que le nom. C’est tout juste un camp, rien de plus.
Damien, on l’a vu, est un bâtisseur. Pour ses malades, il veut plus et mieux. Partageant la vie de chacun, sans se soucier de la contagion, il construit une école, une église, il fait tracer des chemins, il bâtit un dispensaire, il regroupe les orphelins, si nombreux, il structure sa petite communauté en marge du reste du monde.
Un dévouement sans borne
Un médecin visite de temps à autre la léproserie ; entre 1833 et 1888, Arthur Mouritz, sans religion, assure une tournée régulière. Il est médusé par le dévouement sans borne de Damien ; même ses ennemis de toujours, les protestants, ne cachent pas leur admiration pour cet homme infatigable qui, pour sa part, continue à ne pas les aimer. D’ailleurs, la léproserie est officiellement administrée par un fonctionnaire, un protestant luthérien allemand, qui s’assure que les lépreux arrivent et ne repartent pas. Lui aussi ne cache pas son admiration pour ce prêtre catholique présent sur tous les fronts.
A Honolulu, comme dans tout le reste de l’archipel, personne n’ignore le travail extraordinaire du Père Damien et d’ailleurs, en 1881, il est fait chevalier commandeur dans l’ordre royal de Kalakaua par la princesse Liliuokalani, régente du Royaume de Hawaii. C’est la plus haute distinction que l’on puisse accorder à un homme et Damien, malgré son humilité, est très touché par cette reconnaissance officielle.
1884 : le couperet tombe
En décembre 1884 pourtant, le couperet tombe. Damien a constaté depuis quelque temps que sa peau a changé. Le docteur Arning lui confirme ce qu’il pressentait : Damien est lépreux, diagnostic qui sera ensuite confirmé en janvier. Mycobacterium leprae a envahi son organisme, il est trop tard pour faire quoi que ce soit, le prêtre n’est plus maître de son destin. Il est parfaitement lucide quand il confie à un de ses amis, Charles Stoddard : “Je suis réputé moi-même attaqué de la terrible maladie. Les microbes de la lèpre se sont finalement nichés dans ma jambe gauche et dans mon oreille. Ma paupière commence à tomber”.
L’évêque rend la nouvelle publique, et l’affaire devient très vite internationale ; le martyr est salué partout, les dons se multiplient pour aider la léproserie, le journal anglais The Times ouvre même une souscription via un ecclésiastique anglican, le docteur Chapman : Damien et sa léproserie deviennent tout d’un coup un centre d’intérêt dépassant largement les frontières de l’archipel hawaiien, à tel point que des volontaires viennent le rejoindre ; l’abbé Condardy dès le mois de mai 1888, suivi de trois religieuses de l’ordre de Saint François en novembre de la même année.
Au travail jusqu’au bout
Malgré les progrès d’une maladie invalidante, Damien poursuit ses efforts ; il gère désormais deux villages de lépreux, Kalaupapa, mais aussi Kalawao. Le prêtre bâtisseur n’a rien perdu de son énergie, s’efforçant de reconstruire l’église, de tracer une route entre les deux villages et même d’installer des conduites d’eau. Financièrement, il en a les moyens, grâce au soutien financier qu’il reçoit de l’extérieur.
En revanche, sa hiérarchie apprécie peu la “starisation” du prêtre dont la renommée est désormais internationale. Et de cela, il souffrira, confessera-t-il, autant que de la lèpre. Finalement, à bout de forces, il cesse son travail au tout début du mois d’avril 1889 et rend son dernier souffle le 15 de ce même mois à Kalaupapa bien sûr, au milieu de ses lépreux. Il a alors 49 ans seulement…
Il sera canonisé le 11 octobre 209 par Benoît XVI, après avoir été béatifié le 4 juin 1995 par Jean-Paul II. “Damien de Molokai” est fêté chaque année le 10 mai.
