Cancer : plus la maladie est généralisée, moins il y a de moyens


Patricia Grand, présidente du Comité polynésien de la Ligue contre le cancer depuis 2006.
PAPEETE, mardi 9 avril 2013. Avec 500 à 600 nouveaux cas de cancer par an, environ 4 000 séances de chimiothérapie pratiquées chaque année par le service d’oncologie du Centre hospitalier du Taaone et environ 250 décès annuels dus au cancer, on pourrait croire que la prise en charge de la cancérologie en Polynésie française est désormais bien cadrée. Mais ce n’est pas le cas. Même si la radiothérapie a été ouverte en Polynésie en 2011, évitant aux malades des transferts difficiles vers des centres de traitement métropolitains, il reste encore beaucoup à faire. Il n’existe pas par exemple de service médical dédié au sein de l’hôpital. Le service d’oncologie qui assure les traitements de chimiothérapie ne dispose que de huit lits -occupés à 80% par des patients atteints de cancers du sang-, aussi la plupart des malades cancéreux fréquentent le service en hospitalisation de jour ou en étant hospitalisé dans d’autres services en fonction de la localisation de leur maladie. Enfin et surtout, la prise en charge des malades reste parcellaire, particulièrement dès que les patients arrivent en fin de vie.

Des critiques et des constats qui émanent aussi bien des malades, de leurs familles, mais aussi des médecins eux-mêmes. «La prise en charge des cancers reste incomplète au CHPF. Il n’y a pas de service spécifique comme dans les hôpitaux métropolitains par exemple. Les malades sont hospitalisés en pneumologie lorsqu’il s’agit d’un cancer du poumon ; en gynécologie lorsqu’il s’agit d’un cancer de l’utérus etc. Dans chaque service 2 ou 3 lits sont réservés. Tant que le cancer est localisé, il n’y a pas de problème. Dès que cela déborde d’un organe en particulier, on ne sait plus vraiment où placer ces malades. Enfin, il n’y a pas d’unité structurée réellement pour les soins palliatifs afin d’accompagner les malades en fin de vie. De toute manière le Centre hospitalier n’aurait pas les moyens financiers de faire fonctionner les équipes nécessaires» explique le docteur Gilles Soubiran, médecin interniste en charge de malades cancéreux au CHPF. Ce médecin fait un constat amer : «l’hôpital du Taaone est bien plus grand que Mamao, mais il est fait de couloirs et de halls un peu vides. En terme de chambres et de structures d’accueil pour les malades, il n’est pas tellement plus grand que celui de Mamao».

Des paroles qui font écho au triste constat fait par Patricia Grand, présidente du Comité local de la Ligue contre le cancer
. «Il y a dix ans le service d’oncologie ouvrait en Polynésie française pour le traitement des cancers par chimiothérapie, la situation s’est alors réellement améliorée. La radiothérapie en 2011 a été un grand pas en avant. Mais je suis triste car dix ans après pour certains cancers il n’y a pas eu de changement». Patricia Grand sait de quoi elle parle. Elle a perdu une fille d’un cancer il y a dix ans, a elle-même été une malade traitée en oncologie et a perdu en janvier dernier sa sœur de lait d’un cancer qui s’était généralisé. «Il n’y a pas de prise en charge globale. Le fait qu’il n’y ait pas de lits disponibles en oncologie est regrettable et il me semble qu’il manque une vraie coordination entre les médecins des diverses spécialités». Certains malades sont ainsi ballotés de service en service en raison des complications qui surviennent lorsque le cancer se délocalise de l’organe atteint initialement. «Lorsqu’un problème survient sur un malade cancéreux en fin de vie on va traiter l’urgence, mais sans plus. Cela laisse l’impression qu’on abandonne les malades». Patricia Grand rajoute que selon elle par manque de personnel, par le surbooking du service d’oncologie, les soignants ne peuvent pas prendre le temps de mettre certaines formes pour annoncer les mauvaises nouvelles. «Les personnels soignants auraient besoin de formations spécifiques pour ce dialogue avec les malades et leurs familles et sans doute aussi de soutien psychologique pour accompagner la fin de vie des patients».

La cancérologie en Polynésie française aurait ainsi bien besoin d’être repensée de A à Z
. «La prise en charge est effectivement incomplète» admet le docteur Soubiran. Mais le CHPF est toujours sous-financé, et le plan cancer bien que promis par différents gouvernements n’a jamais été mis en place. Seule petite victoire pour la Ligue contre le cancer en Polynésie, les dépistages gynécologiques pour les cancers du sein et de l’utérus interrompus durant quelques mois en 2012 (à la fermeture de l’EPAP, établissement de prévention), ont finalement repris. Pour cette année 2013, deux tranches de 50 millions chacune ont été budgétées. Il a fallu une forte mobilisation et une pétition du Comité local de la Ligue contre le cancer pour obtenir que le dépistage ne soit pas abandonné. Or, les arguments sont évidents : «le cancer du sein est le cancer le plus fréquent et la première cause de mortalité par cancer chez la femme en Polynésie. Le cancer de l'utérus est la 2ème cause de cancer et la 3ème cause de mortalité, parce que les femmes consultent souvent trop tard» précisait le texte de la pétition qui a circulé en janvier 2012. Quant à la Ligue, elle organise elle-même des réunions d’information dans les différents quartiers de Tahiti à raison d’une réunion par mois en moyenne.

Rédigé par Mireille Loubet le Mardi 9 Avril 2013 à 15:19 | Lu 2232 fois