Carnet de voyage - 1535 : Tomas de Berlanga découvre un enfer, les Galapagos !


L’un des rares portraits de l’évêque de Panama, découvreur, bien malgré lui, des îles Galapagos dont il brossa un sombre portrait.
ÎLES GALAPAGOS, le 25 octobre 2018. Les marins sont ainsi faits que quelques détails dans une escale peuvent masquer l’intérêt réel de leur havre : la preuve nous en est donnée par les deux premiers découvreurs des actuelles îles Galapagos, le frère Tomas de Berlanga, évêque de Panama, qui en repartit à jamais dégoûté, convaincu que si l’enfer avait un visage sur terre, il devait ressembler à ces îles volcaniques, et, en 1546, un conquistador malheureux, chassé du Pérou, le capitaine Diego de Rivadeneira : lui les nomma immédiatement « Las Islas Encantadas », comprenez « les îles ensorcelées », car il vit dans ce biotope harmonieux et préservé des hommes un site possédé par on ne sait quel démon.

Le vaste Pacifique offre un carré d’as en matière de destinations de rêve, avec Big Island et ses volcans à Hawaii, les Marquises en Polynésie française, l’île de Pâques à l’est du triangle polynésien et enfin les îles Galapagos, au large de l’Equateur. Si vous prenez le temps d’y ajouter l’archipel de Juan Fernandez au large de Valparaiso, vous obtiendrez cinq joyaux naturels ayant gardé beaucoup de leur cachet, même si la pression touristique devient très lourde à Big Island, à l’île de Pâques et aux Galapagos.

La théorie de Darwin

Les Galapagos sont réellement sorties d’un relatif anonymat après le passage de Charles Darwin à bord du « Beagle ». Le scientifique avait en effet découvert quelque chose d’incroyable en étudiant des fossiles en Argentine, mais ce qu’il souhaitait c’était valider sa théorie, celle de l’évolution, dans une nature bien vivante.

L’archipel des Galapagos allait lui fournir matière à conforter ce dont il était persuadé, grâce à l’observation des miminis, des passereaux plus connus comme étant les « pinsons de Darwin ».

Tous sont du même genre, mais tous sont des espèces différentes ayant évolué en fonction de leur nourriture et de leur milieu. C’est à son retour en Angleterre, plusieurs années après son passage aux Galapagos, que Darwin pourra, aidé de plusieurs scientifiques étudiant ses collections, mettre en ordre sa fameuse théorie de l’évolution. Son voyage, un long tour du monde, s’étala de 1831 à 1836 et changea la manière dont l’Homme perçoit aujourd’hui l’univers qui l’entoure et la place qui est la sienne sur cette planète.

Ramener la paix au Pérou

Bien loin de cette agitation intellectuelle, revenons trois siècles en arrière : les Galapagos sont encore parfaitement inconnues. Au Pérou justement, en 1533, un soudard flanqué d’une équipe de véritables bouchers assoiffés de sang et d’or, débarque sur les rives du Biru (qui deviendra le Pérou). On le sait, Pizarro réussit en un temps record et avec des moyens dérisoires, à se rendre maître de l’empire inca, profitant notamment de la rivalité entre deux frères ennemis, Huascar, à Quito, et Atahualpa, à Cuzco. Mais la Conquista ne se fait pas que dans un bain de sang dont les seules victimes sont les Indiens. Les Espagnols, entre eux, n’hésitent pas à s’affronter pour s’arroger les dépouilles de cet exceptionnel empire ; or, bijoux, femmes, terres, mines, tout est bon pour exacerber les querelles et les oppositions. A Mexico, on n’ignore les détails de ces luttes fratricides, mais le vice-roi entend bien ramener le calme.

Pour cela, il décide d’envoyer un négociateur à Lima, un homme solide, à la réputation sans tache, incorruptible et honnête, le frère Tomas de Berlanga ; l’homme a 47 ans, il fut un des premiers religieux à venir évangéliser le Nouveau Monde dont il connaît bien les coulisses et il est évêque de Panama.
De Berlanga prend sa mission très au sérieux et cingle vers Callao, le port de Lima en 1535, deux ans à peine après le débarquement de Pizarro.