Daniel Pardon
Le père Damien dans les dernières années de sa vie. Il a alors 45 ans passés et la maladie de Hansen a fait des ravages sur son corps mutilé (Photo : William Brigham).
L’odieuse rumeur
A l’époque de Damien, les origines de la lèpre n’étaient pas connues. On savait que la maladie était très contagieuse, mais les pires suppositions circulaient quant au mode de transmission de l’affection. Une des rumeurs d’alors voulait que la lèpre soit une maladie sexuellement transmissible ; on l’associait étroitement à la syphilis (elle en aurait été le prolongement). Il n’en fallait pas plus pour que certains de ceux qui jalousaient Damien répandent l’odieuse rumeur de relations sexuelles coupables entre le prêtre et certaines de ses malades.
L’affaire fera grand bruit au sein de la hiérarchie de l’église et Damien sera même obligé, pour prouver sa bonne foi, de se soumettre à un examen médical approfondi réalisé par le docteur Arning, pour que la preuve soit apportée qu’il n’était pas porteur de la syphilis. De cette terrible expérience, Damien sortira écoeuré et plus seul que jamais. Il se rendit bien compte qu’après une telle salissure, même si son innocence avait été prouvée, il resterait toujours une ombre sur son travail pourtant exemplaire. De toutes les façons, sa hiérarchie n’appréciait pas son vedettariat et il le perçut d’autant plus qu’on lui demanda, avec insistance, d’espacer ses visites à Honolulu et de demeurer à Molokai autant que faire se pouvait.
Après la mort de Damien, Robert Louis Stevenson mena une enquête approfondie à Hawaii sur le père Damien, tant auprès de ses partisans que de ses détracteurs (L’écrivain séjourna 5 mois en 1889 à Honolulu). Ce qu’il apprit le conforta dans ses certitudes ; de retour à Londres, il publia, dans le quotidien The Times, un article lavant de tout soupçon le père Damien, réduisant à néant les fausses rumeurs ayant pu circuler sur celui que beaucoup considéraient déjà comme un saint.
Oui, Damien avait bien respecté scrupuleusement son vœu de chasteté et non, il n’avait jamais cherché à se mettre en valeur personnellement. Stevenson fut précis : c’était avant tout la jalousie exacerbée des missionnaires protestants qui était à l’origine de toutes les salissures reçues par Damien de son vivant et après sa mort. Sa conduite avait, en effet, amené au catholicisme de très nombreux Hawaiiens, qui s’étaient détournés par là même du protestantisme amidonné de l’époque.
A l’époque de Damien, les origines de la lèpre n’étaient pas connues. On savait que la maladie était très contagieuse, mais les pires suppositions circulaient quant au mode de transmission de l’affection. Une des rumeurs d’alors voulait que la lèpre soit une maladie sexuellement transmissible ; on l’associait étroitement à la syphilis (elle en aurait été le prolongement). Il n’en fallait pas plus pour que certains de ceux qui jalousaient Damien répandent l’odieuse rumeur de relations sexuelles coupables entre le prêtre et certaines de ses malades.
L’affaire fera grand bruit au sein de la hiérarchie de l’église et Damien sera même obligé, pour prouver sa bonne foi, de se soumettre à un examen médical approfondi réalisé par le docteur Arning, pour que la preuve soit apportée qu’il n’était pas porteur de la syphilis. De cette terrible expérience, Damien sortira écoeuré et plus seul que jamais. Il se rendit bien compte qu’après une telle salissure, même si son innocence avait été prouvée, il resterait toujours une ombre sur son travail pourtant exemplaire. De toutes les façons, sa hiérarchie n’appréciait pas son vedettariat et il le perçut d’autant plus qu’on lui demanda, avec insistance, d’espacer ses visites à Honolulu et de demeurer à Molokai autant que faire se pouvait.