Fin février, un navire est prêt à partir, mais malheureusement, les vents sont capricieux, le bateau, difficile à manœuvrer et la mer capricieuse. Résultat, ne sachant pas mesurer leur longitude, les marins se déportent très à l’ouest de leur route initiale et finissent par buter sur des îles totalement inconnues. Elles ne figurent sur aucune carte, n’ont donc pas de nom et s’imposent comme une escale obligatoire car il faut rapidement les explorer et s’y ravitailler, en eau douce notamment.

« Dieu a fait pleuvoir des pierres »

A bord, l’autorité supérieure est celle de l’évêque qui se rend bien entendu à terre. Le religieux se fait explorateur, mais il n’apprécie guère ce contretemps, d’autant qu’il constate très vite que ces terres volcaniques sont arides, vides de tout habitant et sans richesse aucune.

Ni évangélisations ni enrichissement possibles sur ces cailloux de lave brûlés par le soleil. Des cailloux, il y en a tant au goût de l’évêque que celui-ci écrira même : « Ici, Dieu a fait pleuvoir des pierres ». Dans un tel cadre, la végétation non plus ne trouve pas grâce à ses yeux : « le sol n’a même pas le pouvoir de donner vie à un peu d’herbe ». Bref, s’il n’est pas en enfer, ça y ressemble beaucoup, mais l’emplacement de ces îles jusqu’alors inconnues nécessite pour Berlanga qu’il rédige un rapport complet destiné au roi d’Espagne, Charles Quint (1500-1558). Rapport complet autant qu’un bref séjour le permet, mais qui relève tout de même la richesse de la faune locale : iguanes, phoques, tortues bien entendu, à terre comme dans la mer. Sans compter les innombrables oiseaux, qui, eux non plus, ne trouvent pas grâce à ses yeux : « ils sont comme ceux que l’on voit en Espagne, mais il son tellement bêtes qu’ils ne savent même pas comment voler, ce qui fait que beaucoup d’entre eux ont été capturés à la main ».

La flore est d’une pauvreté affligeante et la faune est bête : ite missa est, la messe est dite pour un religieux il est vrai plus préoccupé par sa mission que par les sciences naturelles. Le pire est pourtant encore à venir quand Berlanga, malgré les recherches entreprises par l’équipage, comprend que les îles n’offrent pas de ressources en eau douce naturelle. Heureusement, il y a des cactus, du genre Opuntia, avec de larges raquettes et des troncs généreux qui, pressés, fourniront suffisamment d’eau aux marins pour tenir ; la seconde île où abordera le bateau se montrera plus généreuse en eau douce et tempèrera le jugement plus que négatif de Berlanga.

A l’époque, les corsaires et pirates n’écumaient pas encore les côtes ouest de l’Amérique du Sud pour piller villes et galions espagnols ; Berlanga ne mettra donc guère en évidence l’intérêt stratégique des Galapagos qui, comme l’archipel Juan Fernandez au large de Valparaiso, serviront de repaire à toute la flibuste un peu plus tard.

Ambitieux mais honnête

Mais qui était donc ce Berlanga dont l’histoire n’a pas vraiment retenu le nom ?