Après la mort de Damien, Robert Louis Stevenson mena une enquête approfondie à Hawaii sur le père Damien, tant auprès de ses partisans que de ses détracteurs (L’écrivain séjourna 5 mois en 1889 à Honolulu). Ce qu’il apprit le conforta dans ses certitudes ; de retour à Londres, il publia, dans le quotidien The Times, un article lavant de tout soupçon le père Damien, réduisant à néant les fausses rumeurs ayant pu circuler sur celui que beaucoup considéraient déjà comme un saint.
Oui, Damien avait bien respecté scrupuleusement son vœu de chasteté et non, il n’avait jamais cherché à se mettre en valeur personnellement. Stevenson fut précis : c’était avant tout la jalousie exacerbée des missionnaires protestants qui était à l’origine de toutes les salissures reçues par Damien de son vivant et après sa mort. Sa conduite avait, en effet, amené au catholicisme de très nombreux Hawaiiens, qui s’étaient détournés par là même du protestantisme amidonné de l’époque.
Enterré en Belgique… et à Molokai
Le corps de Damien a été ramené en Belgique en 1936, par le navire “Mercator”, qui avait effectué une mission scientifique à l’île de Pâques avec deux ethnologues et archéologues de renom, Métraux et Lavachery.
La dépouille a ensuite été conduite d’Anvers à Louvain, où Damien de Molokai repose, dans la crypte de l’institution.
Mais en 1995, après sa béatification par Jean-Paul II, une relique, sa main droite, a été renvoyée à Molokai. En grande pompe le 22 juillet 1995, elle a été enterrée au village de Kalawao, dans la tombe où Damien avait reposé pendant plus de 40 ans après son décès.
Le corps de Damien a été ramené en Belgique en 1936, par le navire “Mercator”, qui avait effectué une mission scientifique à l’île de Pâques avec deux ethnologues et archéologues de renom, Métraux et Lavachery.
La dépouille a ensuite été conduite d’Anvers à Louvain, où Damien de Molokai repose, dans la crypte de l’institution.
Mais en 1995, après sa béatification par Jean-Paul II, une relique, sa main droite, a été renvoyée à Molokai. En grande pompe le 22 juillet 1995, elle a été enterrée au village de Kalawao, dans la tombe où Damien avait reposé pendant plus de 40 ans après son décès.
Le père Damien sur son lit de mort, amaigri, épuisé, son oreille droite rongée par la lèpre. Il sait qu’il ne se relèvera plus. Il a 49 ans et semble à la fois terrorisé et affligé.
Damien, avant que la maladie ne le frappe (1870 probablement), au milieu de jeunes orphelines lépreuses à Kalaupapa.
Damien entouré de ses petits lépreux, alors qu’il est lui-même très affaibli par la maladie. Il cessera le travail quinze jours avant sa mort seulement…
Deux missionnaire (à droite du cliché) et les lépreux de Kalawao autour de la tombe de Damien, qui reposa 47 ans sur son île, avant que son corps ne soit rapatrié en Belgique.
La péninsule de Kalaupapa aujourd’hui ; une léproserie y subsiste, abritant une quinzaine de malades non contagieux, soignés et choyés.
L’église Sainte-Philomène, sur le camp de Kalaupapa ; son clocher n’est pas encore achevé et le campement est très rudimentaire. 8 000 lépreux mourront à Molokai.
Cérémonie majestueuse que celle qui fut organisée le 3 mai 1936 à Anvers, lorsque le corps de Damien fut rapatrié en Belgique.
Emouvant montage de vieilles photos d’enfants lépreux de Kalawao et de Kalaupapa ; la lèpre avait fait son apparition vers 1820 à Hawaii, amenée par des travailleurs chinois. Les plus touchés furent les indigènes hawaiiens.
Les lépreux de Molokai en 1905 ; ils étaient encore 750 environ au seul village de Kalaupapa. Leur vie était dure, brutale, sans beaucoup de soutien ni d'aide.