Tomas de Berlanga (1487 ?-1551) avait vu le jour à Berlanga de Duero, commune de la province de Soria en Castille-et-Leon (Espagne). On ignore avec précision sa date de naissance mais on sait qu’il entra très jeune dans les ordres et enseigna au couvent de Salamanque, dans l’ordre des dominicains. A l’époque, Hispaniola (Saint-Domingue) dépendait administrativement de la province d’Andalousie. Berlanga y fut nommé et manoeuvra tant et tant qu’il obtint de Rome, en 1528, que la région du Nouveau Monde où il oeuvrait devint une province à parte entière, celle de Santa Cruz, dont il devint le provincial dès 1530. Il était ambitieux et proclama, depuis Hispaniola qu’il coiffait aussi hiérarchiquement la province de Santiago de Mexico, suscitant une réaction virulente de ses opposants. La querelle prit fin quand on lui offrit sur un plateau l’évêché de Panama d’autant plus prometteur qu’il était appelé à couvrir non seulement sa région, mais toutes celles encore à découvrir, ce qui laissait à Berlanga de quoi satisfaire ses ambitions. D’autant qu’en 1533, Pizarro avait découvert le Pérou, l’immense empire inca et ses formidables trésors. La couronne ayant été informée des rivalités fortes entre Pizarro et son lieutenant Almagro, Berlanga fut envoyé sur place pour arbitrer le conflit.

C’est à cette occasion qu’il découvrit donc fortuitement les Galapagos. Avant son arrivée à Lima, Pizarro avait réussi à envoyer un de ses rivaux, Almagro, au Chili et à venir à bout de ses opposants, ce qui rendit l’arbitrage de Berlanga inutile. Celui-ci rentra à Panama en ayant eu le cran de tenir tête à Pizarro qui tenta par mille et une ruses de le compromettre ou de l’acheter ; les deux hommes se détestèrent cordialement et finalement, Berlanga n’accepta que douze cuillères en argent du conquistador, mais lui arracha 1 000 pesos/or pour les hôpitaux de Panama et du Nicaragua, ainsi que le lancement de la construction du couvent Saint Domingue à Lima.

A son retour à Panama, de Berlanga continua son travail missionnaire tout en poursuivant ses efforts plus concrets ; il se fit le chantre et le promoteur de la culture de la tomate dans toute la Caraïbe et d’une banane plantain, la « Dominico ».

Bien avant tous ses contemporains, il imagina le percement d’un canal dans l’isthme de Panama afin de relier l’Atlantique et le Pacifique. Mais fatigué
par son travail missionnaire, il renonça à 50 ans, à son évêché, préférant rentrer en Espagne. Berlanga demeura dans sa ville natale jusqu’à sa mort en 1551, sans jamais avoir mesuré l’intérêt de la découverte des Galapagos, de ce qui est resté comme sa grande découverte...

Daniel Pardon

1546 : Des îles « ensorcelées »

Il est intéressant de noter que onze ans après le passage de Berlanga, un conquistador espagnol fuyant Pizarro redécouvrit à son tour cet archipel du Pacifique : en 1546, le capitaine Diego de Rivadeneira y aborda à son tour et fut tellement impressionné par son escale qu’il surnomma l’archipel « las Islas Encantadas », les îles ensorcelées. Les courants violents, les brouillards, les vents changeants, la faune « diabolique » (les iguanes terrestres et marins), tout cet univers parut au capitaine peut-être pas très courageux l’œuvre d’une sorcellerie, peut-être le travail du diable ou de ses succubes locales. Plus étonnant encore, Rivadeneira en était persuadé, les îles elles-mêmes ne reposaient pas sur le plancher océanique mais flottaient à la surface de l’océan et dérivaient ainsi au gré des caprices de quelques sorcières…

A l’époque, on parlait déjà des Galapagos mais ce n’est qu’en 1570 que ce nom de baptême fut officiellement donné à l’archipel sur une carte du dessinateur flamand Abraham Ortelius (qui les baptisa, en latin, « insulae de los Galapagos ».

Les Incas avant Berlanga ?

Une vieille tradition assure que les Incas auraient découvert, environ un siècle avant les Espagnols, l’archipel des Galapagos. L’empereur Tupac Yupanqui aurait en effet organisé une très ambitieuse exploration du Pacifique et serait parvenu même, assurent certains, jusqu’à Mangareva et à l’île de Pâques. Le chroniqueur Pedro de Sarmiento de Gamboa relate cette odyssée dans un texte rédigé en 1572, à partir des récits et traditions recueillis au Pérou.

Cependant, rien, concrètement, ne vient apporter des preuves de ce périple par ailleurs fort possible, même si les chiffres avancés par de Gamboa, plusieurs dizaines de radeaux de balsa du type du « Kon Tiki » et la bagatelle de 2 000 hommes, sont relativement précis. Sur les îles des Galapagos, absolument aucun vestige daté des Incas n’a été retrouvé. En revanche, certains tessons de poteries attesteraient de la présence passagère et ancienne d’Indiens venus de la côte équatorienne, qui auraient pu être déviés de leur navigation côtière, comme le fut en 1535 Tomas de Berlanga.

Un balcon pour la flibuste

Pirates et corsaires anglais, dans une moindre mesure hollandais et français, convoitaient les richesses que l’Espagne tirait du Nouveau Monde. Aussi les flibustiers ne furent-ils pas longs à venir sillonner les côtes sud-américaines, attaquant tantôt des villes côtières, tantôt des navires marchands chargés d’or et de matières précieuses. Parmi les plus célèbres et les plus hardis, citons le Hollandais Hendrick Brouwer (1581-1643) mais surtout les Britanniques Thomas Cavendish (1560-1592), sir Francis Drake (1540-1596) et, plus tard, William Dampier (1651-1715). Pour ces marins, le voyage dans le Pacifique état d’autant plus risqué et compliqué qu’après le passage du cap Horn, ils ne pouvaient espérer remettre leurs navires et leurs équipages en état dans aucun port, ce qui était le cas des bâtiments espagnols partout chez eux, de la Patagonie à la Californie. Aussi deux repaires s’imposèrent-ils très vite pour les pirates, l’archipel de Juan Fernandez, à 600 km au large de Valparaiso, au Chili, et, plus au nord, les îles Galapagos, entre Lima et Acapulco (à 1 236 km du port de Guayas). Si l’eau était trop rare sur l’archipel pour que les pirates et corsaires s’y installent à demeure, ces îles permettaient tout de même de fuir après un raid, de se mettre à l’abri, et, grâce aux innombrables phoques et tortues, de réapprovisionner les équipages en viande fraîche.

Après les flibustiers, ce fut au tour des baleiniers de se servir des Galapagos comme lieu d’escale et de ravitaillement. Leurs campagnes duraient souvent trois à cinq ans, et tous les ports étaient les bienvenus. L’archipel équatorien occupait une place stratégique pour ces chasseurs, puisqu’il se trouvait juste à l’est de la zone de chasse favorite, l’Offshore Ground (entre 5° et 10° de latitude sud, 105° et 125° de longitude ouest).

La statue de Tomas de Berlanga orne le devant des ruines du palais du marquis de Berlanga, dans la commune de Berlanga de Duero (Castille et Leon, Espagne).

Sur le portulan du cartographe flamand Abraham Ornelius apparaît pour la première fois l’archipel des Galapagos (Galapagos étant un ancien mot espagnol désignant les tortues).

Cette carte parcellaire des Galapagos est due au capitaine anglais William Ambrose Cowley qui pensa avoir découvert cet archipel en 1683. La carte daterait de 1744.

Gravure ancienne montrant les tortues terrestres des Galapagos ; celle au premier plan, avec la carapace relevée sur le cou, ressemble à certaines selles de cheval utilisées en Espagne ; beaucoup ont cru que c’étaient les selles qui avaient donné leur nom (galapagos) à l’archipel, alors que c’est exactement le contraire.

Les Galapagos comptent 41 îles pour une surface de 8 010 km2. Le point culminant, volcanique, le volcan Wolf, se trouve sur l’île d’Isabella. Leur surnom d’îles enchantées, en français, est une mauvaise traduction de « Islas Encantadas » ; il faut comprendre enchantées au sens d’ensorcelées, de maléfiques.

Rédigé par Daniel PARDON le Jeudi 25 Octobre 2018 à 13:58 | Lu 1623 fois